Outer Wilds, ou quand la sérendipité devient un quasi-jeu !

Outer Wilds est un jeu Annapurna, sorti en 2019, dont on m’a parlé à reprises, à répétition, qu’on a même adulé comme étant peut-être le meilleur de la décennie 2010. Sur le papier, le jeu semble effectivement correspondre à nombre de mes goûts : de l’exploration type archéologique, quelques énigmes apparemment comestibles, une réflexion sur le rapport aux langues mortes et surtout, chose qui me plaît toujours (notamment au cinéma), une boucle temporelle, ce qui est, il faut l’admettre, une originalité dans le monde du JV.


Concernant le scénario, on se retrouve dans la peau d’une exploratrice ou d’un explorateur vivant dans un petit système solaire. Le personnage surnommé « Hatchling » fait partie du peuple des Hearthians (qui me rappelle étrangement les Mudokons), des technophiles, qui ont organisé le programme spatial « Outer Wilds ». L’idée étant donc que le jeu démarre le jour de notre premier voyage : il faut aller chercher les codes de lancement du vaisseau. Sur le chemin, on croise alors les quelques habitants (peut-être une vingtaine) de la planète de Timber Hearth. Certains d’entre eux, des explorateurs musiciens, sont disséminés sur les autres planètes du système et, on peut dores et déjà avant de partir les écouter grâce à un Signalscope qui permet d’entendre certaines ondes sonores jusqu’à l’autre bout du système solaire. Avant de récupérer les codes, nous passons dans un musée d’histoire évoquant les Nomai, un peuple aujourd’hui disparu qui avait essaimé ses membres à travers le système il y a fort longtemps semble-t-il. Après leur disparition, ceux-ci ont laissé des artefacts divers : des pierres à insérer dans des murs à la roche spéciale et qui font apparaître leurs écrits (rien de trop long à lire, plutôt leurs chroniques et témoignages) sous la forme d’arborescences courbées et reliées en arbre. Pour traduire ces textes, le protagoniste dispose d’un prototype de traducteur, car la langue des Nomai, comme leur culture, a disparu. Mais il y a aussi des plaquettes holographiques (?) qui peuvent projeter un autre environnement autour de soi, ou d’autres textes. Et puis, il y a les statues, notamment celle du musée qui semble nous doter de cette faculté à revenir sur cette planète en cas de mort, mais à un moment précis : celui de l’explosion du Canon Orbital à Sonde de la planète Giant’s Deep qui gravite non loin de Timber Hearth. Après une rapide découverte de notre village alors, on peut enfin emprunter le vaisseau en direction de… eh bien, où l’on souhaite ! De toute manière, dans quelques minutes, le soleil explosera et on reviendra sur notre planète, à côté de notre feu de camp, prêt à griller des marshmallows, et avec la mémoire de ce que l’on a découvert précédemment.


Car c’est un jeu d’équilibriste sur lequel se sont lancés les développeurs d’Outer Wilds. Il s’agit d’explorer les astres que l’on souhaite (y compris le notre), dans n’importe quel ordre, puisqu’il y aura des traces des Nomai un peu partout. Aussi, cela ressemble à une enquête historique/archivistique, où l’on est perpétuellement à la recherche de traces et de fragments à recomposer. Les biomes qui sont proposés sont variés : une planète océanique avec des tempêtes, une comète, des lunes, une planète de sable, une autre creusée, des anciennes stations spatiales, une planète-racine… On peut ainsi se fixer ses propres objectifs, par exemple pour faire le jeu, je me suis d’abord lancé dans la tentative de prise de contact avec les autres Hearthians perdus dans l’espace, puis j’ai complété les blancs de connaissances visibles sur la carte herméneutique du vaisseau (qui sert de liste de tâche et de journal de bord) avec des recherches sur les différents lieux qui se démarquent sur les astres et qui mènent souvent à des énigmes et de la lecture. Outre le vaisseau et notre Signalscope, cette exploration se fait au moyen d’un Scout Launcher qui permet de photographier ou d’envoyer de petits drones photographiques à distance. Ceux-ci seront utiles pour observer au loin bien entendu, mais aussi bloquer le lieu d’apparition des objets quantiques qui changent de position quand nous ne les regardons pas. Et bien sûr, le dernier équipement indispensable à l’exploration spatiale sera une combinaison, qui, visuellement ressemble à une vieille tenue de plongée des années 1920, mais qui fait bizarrement l’affaire, avec en plus un Jet Pack.


Si comme moi, alors que vous n’avez pas fait le jeu, on vous a rabattu les oreilles à coup d’arguments comme « Tu dois faire le jeu mais je ne vais pas te spoiler », je dois avouer que l’histoire racontée m’a un peu laissé sur ma faim. Déjà, concernant le « divulgâchage », je dois dire que si la qualité d’une œuvre dépend trop d’un élément de surprise ou d’une idée scénaristique, cela montre une certaine pauvreté. Autrement, pour Outer Wilds, je ne vois pas, après avoir fini le jeu en 14 heures, quelle claque dans le museau j’étais vraiment censée recevoir.


