Pokémon Épée
6.3
Pokémon Épée

Jeu de Game Freak, Nintendo et The Pokémon Company (2019Nintendo Switch)

Avant de commencer ce test, j'aimerais préciser que ma première expérience vidéoludique Nintendo a commencé sur Gameboy Color en 1998, avec les jeux Pokémon Rouge, Bleu et Jaune. J'ai depuis suivi l'évolution de la série en esquivant habilement Noir 2 et Blanc 2, ainsi que Ultra-Sommeil et Ultra-Nul.


Avant 2019, la série Pokémon a toujours été partagée entre son expérience sur console portable et console de salon. Généralement, la console portable accueille les "vrais" Pokémon, et, en exploitant des ressources plus importantes, les consoles de salons proposent des "one-shot" encadrés qui permettaient de restituer de manière plus fidèle les combats Pokémon, même quand c'était moche (Pokémon Colosseum et Pokémon XD par exemple). Cette division a longtemps été interrogée par les fans qui pestaient que quand même, Pokémon pouvait bénéficier d'un meilleur traitement technique sur console de salon, et que les représentations offertes par les consoles portables étaient malheureusement très limités. En effet, avec sa foule de quantité d'effets et de statuts, Pokémon version Rouge laissait une très grande place à l'imagination, et c'était totalement compréhensible sur une console 8 bits.


Quand Nintendo dévoile la Switch en 2017, compromis (presque) parfait entre console de salon et console portable, tous les regards se tournent vers le titre à venir le plus prometteur pour cette hybridation : c'est bien sûr la licence Pokémon. L'enjeu est de taille, puisqu'enfin, un support allait pouvoir concilier Pokémon dans sa technique et dans sa pratique, en bref, alors que les jeux s'adaptaient aux consoles, Pokémon bénéficie ici, pour la première fois, d'un privilège complètement unique qui ne se présente pas deux fois dans l'histoire d'une série de jeu vidéo. Patients que nous sommes, nous avons très bien accueilli l'épisode de remplissage Pokémon Let's Go (Pikachu/Evoli), vrai couloir pour le prochain Pokémon : un Rouge et Bleu simplifié, avec des graphismes modernes mais ultra-classique et volontairement non ambitieux, comme un miroir de ce qui allait nous attendre, c'est à dire la claque que devait être Pokémon Epée et Bouclier.


Malheureusement, ce n'est pas avec cet épisode que Pokémon fait sa mue, c'est même le contraire. D'aucun disent que "C'est très joli pour un Pokémon", comme si Pokémon pouvait exister comme une licence seule, sans concurrence, et que le jeu n'était pas vendu à prix fort, au prix d'un Breath Of The Wild ou d'un Super Smash Bros. Ultimate. Alors que les capacités de la Switch et sa résolution enterrent la 3DS (qui proposait encore des jeux en 240p jusqu'en 2018, ce qui est honteux), ce Pokémon semble toujours taillé pour cette dernière. Graphiquement, le jeu est à la rue et ne fait aucun effort pour gommer ses faiblesses et proposer un univers graphique au moins cohérent : on se retrouve avec un jeu moins bien dégrossi qu'un Free To Play sur portable, et à aucun moment c'est ok. Qu'importe que le catalogue de Pokémon soit trop imposant pour redéfinir les modèles, il ne fallait pas mentir là dessus, par contre, corriger une texture d'arbre digne de la Nintendo 64 sur laquelle tous les joueurs avaient hurlé à l'annonce lors d'un trailer aurait au moins été un égard. Le studio GameFreak démontre en tout cas ici qu'il n'est pas prêt pour produire des AAA destinés aux consoles de salon (mais vous refourguera quand même son jeu pour 60 balles).


