Persona 5
8.5
Persona 5

Jeu de Atlus et Deep Silver (2016PlayStation 3)

Pauvre série tu fais, Shin Megami Tensei. Après avoir été phagocyté par ta propre progéniture avec la sous-série des Persona (SMT IV Apocalypse et SMT x FE en étant la triste conséquence), tu n'es plus que l'ombre de toi-même. Il faut dire que Persona 4 fut un sacré phénomène marketing : un remake, un jeu de rythme, deux jeux de combat, deux animes, des concerts et j'en passe, Persona 4 est un succès que beaucoup de studios aimeraient pouvoir répliquer. Pas étonnant qu'Atlus ait misé beaucoup sur Persona 5 et n'y soit pas allé mollo pour faire la promotion de ce 5ème opus.


Mais trêve de propos hyperboliques, le sujet de cette critique restant Persona 5. Annoncé officiellement en 2013 pour une sortie en 2014, finalement retardé de deux ans pour totaliser 5 ans de développement, Persona 5 s'est fait attendre au tournant. Tout ce temps aurait laissé présumer un jeu peaufiné jusqu'à la moelle. Hélas, malgré une forte première impression, Persona 5 ne dépasse pas la case du simple divertissement et sombre dans le rébarbatif ennui une fois le second chapitre entamé.


P5 nous met dans la peau d'un jeune adolescent se retrouvant hébergé sur Tokyo chez son oncle qui voit sa venue comme une charge supplémentaire pour laquelle il souhaite faire le moins d'efforts possible. Cerise sur le gâteau, notre protagoniste dispose d'un casier judiciaire, résultat d'un acte juste au mauvais endroit, au mauvais moment, face à la mauvaise personne. Casier judiciaire qui est bien prêt à faire forte (mauvaise) impression sur son environnement proche, notamment à sa nouvelle école. Qui plus est, il se retrouve vite confronté à l'un de ses professeurs, ordure harcelant ses élèves et abusant de son autorité envers quiconque s'opposerait à lui. Sans moyen de lutter contre lui dans le monde réel, le héros et quelques compagnons d'infortune découvrent cependant un monde alternatif conçu par le subconscient collectif, le Metaverse, via lequel ils pourront forcer leur bourreau à confesser ses crimes.


Le premier chapitre est probablement le mieux réussi. Le protagoniste est loin d'être en position de force, dans un contexte qui lui est carrément hostile : à l'exception de ses deux premiers alliés, toute l'école le voit comme un rebut de la société. La menace de l'expulsion est une deadline oppressante face à un antagoniste qui a tout fait pour être détestable au possible en plus d'être une idole locale. Là où ce chapitre brille tout particulièrement en comparaison de la suite tient dans les motivations du cast principal : le risque de transformer leur professeur en légume dans le cas où leur plan tourne mal est une question morale qui pèse sur le groupe jusqu'à ce qu'une tentative de suicide d'une élève harcelée ne les pousse à franchir le pas. La réflexion menant à cette décision est plus que crédible et rend le groupe plus humain, et les enjeux ne sont jamais aussi personnels qu'à ce stade du jeu.


Hélas, la suite du jeu échoue à la fois à avoir des antagonistes au même niveau et à faire valoir les motivations des personnages : suite à Kamoshida, le groupe décide alors de "punir les adultes corrompus" en allant répliquer ce qu'ils ont accompli chez d'autres personnes de leur choix, augmentant la taille de leur propre groupe à chaque chapitre. Et commence alors à se pointer un problème : quand bien même l'histoire se targue d'aborder des sujets particulièrement sombres (le premier chapitre traitait quand même d'un prof' harceleur sexuel), le jeu est terriblement puéril et simpliste dans ses développements : les méchants sont des caricatures sur pattes censés être plus immondes les uns que les autres, les gentils sont justes et si erreur ils commettent c'est parce qu'ils ont été piégés. La seule fois où le jeu remet en question les méthodes du héros, le jeu balaie cette question d'un revers de la main parce que d'après l'un des membres du groupe, ils ont "toujours agi du côté de la Justice".