L’histoire étudiée dans le jeu est donc la suivante, à vous de juger si vous devez la lire ou non. Les Nomai sont des nomades qui exploraient l’espace à la poursuite d’un signal plus ancien que l’univers lui-même, et qu’ils surnomment « L’œil de l’Univers » en bâtissant vraisemblablement une religion autour. Leur vaisseau ayant percuté l’une des planètes (que je vais me garder de préciser), plusieurs de leurs vaisseaux de sauvetages se sont dispersés dans le système solaire, et faute de pouvoir en repartir, ils s’y sont développés. Notamment, ils mettent au point une technologie de contrôle de Trous Noirs / Trous Blancs qui permet la transmission de savoirs et de personnes ou d’objets dans le passé. Pour cela, ils provoquent une série d’explosions solaires contrôlées et donc factices en Supernova pour alimenter en énergie le canon orbital à sonde, puis revenir dans le temps, et ainsi, tester toutes les directions possibles vers lesquelles le signal recherché pourrait se trouver. Concrètement, la disparition des Nomai elle, s’explique par l’entrée inexorable d’une comète dans le système solaire, qui aurait diffusé une « matière fantôme », avant que le projet ne puisse véritablement être finalisé. Le jeu commence, plus d’une dizaine de milliards d’années plus tard, au moment où le soleil devient naturellement une Supernova, ce qui déclenche alors la boucle temporelle de manière répétée et incontrôlable, sans que les Hearthians ne comprennent ou ne perçoivent cela, boucle temporelle visible à chaque renaissance notamment à travers l’explosion de l’ancien canon orbital.


Et là, je vais en venir aux point qui m’ont un peu, voire parfois beaucoup, laminés l’expérience de jeu. Tout d’abord, la narration est bien trop éclatée, c’est à dire que le fait de récupérer des morceaux de traces à gauche à droite est une bonne idée, mais si derrière, il n’y a pas vraiment de quoi compiler tout cela dans un ordre logique, cela peut devenir problématique pour comprendre le déroulé des événements. Et sans dire que le jeu devrait le faire à notre place, juste, une interface pour réorganiser, numéroter, classer les informations proprement… ce serait pas mal ! Peut-on m’objecter qu’il y a cette carte herméneutique dans le vaisseau. Bon, elle est originale, certes, par contre niveau praticité et ergonomie, on repassera, puisque les informations sont classées par astre, pas par ordre chronologique, pas par personnages (le wiki recense 44 Nomai…). En pratique, il ne faut pas lâcher le jeu une fois lancé à moins que vous ayez une mémoire d’éléphant ! Ensuite, les récits s’attardent beaucoup trop sur des explications technologiques et quantiques pseudo-scientifiques qui remplissent plus qu’elles n’expliquent et optent parfois pour un vocabulaire qu’il m’a été facile de confondre à quelques reprises. Ce n’est pas mal écrit pour autant et ça se lit bien et assez vite, mais l’effet de brouillard ou d’informations parasites était bien là. Aussi, avec une narration pigmentée, le sentiment de progression est très relatif, et à la fin du jeu, un vague sentiment d’avoir réalisé des quêtes secondaires à outrances m’a bien un peu mordu. J’ai résolu l’histoire principale un peu par hasard en réalité, en abandonnant certaines explorations que je sentais comme annexes mais sans certitude, jamais. J’ai aussi fortement regretté l’absence de doublages qui permettent mine de rien de se rapprocher des personnages habituellement (Bonjour Morrowind !). Concernant le sentiment de manque de progression s’ajoute aussi le fait que l’équipement n’évolue pas, des zones resteront inaccessibles ou pénibles à cause de la présence de cactus ou des cristaux de matière fantôme. Je pourrais aussi rajouter que la faune présente, sur grosso-modo 6 astres, se résume à 5 petites espèces, et que la flore est similaire partout. Personnellement, ce que j’ai le plus mal vécu c’est vraiment la maniabilité. Je sais que certaines et certains adorent la sensation de réalisme dans l’espace, et je peux le comprendre, mais vraiment, jouer perpétuellement avec l’élan et l’inertie m’a particulièrement ennuyé et fatigué à la longue, que ce soit à pied ou en vaisseau, il s’agissait parfois de passages véritablement désagréables et de glissades ou de rebondissements frustrants qui m’ont fait très largement perdre plus souvent que les explosions de la Supernova, même après plusieurs heures de jeux. D’autant que les boîtes de collisions sont assez perfectibles dans certains décors. Enfin, concernant le rythme du jeu, il y a ce contraste parfois maladroitement mené entre un empressement pour nos 22 dernières minutes à vivre, face à une lenteur et même des passages d’attente concrète, dénués de sens.


De ce qui m’a fait pousser le jeu jusqu’à la fin, il y a donc bien entendu la petite soif de découverte du scénario qui était malgré tout bien là, et le travail d’archive. Les musiques aussi, trop rares mais très plaisantes, et le fait qu’elles soient intégrées dans la diégèse du jeu comme outil de narration mais aussi balise de navigation est très pertinent. J’ai aussi apprécié cette ambiance mélancolique de fin des temps qui se fait sentir dès le lancement du jeu, soulignant la vanité de nos explorations. Car non, il n’y a pas grand-chose à sauver au stade où commence le jeu, cela se comprend très vite, le but est surtout de s’échapper de cette boucle temporelle. Les dialogues avec les personnages sont aussi bien écrits et versent dans une innocence des derniers instants. Si graphiquement, le jeu est modeste, il devrait tourner au moins sur n’importe quel coucou un peu récent et il reste globalement propre (malgré la pauvreté des textures et une simplicité globale qui ne lui font pas suffisamment honneur).


En réalité, ce que je reproche à Outer Wilds, c’est l’écart entre son potentiel ludique, et ce qu’il livre au final, comme s’il avait un peu trop souvent oublié d’être un jeu pour valoriser une histoire qu’il rend paradoxalement difficile d’accès. Alors il y a en partie un manque de moyen sans doute du studio de développement, mais il y a aussi des choix artistiques et de design, que je respecte de par leur originalité. Malheureusement pour mon cas, tout n’a pas très bien fonctionné sur moi.

Altie-
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le 7 juin 2024

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