Post Void
7.3
Post Void

Jeu de YCJY Games et Super Rare Originals (2020PC)

Des fois c’est vrai, le jeu-vidéo rend violent.
Tenez, par exemple, je viens de passer deux heures à jouer à Post Void. Je le sais parce que je me rappelle l’avoir lancé à 13h30 et que maintenant il est 15h30. Les crédits défilent sous mes yeux tandis que je me gratte compulsivement les mains. Y’a que trois noms dans ce générique, c’est pas beaucoup, en huit secondes c’est plié.
L’écran fond au noir et me montre un type tout ahuri. Sa trogne est parcourue de secousses musculaires, on dirait qu’un truc en dessous cherche à s’échapper. Il se met à dégouliner du nez, des oreilles. Une substance blanche et lumineuse s’écoule, en abondance dès une poignée de secondes. Maintenant ça sort de sa bouche, et même de ses yeux. Je vois plus rien, j’ai peur, je vois plus rien.


Stay hydrated bitch


Ah non attendez. Ouais ok, en fait tout va bien. Je n’ai fait que relancer une partie à la seconde même où je l’ai pu. Pfiou, j’ai bien cru perdre les pédales, et pour de bon cette fois. Alors que bon, je ne fais que jouer à un excellent shooter.
Ce n’était donc pas le reflet de ma tronche que je voyais se liquéfier telle la plus immonde des oranges pressées, ce n’était que ma barre de vie – sous la forme inhabituelle d’une tête décapitée que l’on tient de la main gauche. Gravité oblige, le récipient se déverse promptement à même le sol. Surtout que cette boite crânienne n’a pas l’air d’être la plus développée du règne animal. Il faut donc la maintenir à flot, et vite, sous peine de décéder, tout simplement.
Afin d’éviter ce désagrément, la solution est simple et expéditive. Nous sommes dans un jeu-vidéo, l’idée est donc de zigouiller tout ce qui bouge. Car si la précieuse ressource que nous convoitons est cette glu vitale, il semble alors assez logique que l’on puisse en dénicher dans tout être sentient.
De toute façon, tout ce que nous avons à disposition c’est un flingue et un cardio incroyable, et ce que nous n’avons pas c’est le temps de niaiser.
Alors dans le doute, et à défaut d’une meilleure idée, tirons sur le premier truc qu’on croise. Tiens, un type en costard, piou piou. De la glu s’en échappe, vient remplir la tête, s’écoule aussitôt. Ça fonctionne à peu près, ça suffira. On dirait bien qu’on n’a pas le choix, c’est parti pour un bon vieux carnage.


C’est la même chose que dans Dead Space, vous savez bien avec tous ses machins intradiégétiques ou j’sais pas quoi. Eh bien là c’est pareil, sauf que ta barre de vie te regarde droit des les yeux dans un memento mori à l’échelle si courte qu’il n’y a pas le moindre échelon sur lequel se reposer.
Tout cela laisse penser que Post Void a englouti puis digéré le Doom de 2016 et pousse son idée de tuer pour récupérer de la vie jusqu’à son retranchement le plus retranché. Et ça marche tellement bien.


Run n’ gun


L’expérience proposée n’est donc rien d’autre qu’une constante agonie. Aussi frénétique soit-elle, ce n’est pas une vie. Pour y mettre un terme, on peut toujours accepter notre sort, succomber et fermer le jeu. C’est une solution, vous êtes libre d’opter pour elle mais soyons franc une seconde : Post Void est une drogue dure. Ce n’est pas si simple de s’en détourner. Les runs s’empilent comme qui rigole. À un rythme à peu près aussi taré que le jeu lui-même.


Ce qui me fait penser ; ai-je précisé que mort est synonyme de retour à la case départ ? En cela, on passe d’ailleurs pas loin du rogue-like – d’autant que les niveaux sont générés procéduralement et qu’à chaque fois que l’on en achève un, on nous propose un nouveau skill ou flingue – mais le die-and-retry semble tout de même être le maître-mot. C’est juste qu’il n’y en a qu’un seul de niveau. Enfin, il s’agit plutôt de trois actes, chacun composé de cinq micro-niveaux, qu’on doit enchaîner d’une traite si on veut en voir le bout. Ce qui prend théoriquement même pas dix minutes à traverser. En prenant en compte les multiples embûches qui vous renverront à la ligne de départ, comptez plutôt deux bonnes heures.
Excellent point que cette modeste durée de vie. Deux heures cathartiques durant lesquelles on prend rapidement du galon. En préambule, on nous brusque comme des bleus, mais il ne faut pas tant de temps pour que l’on devienne une machine de guerre. Le crâne devient quant à lui une fontaine de glu. Le robinet est ouvert à fond, ça se rempli et se vide avec une fluidité aussi impeccable que le game flow qui nous ballotte à l’envi.
Le climax du titre se révèle donc au bout d’une seule session de jeu. Voilà pourquoi la meilleure solution pour mettre un terme à notre agonie est de persévérer à la façon du plus lourdingue des pick-up artists. Allez au bout, arrachez le pansement, cela ne sera bientôt plus que le meilleur des mauvais souvenirs.


