Shin Megami Tensei Devil Summoner Raidou Kuzunoha VS The Soulless Army. Ceci voyez vous, c’est le nom original de ce spin-of de la série des Shin Megami Tensei. C’est long comme titre. C’est très long. Mais c’est moins long que le temps qu’il aura fallu attendre pour pouvoir enfin reposer ses mains dessus, presque 20 ans. Les Shin Megami Tensei c’est ma série de JRPG de cœur (ici on est bon esprit et on ne se livre pas à la gueguerre entre Persona et SMT, on aime les deux pour leurs qualités et ambiances respectives). J’en ai fait beaucoup et je n’avais pu m’essayer qu’une après midi à cet épisode PS2 chez un pote durant mon adolescence (Coucou Nico !). Alors autant dire que les souvenirs étaient nébuleux et que l’envie de le découvrir en entier était incroyablement grande.
Ce qui est curieux c’est qu’en septembre dernier avait fuité le dépôt de brevet d’une « Raidou Collection » et que c’est finalement ce premier opus seul qui débarque… Connaissant Atlus et son amour de l’argent je supposerai bien que la décision a finalement été prise de les sortir indépendamment à 50€ chacun afin de rentabiliser au maximum le projet et peut être avoir un Raidou 2 à caser dans une période de creux…. Avec un Persona 4 Revival qui prendrait un peu plus de temps que prévu… Je dis ça juste comme ça ! Imaginons que cet épisode remasterisé ait pu jouir d’un soin tout particulier (ravivant ainsi la douleur du remastered de Shin Megami Tensei III…). Imaginons que les petits plats aient été mis dans les grands et que l’on soit face à un vrai bon travail de restauration et de dépoussiérage. Ce serait fou ! Et bien il se trouve que nous sommes justement dans cette timeline la, celle où Atlus garde un peu de blé pour SMT au lieu de tout mettre dans des spin-of opportuniste de Persona.
KILL ME PLEASE
La série Raidou Kuzunoha se veut très différente de l’expérience offerte par un Shin Megami Tensei en général. La différence majeure étant l’abandon du tour par tour au profit de combats plus orientés actions mais j’y reviendrai plus bas.
Le jeu nous place en l’an 20 de l’ère Taisho (1931), le hic c’est que l’ère Taisho s’est finie en 1926 ! Cette petite accroche scénaristique est une évidence pour un public japonais mais l’est moins pour l’occidental non féru de l’histoire du pays. Nous y incarnons Raidou Kuzunoha XIV, un invocateur de démon. Le début du jeu nous mettra aux commandes du personnage alors qu’il termine sa formation, l’occasion de s’initier aux rudiments du gameplay. Raidou est au service de Yatagarasu, une organisation qui semble veiller sur l’avenir du Japon. On nous demandera rapidement d’intégrer l’agence de détective Narumi, spécialisée dans les cas « particuliers » autrement dit à consonance surnaturelle…
Une jeune lycéenne débarque dans notre agence avec une bien curieuse demande… La tuer ! Alors que l’on essaie de comprendre ses motivations elle se fait kidnapper par d’étranges soldats… Une intrigue qui a le mérite de pas mal titiller notre curiosité et je trouve que l’histoire est un des bons points de cet épisode. Le jeu aura quelques twists plutôt bien sentis et même une dernière partie bien barrée dans son ampleur. Il se dégage du jeu une ambiance particulièrement unique à la fois par son contexte historique mais aussi par ce coté « détective » propre à la série Raidou. Un avertissement néanmoins (qui risque de revenir plusieurs fois) on reste face à un jeu PS2 remasterisé. La narration est donc d’époque, en allant à l’essentiel. Les personnages ne sont pas des exemples de psyché ultra profonde, chacun d’eux est un personnage fonction, un archétype typique du canevas narratif à la japonaise. Raidou fidèle à la tradition des héros de JRPG ne parle même pas. La réussite est selon moi dans le déroulé de l’enquête qui nous donne la sensation de tirer les fils les uns derrière les autres de façon très efficace.
PAS DE TOUR PAR TOUR, MAIS DE L'ACTION ?
