C'était en 2023 et comme tant d'autres gros jeux à sa sortie, Park Beyond est sorti tout cassé pour le résultat que l'on connaît : des ventes médiocres, des évaluations Moyennes sur Steam et un prix rapidement bradé qui n'aura pas aidé à le remettre d'aplomb. Dans un paysage du jeu de gestion de parc d'attractions dominé sans partage par Planet Coaster, le jeu de Limbic Entertainment a débarqué avec ses bugs à la louche, son interface moche et ses promesses non tenues pour récolter sa salve de 5/10 bien méritée, puis est retourné se coucher dans l'indifférence générale. Deux ans plus tard, en traînant tel un zombi dans le back catalog de la Fnac, on trouve une belle édition steelbook collector soldée à 3 pauvres euros, avec cartes postales, autocollants, CD de la bande originale et tout le toutim. On teste. Même si c'est mauvais, pour 3 euros, qu'est-ce qu'on risque ?
Eh bien, on risque de s'amuser, ma bonne dame, c'est moi qui vous le dis. Ouvrons donc notre coffre à cierges pour petits anges sortis trop tôt, et brûlons-en un à la mémoire de Park Beyond, paru dans un état aussi déplorable que temporaire si j'en juge par l'absence, en 2025, de la plupart des problèmes qui ont énervé ses early adopters. Les visiteurs qui ne trouvent pas les entrées des attractions ? C'est du passé. Les stands de bouffe qui ont plus de succès que les montagnes russes ? Pas vu. Les chemins qui font n'importe quoi ? Rien remarqué à ce niveau. Les groupes qui restent bloqués sur des tronçons de route ? Aux abonnés absents. En fait, Park Beyond fonctionne bien, tellement bien d'ailleurs qu'il met une petite claque amicale à Planet Coaster en termes de qualité de programmation, puisque le jeu de Limbic, à fonctionnalités comparables (on y reviendra), tourne vraiment beaucoup mieux et en pompant moins de ressources. Un premier bon point qui est presque celui qui m'a le plus immédiatement frappé, tant Planet Coaster a tendance à passer en mode diaporama au fil de la montée en importance de nos parcs. Park Beyond, quel que soit la taille de votre Disneyland, maintiendra la même fluidité d'affichage au fil de la partie.
Mais, plus important donc, Park Beyond maintiendra aussi son fun, qui est donc le terrain sur lequel on l'attendait, avec son concept original d'"impossification". Concrètement, c'est un jeu de gestion et de construction de parc tout à fait classique, qui ressemblerait à n'importe quel autre jeu de sa catégorie si ce n'était ce twist : au fil de la partie, on remplit une jauge dont on peut dépenser des segments pour impossifier nos attractions et les affranchir des lois de la physique. En pratique, en choisissant d'impossifier sa grande roue, on lui ajoute une deuxième grande roue au-dessus. En impossifiant une chute verticale, le gorille qui en décorait la tour va s'animer et, de rage, va secouer la nacelle dans tous les sens. En impossifiant des auto-tamponneuses, elles vont se déployer à la verticale sur une gigantesque table de flipper. En impossifiant une centrifugeuse, ses plateaux vont se changer en espèces de toupies qui vont partir en l'air comme des Beyblade géantes au plus fort de la rotation. Chaque attraction existe en deux versions, l'une "normale", que l'on peut trouver dans n'importe quel jeu du genre ; l'autre "impossifiée", version turbo générant plus de hype et d'argent qu'on a tout intérêt à débloquer.