En mettant en scène myriade de créatures plus ou moins fantastiques aux capacités plus ou moins dantesques, Pokémon a longtemps vécu par procuration, comme dit plus haut, les puissances des consoles portables ne suffisaient pas à traduire de vrais combats dynamiques et énergiques, mais le petit écran et la destination du jeu portable permettait facilement à tous les joueurs de se représenter et d'utiliser leur propre imagination. Recourir au même procédé devant mon grand écran plat en 2019 relève de la parodie, surtout après avoir joué à Breath Of The Wild, Super Mario Odyssey ou Luigi's Mansion 3 (et je suis gentil je ne cite pas Horizon Zero Dawn ou Red Dead Redemption 2). Et c'est là que Pokémon Epée et Bouclier se vautre complètement : les animations des personnages et des Pokémons sont globalement nulles, et, réutilisant des vieux modèles, déjà vues et datées. C'est quand même fou de voir que les Pokémon de Super Smash Bros. Ultimate sont cent fois plus vivants et dynamiques, cent fois plus proches de ce que l'on attend d'un Pokémon.


Les décisions de GameFreak laissent pantois sur de nombreux plans : la volonté de conserver le caractère Pixel Art -alors que c'est terminé en fait, les objets, les CT, les Pokémon dans les boites, les objets rares sont toujours représentés par de la bouillie de pixel. Mais le jeu ne se contente pas d'être globalement moche, il se permet aussi de ramer : naviguer dans les boites PC est un supplice puisque les Pokémon animés n'apparaissent qu'au bout d'un certain temps sur la droite de l'écran, et devront être rechargés si vous repassez sur le même Pokémon. Quand vous naviguez dans le Pokédex, il remplace les icônes de Pokémon par des icônes de Pokeball noire. La Switch ne doit en effet pas être capable d'afficher 400 minusucules sprites simultanément, peut être... Mais 10 ? C'est impossible ? Vraiment ?


Les combats n'ont bénéficié d'aucun soin : déjà, les décors lors des combats sont générés selon des modèles préexistants et se foirent bien souvent : vous étiez sur un pont ? le combat sera dans le désert, vous combattez à l'entrée de la ville ? le jeu balancera le décor de la route précédente : bonjour l'immersion. GameFreak, en 2019, pense que l'on peut par exemple montrer qu'un Pokémon dort en lui faisant simplement fermer les yeux, c'est encore plus magique avec des Pokémons qui doivent continuer de battre des ailes pour voler. On est ici sur un gros raté, puisque les combats étaient plus convaincant dans Pokémon Let's Go ! Les animations reprennent les modélisations des précédents volets et sont, à deux trois exceptions, complètements loupés et incohérentes sur grand écran, les Pokémon semblent attaquer comme s'ils étaient épileptiques, certaines attaques trahissent clairement leur animation par "déplacement dans l'axe", ce qui fait doucement sourire. Game Freak se contrefout de la physique, et ainsi les personnages et les Pokémon hors combats semblent comme sur des rails, tournant sur eux même en bougeant les jambes et s'arrêtant net. La cerise, c'est la définition du jeu (720p) qui aurait pu tourner en 1080p sans problème, mais bon. Assez navrant, les nouveaux Pokémon (aux looks plutôt réussis dans l'ensemble), se retrouvent condamnés à ne pas évoluer graphiquement pour rester en norme avec les autres et accusent d'un retard technique patent (regardez avec attention les oreilles de Moumouton par exemple)


Au niveau de la carte et du terrain à explorer, les Terres Sauvages tout d'abord, vous replongerons avec nostalgie dans The Legend Of Zelda : Ocarina Of Time. C'est diantre vide, c'est moche, les Pokémon n'apparaissent pas à moins de trois mètres et on voit globalement à peu près rien. Les décors répétitifs de cet espace en fond un concept mal dégrossi, qui n'arrive pas à créer un univers cohérent de Pokémon. C'est bien beau de produire toute une littérature de définition avec le Pokédex qui nous parle essentiellement du rapport singulier de chaque Pokémon à son environnement, si c'est finalement pour en balancer des brouettes qui se comportent n'importe comment. Alors oui, c'est plaisant de voir les Pokémon se balader vraiment dans les hautes herbes, mais là, encore, ça réussit à se foirer : les Pokémons arrêtent de bouger dès que vous franchissez un palier ou montez à une échelle, et, la cerise, c'est que les Pokémon Shiny apparaissent avant le combat comme des Pokémon de couleur normale (vraiment, vraiment très sérieusement?). On attendait avec ce Pokémon logiquement des villes d'ampleurs avec des choses à faire, des recoins à explorer et toutes ces petites subtilités qui permettent d'enrichir l'univers de Pokémon (ce qui est présent dès les premiers jeu), mais la déception sera de taille : les villes sont minuscules (enfin, tout du moins la partie accessible), les maisons sont des copiés collés cheap. Et cela empire avec le temps, la ville du sixième badge compte deux maisons, un centre Pokémon et l'arène, celle du septième badge ne compte qu'une seule arène, et c'est bien dommage puisque chaque ville peut se targuer d'une ambiance unique, malheureusement, on restera dans un rapport très superficiel. Le soft ne comprend aucune ville parmi les 8 premières qui soit aussi dense que Céladopole sur Pokémon Rouge et Bleu, il y a vingt ans.