Je l’évoquais plus haut, les combats se veulent radicalement différents de ce à quoi Atlus a pu nous habituer. Ainsi on rencontre nos adversaires directement en explorant. Le contact avec l’un d’entre eux nous envoie dans une arène dans laquelle on se déplace librement. Raidou peut donner des coups d’épées faible (carré) et fort (triangle). Les coups faibles redonnent des points de magies, les coups forts favorisent les critiques mais ne restaurent pas de magie. Utiliser un sort (R2+symbole) de la faiblesse élémentaire de l’ennemi le paralyse quelques secondes et maximise les dégats + chances de critiques. Dans ces combats on peut être aidé de deux démons qui se gèrent tout seul hormis quelques petites subtilités. Par exemple il est possible de les mettre en position d’invincibilité si une grosse attaque se prépare mais ils n’attaqueront alors plus. Il suffit pour cela d’appuyer sur L3 ou équivalent de votre manette. On appuie de nouveau et ils repartent à l’attaque. L’arme à feu est un peu anecdotique hors ennemis très circonstanciels. On peut aussi bloquer les dégâts pour les minimiser ou effectuer des roulades qui, si elles sont faites à la dernière seconde, offrent la possibilité d’une contre attaque. Sur l’original, seul un démon nous accompagnait et le tout était beaucoup moins dynamique. Globalement est-ce que ça fonctionne ? Alors oui MAIS on sent que ce n’est pas la que se trouve l’expertise d’Atlus. En ressort quelque chose d’efficace mais aussi de plus brouillon, superficiel et qui consiste dans les grandes lignes à du « buttons smashing ». On martèle les attaques faibles et fortes entre deux sorts le temps du cooldown. Les boss peuvent demander un peu plus de prudence surtout à cause de leurs grosses attaques. Mais si on se fait avoir une fois, la deuxième fois on leur roule dessus. D’ailleurs de façon globale le jeu est résolument facile. A noter aussi qu’un arbre de compétence sous forme de forge d’épée a été ajouté. On peut améliorer sa lame afin d’apprendre de nouvelles techniques actives ou passives et augmenter la puissance de nos attaques.
UN JEU HYBRIDE
Dans la série Raidou, la proportion des combats n’est pas la même. Elle est moins « centrale », on fait globalement beaucoup moins de combats que dans un JRPG classique car l’ensemble est à mi chemin entre le jeu d’enquête et le RPG. Il est amusant de constater que ce premier volet était sorti initialement au Japon en Mars 2006 sur PS2 suivi quatre mois plus tard d’un certain Persona 3. Deux jeux dont les formules semblent avoir pour mot d’ordre l’hybridation des genres. Si Persona avait opté pour un mélange dating sim / vie lycéenne / JRPG, Raidou s’était lui risqué au jeu d’enquête / aventure / JRPG.
Pour revenir à l’aspect moins prépondérant des combats, il existe d’ailleurs pas mal de petits ajouts afin d’éviter toutes formes de levelling forcé. Les failles à refermer sont des combats qui rapportent 4x plus d’XP et 8x plus d’argent. Lorsque vous avez 10 lvl de plus que les ennemis vous pouvez les tuer d’un coup sans que le combat ne se lance avec XP, argent et récompense comme si vous aviez fait le combat. Il suffit alors de tourner en rond 10 minutes en martelant carré pour farmer en un clin d’œil… Puis il y a aussi le terrain d’entrainement, une zone de 10 étages avec des ennemis toujours plus coriaces.
Le fait que dans l’équilibre global, les combats soient moins centraux aide un peu plus à accepter leur aspect rudimentaire. Cependant Atlus n’a pas démérité car le travail pour retaper tout ça est franchement la et c’est beaucoup plus plaisant qu’à l’époque. On en revient donc à mon avertissement précédent, Raidou Remastered reste structurellement un jeu PS2 il ne faut jamais l’oublier.
Qui dit SMT dit démons et fusions. Ainsi on retrouve la mécanique de fusions de démons propre à la série mère. Pour la capture, la aussi on est face à quelque chose de beaucoup plus direct. Pas de négociations, on attrape les démons à la volée juste en ayant assez de points de magies. Faire des combats procure également des points d’affinités qui améliorent notre relation avec nos créatures (qui nous donneront un objet à terme). Plus on en obtient, plus cela améliore le rang d’invocateur de Raidou et donc le nombre de démons max que l’on peu avoir sur soit.