On a pu reprocher à Park Beyond notre faible impact sur ces fameuses impossifications, et c'est vrai : on se contente d'upgrader notre attraction vers sa forme craquée avec un bouton. Mais ça reste amusant. Surtout, notre créativité est loin d'être bridée pour autant, puisque le jeu respecte par ailleurs les préceptes habituels du genre en 3D posés par RollerCoaster Tycoon 3 et surtout Planet Coaster, dont il reprend les logiques de prise en main. Avec, cependant, un twist (un autre). Planet Coaster, pour le citer de nouveau, souffrait quand même d'une interface parfois un peu pénible, notamment en ce qui concerne la création de montagnes russes et le placement des éléments décoratifs. Sur ces deux sujets en particulier, Park Beyond revoit sa copie pour proposer une ergonomie plus instinctive, sans pour autant sacrifier aux possibilités créatives. Typiquement, les attractions sur rails sont désormais d'une simplicité enfantine à construire : il suffit de cliquer à peu près n'importe où pour que le jeu façonne de lui-même le tronçon de rail nécessaire. En fonction de la proximité de votre curseur avec la fin du tronçon précédent, de la différence d'altitude et de l'amplitude supposée du virage, l'outil de création va proposer tout seul, comme un grand, le tronçon qui va bien : selon les cas, ça pourra être un looping, une inversion ou, au contraire, un ample virage ou une ligne bien droite. On garde seulement la main sur le fait d'utiliser une remontée à chaîne ou non, et le placement manuel de certains chunks prédéfinis selon les modèles (comme un décollage des rails pour un saut, parce que pourquoi pas). Et ça marche vraiment très bien.
Si ça marche aussi bien, c'est aussi parce que Park Beyond fait un choix audacieux, qui a eu ses détracteurs : il abandonne les données statistiques présidant à l'attractivité d'un manège, pourtant habituelles dans tous les autres jeux "sérieux" du genre depuis les productions de Chris Sawyer (G verticaux et latéraux, vitesse maximum, intensité de freinage...). Le mantra des développeurs ? "On s'en tape." Une attraction a trois publics : ados, familles, ou adultes. En fonction de sa zinzinerie, votre création s'adressera plutôt à l'un des trois. Mais ses sièges ne seront jamais vides à cause de son intensité. Plutôt que de pénaliser le joueur quand il construit des montagnes russes trop intenses, le jeu préfère le récompenser pour ses efforts créatifs, en mettant en place un astucieux système de "traits" : en fonction des pièces utilisées, de la longueur, du nombre d'inversions, du temps passé en l'air ou de la hauteur de ses remontées à chaîne, le jeu va donner à vos constructions des bonus de hype ou de rentabilité qui feront affluer davantage de visiteurs. Et c'est une très bonne idée : on n'est pas vraiment pénalisé pour faire des circuits complètement biscornus (cela n'aurait de toute façon pas eu de sens dans un parc avec des attractions où des yétis de 12 mètres de haut balancent des boules de neige sur les visiteurs), mais par contre, on a une survalorisation si on s'est appliqué à faire un beau circuit. Un beau circuit rendu possible par la souplesse de la prise en main, autant que par l'agréable marge de tolérance qu'autorise Park Beyond lorsqu'il s'agit de frôler une route ou de couper la pointe des cheveux du visiteur d'une attraction voisine : tant qu'il n'y a pas collision pure et simple, c'est autorisé, et au diable les normes de sécurité.
Niveau déco, Park Beyond est nettement en retard sur Planet Coaster, mais j'y vois un choix : l'ergonomie de ce dernier était quand même à se flinguer quand il s'agissait de personnaliser nos installations. Le jeu escamote ainsi toute cette dimension un peu casse-pieds, tout en laissant quand même l'habituel éventail de props à placer où on veut. On est ici dans une forme de simplicité appréciable, avec des objets nombreux classés en différentes thématiques (far west, confiseries, alpestre, futuriste, etc) mais qu'il ne s'agit "que" de balancer sur le terrain sans se prendre la tête avec les ensembles. Alors c'est vrai que les stations de montagnes russes apparaissent un peu nues par rapport à leurs voisines de Planet Coaster, que la direction artistique du jeu part un peu dans tous les sens et que l'esthète pourra trouver à redire sur le volet personnalisation de Park Beyond. Mais de mon côté, je l'ai trouvé largement suffisant et même préférable à des systèmes plus complets mais plus chiants, comme celui de Planet Coaster, donc, qui cassait trop le rythme et se transformait en session d'architecture sous outil auteur. Park Beyond préfère tenir la barre en direction du fun, et ça lui va bien.
