Un cauchemar domestique d’une douceur crasse. Une lettre d’amour à la douleur, à la boucle mentale, au chagrin figé. Luto, développé par un petit studio espagnol qui paraît déjà extrêmement prometteur, se dévoile un peu comme si P.T. voyait enfin le jour. Je dis bien se dévoile car le produit est encore loin de ce qu'aurait pu être cette désormais légende urbaine du jeu vidéo, maintenant copié collé à tout va. Le problème avec Luto, c'est que ça marche un peu. Ça marche même sacrément bien.
Visuellement, le jeu est beau, regorge de plan d'une sensibilité trop rare dans les jeux d'horreur, et témoins d'une vraie envie de raconter une histoire originale faite de post-it, de croquis et de désodorisant qui déconne. Tout dans le visuel du jeu nous rappelle doucement que le personnage principal n'est pas bien, qu'il n'est pas certain de s'en sortir, et qu’il n’y a de toute façon rien à faire. Pas de monstres à affronter, pas d’objectifs clairs : juste ce Sam, sa tête, et un deuil poisseux qui suinte des murs de sa maison. Le jeu prend à la gorge sans jamais vraiment serrer, il laisse juste suffoquer dans une atmosphère maîtrisée au scalpel. La direction artistique l'est également - chirurgicale. Le sound design, de même facture. Les bruits domestiques deviennent menaçants, les silences hurlent, et chaque pièce visitée semble suinter d’un vécu qu’on flippe de déballer. Mais ce qui termine de faire flipper, vraiment, c’est la voix du narrateur. le doubleur propose une performance vraiment glaçante, oscillant entre le fatigué, presque éteint — au démoniaque, grandiose, godlike.
Et puis arrive le dernier run, quand le jeu pète une durite volontairement. Quand l’interface s'effondre, que les menus plantent, que les messages envahissent l’écran, que les conséquences de nos actes jusque-là camouflées s’affichent en toutes lettres. Une vraie innovation qui donne à Luto ce que chaque jeux vidéos, chaque œuvre au sens large, devrait avoir en mon sens, une profondeur, quelque chose de personnel sacrifié par les créateurs. Ceux de Luto nous regardent dans les yeux, savent ce que nous faisons et nous en informe sans détour tout en dévoilant le vrai point focal du jeu, le deuil, traité de manière froide, brutale. Le plus grand mérite du jeu en ce sens, c'est qu'il ne cherche pas à plaire, il cherche à plomber le joueur, lui fait quitter l'application sans pression, le laisse errer dans des décors plongés dans le noir, le force à redémarrer lui même pour avoir le fin mot de l'histoire.
Ca c'est les grosses grosses forces de Luto et sincèrement, elles suffisent. Mais bon, il faut parler gameplay, parce que là, malheureusement, ça coince. Le jeu est un walking simulator et c'est tout ce que nous ferrons, encore et encore, dans des couloirs identiques, pour résoudre des énigmes rares, parfois peu inventives, et terriblement fastidieuses. C’est pas qu’on n’aime pas prendre son temps ou même marcher, plein de jeu en font leur fond de commerce, ça permet de raconter une histoire, fine, mais quand la seule mécanique de progression, c’est de faire des allers-retours sans savoir ce qu’on a raté, Luto frôle vite la corvée. En bref il souffre, si l'histoire n'est pas parlante, d'un vrai manque d’ambition ludique, comme si le jeu avait peur d’être “trop jeu vidéo”. Résultat : l’expérience émotionnelle est extrêmement forte, le rendu proche de impeccable, mais l’expérience de joueur, elle, s’étire et se répète.
Donc ouais, Luto est légèrement imparfait. Il tourne en rond, parfois au point d’en perdre sa propre force. Mais il garde ce quelque chose. Ce fond profondément sincère et humain, cette douleur sourde, ce refus du spectaculaire. Et malgré ses défauts, il reste une expérience marquante non pas pour ce qu’il montre, mais pour ce qu’il fait ressentir, très lentement, jusqu’à ce que l'on n’aie plus vraiment envie de continuer… et jusqu'à ce qu'on le fasse tout de même. C'est là le message des muchachos de chez Broken Bird concernant le deuil, la continuité impossible contre laquelle nous allons tous, toujours, jusqu'à ce que ce soit nous que l'on manque. On nous le dit sur l'écran titre, ce jeu parle de la mort, de la mort des proches, de la mort de ses rêves, et finalement, de la mort en forme de drap avec un post it qui sourit en guise de tronche. FDP.