Il est de bon ton, depuis plus de dix ans, de ricaner à propos Des Chevaliers du Zodiaque – La légende d’or sur Nintendo NES, comme si ce jeu n’était qu’une vieille relique poussiéreuse, indigne d’être évoquée autrement que par la caricature. Les éclats de rire gras de la vidéo du Joueur du Grenier semblent avoir scellé à jamais son sort, réduisant cette tentative ambitieuse à un simple repoussoir vidéoludique. Or ce rire, à mes yeux, est celui d’une époque qui a choisi de se moquer plutôt que de comprendre. Car derrière ses maladresses de jeunesse, derrière ses angles rugueux, ce titre de 1987 — ou plutôt 1988 pour sa sortie occidentale — brille encore d’une lumière insoupçonnée, celle des premiers grands élans d’un medium qui cherchait à dépasser la simple mécanique ludique pour s’approcher du souffle narratif, du mythe, de la grandeur.


Le joueur qui, manette en main, osait franchir le seuil de cette épopée pouvait ressentir une chose rare pour l’époque : l’impression de s’immerger dans un récit monumental. Bien sûr, les limitations de la NES rendaient le dessin hésitant, les sprites parfois raides, mais quelle audace de donner à l’enfant des années 80 non pas un simple jeu d’action à la Ninja Gaiden, ni une plate-forme classique à la Castlevania, mais une fresque hybride où le combat se mêle à la progression scénarisée, où chaque pas est chargé d’une tension dramatique. À une époque où le RPG japonais en était encore à ses balbutiements sur console, où Dragon Quest imposait timidement ses règles, voir une adaptation animée s’aventurer sur ce terrain était en soi une déclaration d’intention.


Ce que l’on reproche aujourd’hui au titre, sa supposée lourdeur, son rythme étrange, ses affrontements un peu mécaniques, n’étaient rien d’autre que la traduction approximative mais sincère d’une volonté de faire entrer l’univers de Kurumada dans un carcan vidéoludique inédit. Le joueur ne contrôlait pas seulement Seiya dans des duels, il vivait une ascension, un chemin initiatique ponctué d’épreuves. Chaque combat contre un Chevalier d’Or n’était pas un simple obstacle, mais un rituel, une mise en scène sacrificielle où l’on sentait, malgré les pixels tremblotants, que le destin se jouait dans l’instant.


La direction artistique, souvent raillée pour sa rigidité, doit être regardée avec les yeux de son époque. Car à la différence de beaucoup d’adaptations de dessins animés qui trahissaient sans vergogne leur matériau d’origine, La légende d’or osait conserver une identité graphique cohérente. Les portraits fixes des chevaliers, certes grossiers par rapport aux aquarelles chatoyantes du manga, avaient pourtant une intensité dramatique. Ils arrêtaient le temps, inscrivaient le duel dans une dimension théâtrale qui transcendait les limites techniques. Et que dire des musiques, souvent qualifiées de simplistes ? Écoutées aujourd’hui, elles résonnent comme des prières électroniques, réduites à l’essentiel mais étrangement entêtantes, comme si la NES, dans ses modestes canaux sonores, s’était efforcée de distiller un souffle héroïque.


À qui sait l’aborder sans sarcasme, ce jeu révèle une intelligence structurelle étonnante. Là où tant d’autres titres de l’époque se contentaient d’empiler des niveaux interchangeables, La légende d’or bâtissait une progression ascendante, fidèle à l’arc narratif des Douze Maisons. Ce choix, que beaucoup de critiques modernes qualifient de répétitif, constituait en réalité une mise en abyme magistrale : chaque temple traversé devenait une étape vers l’illumination, chaque confrontation prolongeait la dramaturgie du récit. Le level design, si souvent moqué pour sa monotonie, se comprenait alors comme un dispositif de purification, une marche inlassable vers l’orée du cosmos.


Certes, les commandes exigeaient une certaine abnégation, loin de la fluidité caressante à laquelle nous ont habitués les productions modernes. Mais faut-il oublier que la plupart des grands jeux de cette époque réclamaient la même rigueur ? Ghosts’n Goblins punissait sans pitié, Metroid égarait dans des labyrinthes austères, Zelda II déconcerterait encore bien des joueurs d’aujourd’hui. Dans ce contexte, l’exigence des Chevaliers n’était pas une aberration, mais un signe de son temps, une manière de lier la maîtrise du joueur à l’accomplissement spirituel de ses héros.


On mesure mal, avec le recul, combien ce titre fut une audace éditoriale. Adapter une licence populaire ne signifiait pas encore céder à la facilité mercantile du simple produit dérivé. Les développeurs de Bandai avaient cherché une correspondance entre forme et fond : la lenteur solennelle des affrontements traduisait la dimension sacrificielle du manga, la répétition structurelle des temples traduisait la marche inexorable du destin, la dimension hybride entre RPG et action traduisait la quête initiatique. Même les imperfections participaient à cette impression : oui, il fallait du courage pour s’accrocher, mais n’était-ce pas déjà la morale de l’œuvre originelle ?


Aujourd’hui, il est facile de railler. Facile de comparer avec des titres modernes et d’en souligner les carences. Mais ce rire est un aveuglement. Car ce jeu, dans la rudesse de ses pixels, portait une ambition immense : faire entrer un mythe naissant dans la mémoire interactive. Il témoignait d’un temps où l’industrie n’avait pas encore codifié ses genres, où chaque tentative relevait de l’expérimentation. Et c’est précisément ce qui le rend précieux. Là où tant de jeux contemporains ne sont plus que des produits calibrés, Les Chevaliers du Zodiaque – La légende d’or demeure l’un de ces fragments d’histoire où l’on perçoit encore le tremblement des pionniers, leur maladresse et leur ferveur.


Je sais que la majorité n’y verra qu’un fossile encombrant, un jouet cassé, une relique de collectionneur. Pourtant je persiste : il s’agit d’une œuvre qui mérite mieux que l’opprobre. À qui lui accorde la patience nécessaire, elle révèle une beauté austère, presque liturgique, qui n’appartient qu’à elle. On y entend le battement fragile d’un cœur qui voulait traduire en langage électronique l’ardeur d’une cosmo-énergie. Et cette tentative, malgré ses failles, reste pour moi un témoignage bouleversant de ce que le jeu vidéo, dès ses balbutiements, aspirait à devenir : non pas un simple divertissement, mais une odyssée, une expérience à la fois ludique et métaphysique, où l’or du zodiaque brille encore, sous la poussière des moqueries.

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le 17 août 2025

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Kelemvor

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