Le jeu de Limbic opère d'ailleurs d'autres changements par rapport à son principal concurrent, qui peuvent sembler un peu bizarres au début, mais sonnent finalement comme des choix raisonnables avec un peu de pratique. Ainsi en va-t-il de la gestion du personnel, beaucoup plus discrète : on embauche, et basta. Pas de formations à gérer, pas d'augmentations à négocier, les bonshommes qui travaillent dans le parc se font gentiment oublier en se contentant de nous ponctionner notre fric en silence. Enfin, pas tout à fait : on peut, si on veut, les impossifier eux aussi, pour les transformer en super-videurs de poubelles ou en aspirateurs à ordures supersoniques (c'est amusant). Question employés, Park Beyond revient aux fondamentaux de RollerCoaster Tycoon en virant les couches de superflu amenées par Planet Coaster ou encore Parkitect, partant du principe qu'on est là pour construire et s'amuser ; et le choix s'avère, à mon sens, payant. Toujours dans cette philosophie, on note la disparition de la baisse d'attrait dans le temps, une idée de design foncièrement merdique de Planet Coaster qui est ici totalement évacuée (toutes les attractions garderont la même popularité pour toujours, sauf indirectement si les visiteurs sont drainés vers d'autres attractions plus populaires : c'est beaucoup mieux comme ça). Il en ira de même du système de campagne, qui, plutôt que d'attribuer un objectif unique pour chaque carte qu'on poursuit jusqu'à oublier, laisse le joueur piocher entre différents petits défis constituant autant de focus à court terme : c'est plus vivant et rythmé.
Des petits défauts, quand même ? Oh, oui. Park Beyond est étonnamment un peu mo-moche, avec un amoncellement de styles visuels disparates qui se marient parfois très mal entre eux. Mignon vu de loin, le jeu a tendance à montrer ses limites vu de près, notamment en vue subjective visiteur où on aura tôt fait de remarquer les textures baveuses, polygones flottants et autres couleurs grossièrement choisies. L'interface, même si elle est ergonomique, est également vraiment laide, au point qu'au début, on se dit qu'on va vite lâcher l'affaire si c'est pour se taper des menus aussi moches en permanence (grand prix du mauvais goût au doublé Arial/Comic Sans pour les polices d'écriture : ça mérite limite un point en moins). Et, pire chose au monde, Park Beyond a : UN SCENARIO, ouioui, avec des cinématiques gênantes, des personnages énervants et mal doublés qu'on a envie de taper et même des choix de dialogue dont le budget aurait mieux fait d'être alloué à autre chose. C'est sûr, le jeu est quand même moins classe que Planet Coaster. Mais en contrepartie, donc, il est vraiment beaucoup plus fluide. Et, à condition de faire attention à nos choix esthétiques, il n'est pas vilain non plus, et peut même devenir très charmant si on passe beaucoup de temps sur le même parc pour le densifier au maximum façon RollerCoaster Tycoon, quand douze circuits de montagnes font des nœuds entre une grande roue à trois étages et un bateau pirate qui tape des plongeons. Dans ces instants, on respire à pleins poumons notre réussite de concepteur-gérant, en regardant vivre notre parc pendant que grossit notre compte en banque. Malgré les outrances des attractions qui s'énervent aux quatres coins de l'écran, c'est un exercice relaxant, qui envoie au cerveau les mêmes hormones de bonheur que la concurrence, parfois en un peu moins bien, parfois en un peu mieux. Globalement, pour un studio inexpérimenté dans le genre, c'est un bel effort, qui saura sans peine amuser les plus jeunes, et évoquer aux anciens un mélange intéressant entre de la gestion/construction classique et les délires de LucasArts des années 2000 avec la série Thrillville, aujourd'hui tombée en désuétude, dont Park Beyond pourrait être le plus proche successeur spirituel.