Critique publiée sur ArtZone Chronicles.


Out of Time s'achevait par un climax émotionnel et scénaristique. Mais surtout, par une ouverture de gameplay, de nouvelles possibilités d'utilisation du pouvoir de Max. La première grosse déception, c'est que Chaos Theory n'exploite absolument pas cette évolution et que l'on a l'impression d'une régression d'un point de vue de joueur.


Avec un titre pareil, on pouvait pourtant s'attendre à autre chose qu'un épisode de transition. Car c'est ce qu'est ce troisième chapitre. On découvre peu de nouveaux lieux et personnages, le mécanisme ludique est assez peu exploité et se répète. La seule modification arrive tout à la fin, offrant là encore des possibilités d'évolution. Bien sûr, on ne dira rien de cette fin pour éviter de gâcher la surprise, qui n'en est qu'une demie tant on pensait à ce potentiel dès la découverte du pouvoir de Max.


Chaos Theory ne sert donc qu'à approfondir le scénario et les relations entre personnages. On fait toujours des choix à gauche à droite, à l'aide ou non du gameplay, on ressent toujours les effets de nos décisions passées, tout ça pour aboutir à un cliffhanger lui aussi assez attendu. Si l'atmosphère indie est toujours là par le rythme, la musique et l'univers général, on s'éloigne ici du jeu vidéo pour aller plus clairement vers la série US dramatique qui prend le large par rapport à l'idée qu'on peut se faire de ces influences lo-fi plus ancrées à la banalité et à plus de subtilité. Et c'est là tout un problème qui nous vient du format série qui a ses codes et qui sont surexploités, l'intérêt finit par ne reposer que sur ces codes. Je pense à la dynamique du cliffhanger cité plus haut et du spoiler, surpopularisé par Game of Thrones, qui fait parler de lui surtout par cet effet de "il ne faut rien dire" et "il faut donner envie de continuer". Life Is Strange prend cette voie, on met un twist en fin d'épisode, le but devient bien plus important que le cheminement qui n'est qu'un moyen d'arriver à cette fin qui va avoir pour unique but de vouloir connaître la suite. Ce genre de série n'est qu'une suite de fin d'épisodes, entrecoupées de moments plus ou moins intéressants, mais on s'en fout puisque le spectateur regarde, puisque le joueur joue.


La grande faiblesse de Life Is Strange demeure. En plus de s'éloigner de son média d'origine, il n'a aucune des qualité de celui vers lequel il lorgne. Si on veut faire une série, alors il faut que le scénario, l'univers, les personnages, les dialogues soient solides, sinon à quoi bon essayer d'aller dans cette direction ? C'est déjà difficile dans le média série lui-même, et ici on tombe dans des clichés plus forts les uns que les autres, une écriture inoffensive et sans identité, des personnages ennuyeux, et des dialogues souvent ridicules, qui ne font que renforcer la banalité des personnages. Encore une fois, ce qui manque fortement au jeu et qui se ressent particulièrement dans ce troisième épisode, c'est une esthétique cohérente qui se suffit à elle-même et permet d'éviter d'avoir à reprocher quoi que ce soit au gameplay et à ses faiblesses. Même la promesse de liberté par les choix se retrouve totalement bridée et scriptée. Quand nos personnages évoquent une voie antérieurement décidée, on serait presque à voir le fil qui relie les deux situations, comme si DONTNOD nous prenait pour des idiots incapables de comprendre à quel moment nos actions ont des conséquences si on ne nous les met pas sous le nez... On verrait quasiment apparaître une tête au-dessus des personnages à nous faire un clin d’œil appuyé type Tex Avery. Et quand, à la fin, on nous propose une influence majeure sur l'évolution scénaristique, aucune alternative n'existe et la liberté disparaît totalement au profit d'une répétition pour arriver à la situation désirée par les développeurs. On se croirait dans un mauvais jeu de rôle (papier) avec un Maître de Jeu qui oublie ses joueurs... Que les possibilités offertes par l'alternative ne soient pas gérables ou ne soient pas désirées est une chose, mais alors ne laissez pas cette illusion de possibilité d'action qui ne nous apporte que de la frustration.


Chaos Theory est donc un épisode de transition comme il en existe dans le média auquel il aspire, la série. N'apportant rien de nouveau sur le plan ludique, il ne sert qu'à avancer dans un scénario qui reste mal écrit et qui regorge de lieux communs, tant dans l'intrigue que dans ses personnages. Tout est trop appuyé, on quitte l'aspect quotidien pour aller dans un drame bien moins original. La fin est spécialement désagréable, étant le seul moment où on ouvre une porte (qu'on soupçonnait depuis le début du jeu) tout en bridant toute liberté au joueur. Une nouvelle promesse, qui rappelle celle de la fin du deuxième chapitre, sera-t-elle cette fois tenue sans n'être qu'un artifice scénaristique ? De plus en plus te malheureusement, on a l'impression que les développeurs de Life Is Strange ne sont rien de plus que des scénaristes de série refoulés, ce qui s'explique aisément vu la faiblesse observée via cet angle. Le média jeu vidéo serait-il si pauvre en terme narratifs pour qu'un telle histoire se transforme en jeu devant lequel on se prosterne ? J'ai bien peu d'espoir pour le futur : quasiment aucun d'un point de vue scénaristique, le seul salut viendrait d'un vrai changement du point de vue de ce qu'est d'abord Life Is Strange, un jeu vidéo.


(*) : https://www.youtube.com/watch?v=1K0eknfuix8

Flavinours
5
Écrit par

Créée

le 2 déc. 2015

Critique lue 392 fois

3 j'aime

Flavien M

Écrit par

Critique lue 392 fois

3

D'autres avis sur Life is Strange - Episode 3: Chaos Theory

Life is Strange - Episode 3: Chaos Theory
JipéF
8

Critique de Life is Strange - Episode 3: Chaos Theory par JipéF

Life is strange se bonifie d'épisode en épisode et affirme encore davantage ses ambitions initiales : dépeindre les affres, les doutes, les sentiments de l'adolescence avec pertinence et réalisme. Ce...

le 12 juin 2015

3 j'aime

Du même critique

Forever Changes
Flavinours
9

1967, l'année qui tue

Y'a des années comme ça. On sait pas trop pourquoi mais elles accumulent les bons albums ou ceux qui marquent l'histoire de la musique, alors que d'autres sont nettement moins prolifiques. En 1967,...

le 11 août 2012

20 j'aime

1

Blackfish
Flavinours
8

Le Maillon Faible.

Critique publiée sur Kultur & Konfitur. Tombé dessus par hasard entre deux matchs de la coupe du monde 2014, ça a sévèrement entamé mon moral pour regarder le deuxième match. On s'attend à un...

le 29 juin 2014

16 j'aime

Reigns
Flavinours
7

Reigning Blood

Critique publiée sur Kultur & Konfitur. Me voilà roi. Premier de ma lignée, le peuple attend beaucoup de moi, déçu par la tyrannique dynastie m’ayant précédé. Leurs demandes sont parfois...

le 17 sept. 2016

13 j'aime