Les impacts répétés des poings sur la mâchoire du clochard résonnaient faiblement dans l'obscurité de la ruelle. Du sang ruisselait dans le caniveau, formant une flaque noirâtre. L'œil gauche éclata, répandant un liquide séreux. Le choc des métacarpes sur la mandibule du mendiant formait à présent une mélodie syncopée. Les deux adversaires ne ressentaient plus la douleur. Ni la loque pouilleuse qui dégorgeait un mélange d'hémoglobine, de bile et de dents. Ni Ivan, dont l'adrénaline et la Nekro avaient depuis longtemps anesthésiés les sens.


Encore quelques coups de poings dans sa sale gueule de pauvre.


Pause. Reprise. Arrêt. Le corps s'effondra sur la chaussée.


Ivan se redressa, puis regarda son œuvre. La boite crânienne défoncée, la matière grise se répandait sur le trottoir. La plupart des os de la face brisés, la mandibule désarticulée, un œil crevé. Le genou droit se tordait dans une position anormale.


Un coup d’œil rapide dans l'impasse. Quelques corps gisaient là. Un chien s'approchait lentement du cadavre d'une pute au crane rasé, dans l'espoir d'en faire son repas.


La nuit moscovite était calme. Ivan s'autorisa un moment de repos.


C'est qu'il en avait fait du chemin, depuis le tas de merde branlant qui lui servait de taudis. Il avait vu des coins invraisemblables depuis qu'il était parti. Si on lui avait laissé le temps, il aurait même peut-être apprécié le paysage. S'il en avait eu quelque chose à foutre, aussi. Il n'avait pas besoin que quelqu'un vienne lui dire que sa Russie avait de la gueule. Dégueulasse, dépravée, décadente. Obscène et splendide. Il la connaissait, sa mère patrie, il avait pas besoin d'en parler. C'était pas son genre. Trop pragmatique. Trop con.


Faut dire qu'il était un peu occupé à tabasser du trouduc. Ces têtes de cons ne comprenaient jamais, sauf lorsqu'il leur fracassait la tête contre le sol. Ils pigeaient à ce moment là. Dans un accès de lucidité, Ivan se demanda ce qu’ils saisissaient de si important.


Que c'était de la piétaille, sans doute. Des merdes.


Des mecs taillés pour la baston, il en avait connu. À commencer par Natasha. Teigneuse comme un pou, complètement tarée, fallait pas s'aviser de la prendre pour une faible femme fragile. N'y de s'approcher d'un peu trop près, au risque de finir avec autant de couilles qu'elle. Ou pire, de finir dans son pieu. Avec Sergei et Boris, ils formaient la bande de combattants des quartiers pauvres de Moscou. Ces trois là avaient finis la tête plombée par du 7,62 mm lorsqu'ils s'étaient enfuis du labo dans lequel la Bravta les avait jetés.


C'était des beaux enculés, la Bratva. Y'en a même quelques-uns qui lui avaient donné du fil à retordre. Dans la mêlée, c'était parfois confus, alors quand ces connards trop résistants pour leur bien se ramenaient, ça devenait vite un bordel indigeste. C'était un peu de sa faute aussi, il ne se faisait pas d'illusion. Cette manie de choper ses ennemis alors qu'il voulait juste ramasser une putain de batte de base-ball. Cette maladresse constante. Sûrement un effet secondaire de la Nekro.


La Nekro… Un vague sentiment de tristesse s'empara d'Ivan. Il palpa la poche de son treillis pour se rassurer. Les seringues étaient toujours là, remplies de leur fluide verdâtre. Du bonheur liquide, ces trucs. Mieux que de se faire sucer par Tatyana, la vieille pute du quartier nord. Une injection dans une veine, et tout sentiment de faiblesse disparaissait. Une autre dans une artère, et une fièvre s’emparait du corps. Le temps s'accélérait. La conscience de soi s’éteignait. Oui, la Nekro, c'était bonnard, pensa Ivan, peut-être la seule chose de bien que ces bâtards de la Bravta aient produit.


Parfois, il se demandait ce qu'il foutait là. Y'avait bien une histoire de labo secret, de gouvernement corrompu, de révolution, de vengeance. Non, tout ça c'étaient des conneries. De la couillonnade. Lui, il voulait juste briser des cous et écraser des crânes.


Ouais. Il allait juste continuer à casser de la gueule de tous ceux qui n'était pas assez malins pour s'écarter de son chemin. Y'aurait bien quelqu'un, un jour, pour lui trouer la tête.

Eurytos
7
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le 8 sept. 2016

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