Trop de jeux se consomment comme des marathons. Ils prennent trois plombes, font le tour de ce qu’ils ont à proposer bien avant leur dénouement. Et parfois, c’est chiant.
Post Void c’est un sprint. Et c’est pas loin d’être littéral parce que, à part tirer et glisser, c’est tout ce qu’on peut faire sprinter. On fonce comme un dératé jusqu’à l’arrivée tant qu’il n’est pas trop tard.
Parce qu’il est très difficile de survivre plusieurs minutes durant alors que l’on est en perpétuel hémorragie.
Dans un tel contexte, il serait débile que la partie s’étende plus qu’elle ne le fait. Dès lors que nous nous sommes familiarisé avec les différents systèmes, que nous savons éliminer efficacement les quelques ennemis que nous croisons, rien ne sert plus de nous retenir. On lâche la bride, on fend le circuit comme un éclair. On a gagné. GGWP à nous.


Escape (from the) game


Si ça vous intéresse, mon humble avis dit que Doom et Doom II font partie des seniors du jeu-vidéo ayant le mieux vieilli. Si j’y joué là, maintenant, tout de suite je serais confiant quant au fait que j’y prendrais du plaisir. Franchement, ils sont assez imprenables. Mais si y’a bien un truc sur lequel on peut les reprendre, et méchamment, c’est bien sur leur level-design labyrinthique qui n’a rien à foutre là où il est. On est là, tout ce qu’on demande c’est tirer sur des trucs mais à la place on passe la moitié de notre temps à errer comme des âmes en peine dans des décors en carton-pâte déprimants.


Le rapport avec la choucroute c’est que Post Void est un Doom-like.
Il en a l’esthétique technique : les murs font des angles-droits et n’ont pas l’air plus épais qu’une feuille de papier. Le bestiaire se présente sous forme de simples sprites et a la même dynamique complémentaire. Question tir, on est sur du hitscan quand on arrose, mais pas dans l’autre sens de sorte à ce que l’on puisse taper des petites esquives. Voilà, globalement, les cases du genre sont cochées.
Là où je veux en venir, c’est que le jeu a aussi l’audace de récupérer l’aspect dédale confus et bordélique qui faisait la disgrâce de ses modèles, et en fait un véritable atout dans son design. En voilà un de move qui tient du génie.
On traverse des plâtrées de couloirs qui ont la même gueule surréaliste, à toute berzingue, le moindre mouvement de caméra peut suffire à une rotation complète et complètement esthétique ; alors que les niveaux nous mettent sous le nez un nombre de cul-de-sacs qui s’en va croissant à mesure que l’on s’approche de l’arrivée. En clair, le jeu met notre orientation à l’épreuve.
Au moindre fléchissement dans notre concentration, on perd nos moyens et on rebrousse chemin sans même s’en rendre compte, ou alors on ne repère pas une sale bestiole qui traîne dans un quelconque angle mort. Ce genre d’erreur ne pardonne pas, c’est le game over assuré.
Une bonne run ne se produit donc que lorsque l’on ouvre grand ses mirettes et ses esgourdes, que rien ne nous échappe. Les headshots sont instantanés, pleuvent sans discontinuer. Le sprint et les glissades se font dans la bonne direction, sans hésitation. Alors, là on devient un torrent, une force de la nature qui coule tranquillement sur son chenal. On est à notre place, on embarque tout sur notre passage comme si nous n’avions toujours fait que ça. Pure jubilation.


Du Riff-ifi chez les épileptiques


Post Void fait ce truc que j’aime bien et que font certains jeux exceptionnels. C’est quand gamer et controller ne font plus qu’un. Bien belle analogie, pas mal pour clore mon pavé.
Ici, le phénomène est créé à partir d’un contexte tendu dans lequel on est en décrépitude continue. Seule issue, parvenir à l’extrémité du parcours avec la plus grande célérité. Or, le jeu va faire tout ce qui est en son pouvoir pour nous désorienter et nous faire perdre la boule. Les décors, dénués de points de repères stables, gerbent les mêmes couleurs impossibles que Lucy a du apercevoir dans le ciel. L’unique morceau de la bande-originale (d’ailleurs le voici), dans un ton assorti et qui tourne en boucle dans notre crâne, n’aide pas à garder son sang-froid, je vous l’assure.
Post Void n’est pas pour autant qu’un énorme sadique. En vérité, il se la joue un peu Miyagi. Il nous en fait, certes, voir de toutes les couleurs et plus encore. Mais sa volonté est que nous le dépassions, ce qui ne manque pas d’arriver. Dès lors, c’est une transe. Marque des grands die-and-retry, on se sent invincible et tout-puissant. Je sais pas vous mais moi je vais pas cracher sur ce sentiment de contrôle sur ma vie, on en a tous besoin de temps en temps.
Sinon, vous sentez que j’ai kiffé ou pas ?

truculento_dantes
8

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Créée

le 9 mars 2022

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