"Justice", en voilà un terme intéressant de la part de justiciers masqués autoproclamés qui choisissent leurs victimes sur coups de tête ou au vote populaire et agissent à grands coups de lavage de cerveau. Par ailleurs, serait-ce moral d'enfermer quelqu'un s'il ne s'agit même plus de la personne à l'intérieur ? Tout un tas de questions qui seront laissés sous le tapis, parce qu'elles nuiraient à l'aspect "cool" que le jeu cherche à mettre en avant pour son protagoniste et les Phantom Thieves. Persona 5 cherche en effet à rendre ses protagonistes les plus "classes" possibles : il faut dire que la fantaisie de jouer des voleurs fantômes qui punissent les méchants dans l'ombre en se rebellant contre la société est tentante. D'autant plus que l'excellente présentation du jeu en combat à travers des animations travaillées, une interface stylisée etc. sont autant d'éléments qui rendent l'expérience entraînante. Le jeu est un immense bond en avant sur le plan visuel, et ses cinématiques "Anime" mises à part, il est un plaisir quasi constant pour les yeux. Mais le visuel ne vient malheureusement pas sauver une écriture au ras des pâquerettes.


Akechi est symptomatique de la simplicité avec laquelle le jeu traite le sujet d'une société corrompue en mettant le blâme sur les méchants adultes. Akechi est initialement présenté comme le rival détective du protagoniste, mais s'avère être un tueur psychopathe qui a décidé d'exécuter toutes les sales besognes de son paternel pour ensuite pouvoir le tuer par vengeance. Quand bien même le jeu présente Akechi comme parfaitement conscient de la monstruosité de ses actes, Persona 5 rejettera le blâme des actions détestables de ce personnage sur son père, parce que, après tout, papa il est méchant. Le jeu se torche tellement le cul avec sa responsabilité face à ses propres actions qu'il se fera inviter par un des héros à les rejoindre. Ce dit membre dont la mère a été assassiné par ce même personnage. Et après une "mort" tragique, Akechi sera traité comme martyr par le reste du groupe. Aberrant.


Morgana est un autre personnage particulièrement frustrant. Servant principalement d'outil scénaristique pour expliquer le fonctionnement du Metaverse, un point majeur du scénario sera causé par lui alors qu'il est de plus en plus inquiet vis à vis de son manque d'utilité au groupe. Et cette séquence est un désastre : Morgana se comporte comme une ordure sans réprimandes, le drama dure une éternité, et dans un jeu dont une mécanique centrale consiste à tisser des liens avec les membres du groupe et en dehors, il est impossible d'influencer cette scène quand bien même les signaux sont apparents depuis plus de 10 heures. Cette scène empiète en plus sur le développement d'un autre personnage qui devient secondaire dans son propre arc narratif.


Au delà de ces personnages, le jeu a une méchante tendance à abuser de certains clichés, le pire d'entre eux relevant des "fausses morts" : à trois reprises, le jeu présentera de façon dramatique la mort d'un personnage plus ou moins important, pour pouvoir tout juste la désamorcer quelques instants plus tard, voir immédiatement. Persona 5 exploite cette ficelle tellement mal qu'elle perd toute crédibilité instantanément, d'autant plus que le jeu se permet d'autres aberrations scénaristiques pour pouvoir vendre au mieux le drama. Le pire restant Morgana qui durant plusieurs mois in-game décide de ne pas retourner voir les protagonistes après sa "mort" et de traîner dans les rues parce que "ben ça aurait été gênant après mon discours".


