Live A Live
7.4
Live A Live

Jeu de Historia, Takashi Tokita, Square Enix et Nintendo (2022Nintendo Switch)

Forrest Gump nous avait prévenu en son temps : "la vie, c'est comme une boîte de chocolat".

Eh bien Live a Live, c'est pareil, à huit variations près.

Intégralement remis au goût du jour, ce grand classique de chez Square (celui d'avant la fusion mortifère avec Enix) présente ses petits héros de pixel sur un plateau 2D HD à la Octopath Traveler, comme un assortiment de Jeff de Bruges à goûter en cachette pour ne pas avoir à les partager avec le reste de la famille (parce qu'il y en a un peu marre de toujours se faire refourguer les mêmes chocolats noirs fourrés à la liqueur dont personne ne veut, ne mentez pas, on a tous vécu ça). Alors bien sûr, ils ne nous ferons pas tous le même effet, certains seront nécessairement plus à notre goût que d'autres, selon qu'on préfère la praline ou le nougat, mais il y a peu de chances pour qu'on fasse la grimace et qu'on aille discrètement cracher les restes à la poubelle. Eh quoi ?! Nous sommes sur du produit de qualité, pas sur du Mon Chéri.


Éloge de la simplicité, aurait pu s'intituler cet avis à chaud, toujours (malgré des températures hivernales), tant le titre brille par son sens de la concision et sait aller à l'essentiel pour mieux resserrer son récit et servir son projet. A une époque où le J-RPG se perd en intrigues artificiellement tarabiscotées, qui ne donnent l'impression de tenir debout que parce qu'elles se planquent derrière des tartines de lore insipide et de jargon SF-fantasy cliché, Live a Live débaroule en short et en baskets pour nous démontrer par l'exemple que réac' ou pas réac', sur ce coup, "c'était mieux aaaaavant". Pour peu qu'on accorde encore de l'intérêt à ces considérations, à une époque où la qualité d'un titre se jauge au nombre de particules qu'on voit flotter dans les rayons du soleil, on s'émerveillera de l'efficacité avec laquelle le jeu plante et déroule ses récits pluriels, ramassés dans des périodes de temps pouvant aller de trente minutes à deux heures selon les chapitres. Car contre toute attente, le procédé fonctionne. Toujours. Plus ou moins, disions-nous, selon les affinités de chacun, mais il n'empêche ! Le jeu montre et démontre que pour raconter correctement une histoire, lorsqu'on sait s'y prendre, il n'est pas besoin d'artifices au rabais ni de quarante heures étirées jusqu'à ce que lassitude s'ensuive pour poser des enjeux, faire monter la tension et délivrer un dénouement satisfaisant. A tel point que ce AAA de 1994 en remontre aujourd'hui à la plupart des indés de sa catégorie, et par conséquent fait la nique aux AAA modernes, dont il snobe joyeusement les quêtes annexes et les mini-jeux au rabais (non, navré, pas de pèche à la ligne dans Live a Live, on a sa fierté).

Inévitablement, on le comparera à Octopath Traveler, dont il emprunte sans vergogne (mais avec élégance) l'approche visuelle, et force sera de constater qu'entre les deux, le coeur ne balance pas, tant Octopath Traveler est engoncé dans sa volonté trop sage de rendre hommage à un genre dont il se fait une idée a posteriori baignant dans le formol - là où en dépit de son âge, Live a Live se révèle d'une inventivité et d'une liberté de ton folles.

Chaque chapitre en est différent, non seulement par l'époque ou les personnages, mais également par l'approche ludique et par le gameplay. Tantôt, il va tenter de nous raconter une histoire sans paroles, uniquement à travers les situations et les expressions faciales de protagonistes pourtant hauts comme trois pixels ; tantôt, il va intégrer des mécaniques de jeu de gestion, d'infiltration ou même de survival horror, comme un Evoland 2 avant l'heure (avec même un zeste de crafting en prime). Et si le ton général paraît enfantin, à juste titre, avec un humour pipi-caca susceptible d'irriter les âmes les plus guindées, certains rebondissements en prennent le total contrepied, ne négligeant pas les moments d'obscurité, les morts, les tragédies, lesquelles ne tranchent que davantage avec le visuel inoffensif du jeu. Le boss de fin lui-même s'impose d'ailleurs comme l'un des plus réussis dans son genre, loin des chouineries de ses homologues actuels et leur "OUi Mais MOi jE vOULaiS juSTE rendrE Le MONDe meiLLEur-EUUUUH" (même si dans le même registre). Odio did nothing wrong.

Tout aussi réjouissante : la volonté assumée de rendre hommage aux grands genres cinématographiques, BD et vidéoludiques populaires au début des années 90 : SF, kung-Fu, Western Spaghetti, avec une foultitude de clins d'yeux jusque dans les thèmes musicaux, signés d'une Yoko Shimomura particulièrement inspirée (au moins dans cette catégorie, les thèmes plus classiques étant également plus quelconques, tout en restant de bonne composition. Avec un thème de boss unique à tomber).

On aurait presque pu crier au plagiat, du reste, si l'intention première n'avait pas été aussi transparente et généreuse, ni si jubilatoire. Non seulement on ne s'offusque pas mais on se régale : quand bien même cela rend-il ces micro-scénarios plus prévisibles, ils parviennent néanmoins souvent à nous surprendre positivement, jusqu'à prophétiser des titres majeurs, à commencer par Gurren Lagann et the End of Evangelion. Excusez du peu. 

Alors bien sûr, tout n'est pas parfait non plus, le jeu accuse nécessairement son âge à de nombreux niveaux, comme son absence quasi-totale de protagonistes féminins, sa (relativement) faible durée de vie, ses combats beaucoup, beaucoup, BEAUCOUP trop expéditifs dans ses deux premiers tiers (nos héros sont des gros bill nés), son level design parfois daté, son système trop approximatif dans le timing de gestion des actions (système étonnamment original et bien pensé, dont le jeu n'exploite hélas que trop peu les indiscutables qualités), son approche très "light" du J-RPG (on sera plus inspiré de l'aborder comme un Undertale ou un Mother plutôt que comme un Final Fantasy), mais ce ne sont jamais là que des points de détails, qui n'entravent en rien le plaisir qu'on peut éprouver à découvrir ce jeu près de trente ans après la bataille, mais dans des conditions ludiques optimales. Pour peu, bien sûr, qu'on l'aborde sous l'angle adapté. Hardcore gamers s'abstenir. Les amateurs de titres hors des sentiers battus et autres bizarreries créatives seront aux anges, d'autant que la traduction française est d'excellente facture.

Diversifié, ambitieux, insolent (profond, même, parfois) sans jamais se prendre au sérieux, Live a Live se joue comme une masterclass et met à l'amende plus de quinze ans de productions de luxe. De quoi ne lui pardonner que plus volontiers (et même, se surprendre à en sourire, même si on ne l'avouera jamais) ses lancers de caca et ses pékipu.

C'est dire la virtuosité.

Liehd

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