Mais Pokémon Epée Bouclier est aussi assez mal écrit, je proposerais vraiment à Game Freak de proposer une version optionnelle du rival, puisque ça devient très fatiguant de se coltiner un abruti patenté qui fait jamais le boulot, fait toujours pitié et pense te motiver alors que l'aspect solitaire de la quête dans Pokémon est beaucoup plus intéressant. Je comprend que le scénario soit destiné aux enfants, mais enfin quand même, quand votre rival, petit frère du champion de la région, tente de récupérer son inscription à la course aux 8 badges, il répond au réceptionniste, sceptique devant le jeune âge de ce dernier, qu'il a obtenu une autorisation de son grand-frêre pour y participer. N'importe quel réceptionniste crédible aurait pointé du doigt la collusion et le favoritisme dont il bénéficie et aurait déclaré nul et non avenue la lettre de recommandation, mais non, Pokémon ne lit définitivement pas Bourdieu. L'aventure, polluée donc par votre rival insipide qui vous défie après chaque arène sera complétée par un autre rival, dédaigneux mais qui malheureusement débouche sur un pétard mouillé, une trame principale qui ne deviendra compréhensible qu'à la toute fin et les interventions du seul personnage agréable du soft, la jeune professeure rousse, assez impeccable et un peu moins niaise que l'ensemble.


Pokémon Epée et Bouclier n'a pas réussi la mue de son gameplay, sa mue graphique et scénaristique pour s'engoncer dans "Je suis un énième Pokémon de la génération 3DS". Plutôt que d'être une vraie force dans le catalogue Nintendo, il se présente plutôt comme un sempiternel Pokémon "cheap", en retard par rapport à tout ce qui se fait, et ça peine à briller. Il y avait plein de bonnes idées, le design des personnages commence à se rapprocher de quelque chose de vraiment fort et impactant, mais les moyens ne sont pas là. Il s'agirait peut être de faire comme avec Zelda, tout effacer et recommencer de zéro (y compris vos modèle 3D, qui sont trop datés), pour devenir un vrai fer de lance et réussir à peser sur la console de salon comme les premiers volets avaient pesé sur le portable. Sympa et guimauve, Pokémon Épee manque clairement de contenu, semble avoir été développé sur le tard et en vitesse et laisse un énorme sentiment de vide, même si les qualités intrinsèques de la série (dont la musique, même si le thème de foule du Dynamax fait un peu pitié) l'empêchent d'être une monumentale bouse.


C'est sympa GameFreak, mais ça commence sérieusement à sentir le réchauffé. Pokémon Épée peut se targuer au moins de rejoindre la trilogie des JRPG moches de la Switch, avec Fire Emblem : Three Houses et Xenoblade Chronicles 2


PS :
- Heu, maintenant qu'on a montré que nos graphismes sont vraiment pas ouf et que nos modèles sont fatigués, qu'est-ce que tu proposes ?
- On va faire un truc avec un nom genre "dino" et les afficher en très, très grand.

Mesdames et messieurs découvrez la nouvelle fonctionnalité Dynamax!

Theo_Atm
6
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le 25 nov. 2019

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Théo Altman

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