Les problèmes de narration du jeu viennent hélas également affecter les Social Links, histoires secondaires permettant de renforcer les liens avec les autres personnages. En plusieurs séquences, elles permettaient notamment dans Persona 3&4 de faire développer le cast secondaire. Dans Persona 5 cependant, il est fréquent que les personnages fassent face à un problème que le protagoniste devra magiquement résoudre via le Metaverse. Ces sections ôtent tout développement possible des personnages puisque ces derniers n'auront aucun effort à faire de leur côté pour que leur situation s'améliore. La recherche de la coolitude du héros qui sauve tout le monde vient ici entacher fortement les social links, puisqu'à peu près un tiers d'entre eux souffre du problème. Certains Social Links abordent également des sujets graves avec une frivolité déconcertante, avec en prime une fille mineure abusée par ses parents, mais qu'on oublie une fois qu'on est allé "punir" les dits parents dans le Metaverse parce que "maintenant ses parents sont gentils".


Concernant le gameplay, si l'exploration des donjons a été grandement améliorée avec des donjons uniques plutôt que les générations automatiques des étages des précédents opus, la nouvelle mécanique du discrétion laisse fort à désirer : tant qu'on se trouve derrière l'un des points du décor marqués comme discrets, les ennemis seront incapables de vous apercevoir, quand bien même vous êtes cachés du mauvais côté d'une barrière avec votre ennemi à moins de 10 centimètres.


Les combats ont légèrement gagné en profondeur depuis Persona 4. cependant, si le jeu introduit de nouveaux attributs élémentaires et les guns, cela fait juste qu'il faut tester plus de faiblesses qu'à l'accoutumée quand on croise un nouvel ennemi. Néanmoins, le Baton Pass et la capacité de changer de personnage en plein combat offrent plus d'options qu'auparavant, et évitent de laisser des personnages au placard tout le long du jeu. On reste quand même loin des ténors du genre en terme de stratégie et customisation, et je recommanderai plutôt la série des Trails of dans le domaine.


L'aspect de gestion du temps reste similaire à ses deux prédécesseurs. On choisit au jour le jour (quand le jeu le permet, néanmoins) avec qui interagir, si l'on continue le donjon du chapitre actuel, ou si l'on va augmenter des stats sociales nécessaires pour débloquer certains social links. Le jeu permet également d'inviter des personnages à des endroits spécifiques, mais ces occasions sont rarement intéressantes car elles ne permettent pas d'avancer dans les rangs de Social Links. Chaque SLink dispose désormais d'un effet spécifique lié au personnage, y compris pour les ceux hors des Phantom Thieves. Ces bonus peuvent vous permettre de fuir plus facilement les combats, avoir plus de choix en magasins, etc., et servent à rendre chaque personnage unique, là où les SLinks de personnages secondaires dans les deux précédents jeux devenaient vite "dispensables" mécaniquement. Tous les SLinks ne se valent pas ici, par contre, et certains risquent vite d'être oubliés tant leurs bonus sont peu utiles. Mention spéciale à ce SLink qui permet de savoir ce qu'on aurait gagné si on avait passé du temps sur un SLink plus utile.


Persona 5 transpire le style à l'écran, mais toute sa coolitude est desservie par une écriture médiocre à en faire pâlir le reste de la série. Loin d'être désagréable à jouer (du moins, initialement), il a néanmoins bien peu à offrir en terme de profondeur. Son gameplay, s'il rehausse la barre dirons-nous particulièrement basse de cette sous-série, n'offre pas grand chose que de meilleurs JRPGs ne sauraient proposer. Derrière ses grands mots de rébellion contre la société, il n'offre pas plus qu'un fantasme de rebelle magique sans critique de la société qu'elle portrait. Au final, Persona 5 n'est rien d'autre que du style, sans substance. Et vu le succès que le jeu a reçu, il est bien parti pour recevoir le traitement Persona 4. Après tout, on a déjà le jeu de rythme, un remake, un crossover, un anime et même un Musou. Que demande le peuple ?


J'en profite pour recommander la série d'@Alex D. Wolf sur le sujet, de qui j'ai allègrement pillé le terme de coolitude : https://www.youtube.com/watch?v=pamvCofWxck
Ainsi que sa suite : https://www.youtube.com/watch?v=oCy9QVWR_I8

Souv
5
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le 19 avr. 2019

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Souv

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