Le jeu se découpe en chapitres qui alternent entre exploration/discussion puis un petit « donjon ». Si je mets des guillemets c’est parce que primo, il s’agit souvent d’une version alternative d’un quartier que l’on connait déjà et secondo parcequ’ils ne font que quelques écrans. Pour la partie exploration / enquête il sera parfois nécessaire d’avoir des démons aux capacités spécifiques. C’est une des particularités de la série, un démon vous accompagne dans votre exploration et il vous faudra utiliser leurs capacités sur le monde qui vous entoure afin de résoudre les mystères. Par exemple attraper un objet en hauteur grâce à un démon ayant la capacité « Vol ». Certains peuvent fouiller et faire apparaitre des objets qui sont cachés. D’autre encore peuvent influer sur les gens et les faire parler… Ceci oblige à pas mal d’aller retour dans les menus pour invoquer le bon démon etc mais on s’y fait. On aura également des petits « dossiers », à savoir des quêtes annexes (44 + 1 en NG+) qui peuvent se faire très rapidement (tuer des ennemis, créer un démon particulier, aller chercher des objets… du classique).
En termes de durée de vie j’ai mis 25 heures pour faire le jeu + toutes les quêtes annexes. Une durée de vie plutôt raisonnable qui indique la aussi que le jeu est un hybride, une expérience atypique et pas un pur JRPG.
DU PUR ATLUS DES ANNEES 2000
Qui dit Shin Megami Tensei de cette époque dit aussi des designs de personnages par Kazuma Kaneko (à qui l’on doit une majorité du bestiaire culte de SMT / Persona rappelons le). Pour ma part je suis absolument fan de son travail bien plus tranchés et « arti » que celui de Soejima sur Persona (que j’aime beaucoup aussi néanmoins). Le travail de Soejima se veut bien plus accrocheur naturellement avec des personnages beaux et stylisés à l’extrême (observer la mode Tokyoïte l’inspire beaucoup), lorgnant fortement avec l’animation japonaise. Par exemple Futaba l’hikikomori de Persona 5, en dépit du fait qu’elle soit une geek qui vie recluse chez elle, dégage une forme de coolitude. Ses grosses lunettes, son casque audio AKG et ses cheveux roux parfaitement lisse créé une petite dissonance entre ce qu’elle est censée nous raconter et ce que l’on voit. Kaneko avec ses traits plus angulaires, ses teints blafards et ses yeux aux forts contours noirs créé des personnages aux designs plus déstabilisants, étranges, comme des poupées de porcelaine. Une affaire de gout mais que voulez vous, j’ai pris le choc SMT III en pleine poire à l’époque et j’en suis tombé sous le charme.
A la bande son on retrouve Shoji Meguro dont les lignes de basses sont reconnaissables entre milles. Les pistes se veulent moins électriques que ses autres travaux afin d’éviter une dissonance avec le récit d’époque que l’on nous raconte. Et pour cause certaine piste ont un coté délicieusement rétro à l’image de ce petit gingle lors de l’apparition du nouveau chapitre qui confère un coté feuilleton fort à propos ! Pas une de ses bandes son les plus marquantes mais toujours un travail plein de personnalité.
ET ENSUITE ?
Maintenant que le second épisode Kuzunoha VS king Abaddon est un secret de polichinelle, il s’agirait de nous ressortir les Digital Devil Saga ! Avec le même soin et en un seul jeu tant qu’à faire… Atlus avait fait un sondage au japon pour connaitre quels jeux de leurs catalogues les fans aimeraient le plus. Les Digital Devil Saga étaient arrivés avant dernier… Je garde espoir mais aussi raison quant à la concrétisation de mon fantasme de fanboy. Cependant dans ce classement, juste apres les Raidou il y avait…. Shin Megami Tensei IV et Apocalypse ! Et ça non plus on ne cracherait pas dessus !
J’ai entendu et lu que ce Remastered de Raidou aurait pu être appelé Remake. Je ne suis pas vraiment d’accord avec cette affirmation. Si on peut largement se réjouir du travail abattu par Atlus (pas vraiment habitué à faire ça bien, coucou SMTIII) il n’empêche qu’en dépit d’une expérience largement fluidifiée on reste face à un jeu de son époque. Et c’est au contraire en y allant en ayant cela en tête qu’on peut pleinement prendre conscience de ses multiples qualités (du jeu d’époque et de la remasterisation impeccable dans son respect et ses choix judicieux).
Atlus nous offre un petit morceau de son histoire via cette capsule temporelle retapée avec talent. Un jeu qui date d’un temps où l’expérimentation avait encore cours et qui témoigne d’une ère où Atlus avait fait de l’hybridation, son crédo créatif. Une aventure de 25 heures dans un Japon début XXéme, à l’ambiance forte, unique, portant quelques stigmates du temps qui passe mais dont l’audace reste intacte. Quand on aime jouer à l’archéologue du jeu vidéo, pouvoir le faire dans ces conditions, sur un titre aussi obscur, c’était totalement inespéré.