Le retour du gars qui nous saoûle avec ses trucs de pirates !

Test publié sur le mag de MO5.COM

Aaaaaah Monkey Island ! Cette saga a été initiée par Ron Gilbert, Tim Schafer et Dave Grossman en 1990. En effet, le premier jeu de cette série, Monkey Island, est sorti sur Amiga, Atari ST, MS-DOS mais aussi sur Mac et FM Towns ou encore Mega-CD et cela ne nous rajeunit pas ! Cela fait 32 ans que ça dure…enfin, ça aurait pu ne pas être le cas.

Si sa suite, LeChuck’s Revenge, est sortie juste un an plus tard en 1991, les fans ont connu une première période de disette de 6 ans avant de connaître un troisième épisode suivi par le 4ème en 2000. C’est avec ces jeux qui n’ont pas connu le même succès qu’une première décennie sans Monkey Island est arrivée. Les années 2009 et 2010 ont connu le jeu épisodique de Telltale et une réédition remasterisée des 2 premiers mais les fans en étaient restés et étaient à peu près persuadée que c’en était fini de leur saga préférée : non seulement on ne voyait rien venir mais en 2012, Disney rachète Lucasfilm et donc Lucasfilm Games et presque tous ses projets sont enterrés, Monkey Island y compris.

À partir de ce moment-là, même lorsque Ron Gilbert esquissait l’ombre d’une pensée de reprendre leur célèbre saga, il était persuadé que JAMAIS Ô GRAND JAMAIS, la firme aux grandes oreilles laisserait les droits d’une IP à des hurluberlus pareils ! Et pourtant…

Pourtant, Ron connaît Nigel Lowrie de Devolver qui lui-même connaît John Drake, responsable des attributions de licences Lucasfilm. C’est ainsi que Disney accepte que Terrible Toybox développe et Devolver publie un sixième jeu Monkey Island. Même si Ron ne possède toujours pas l’IP du jeu et sans même avoir besoin de recourir à une campagne de financement participatif, une simple conversation pour la licence et un coup de fil pour le jeu auront suffi à lancer ce nouveau projet. Et, en effet, Ron appelle alors, en décembre 2019, Dave Grossman qui accepte avec enthousiasme de travailler sur le jeu.Mais Monkey Island n’a jamais vraiment quitté l’esprit de Ron Gilbert puisque celui-ci, en 2013, publie un post de blog intitulé : « If I made another Monkey Island ».

Outre les disclaimers assurant qu’aucun jeu n’était en développement ni même dans les cartons, il détaille ainsi 17 points qu’il respecterait pour un éventuel nouveau jeu. Mais comme il l’a rajouté lui-même depuis, il s’est écoulé 9 ans entre temps et lui et sa vision du jeu ont bien changé. Il ne faut donc pas prendre pour argent comptant ce qui est écrit. Il est tout de même intéressant de noter qu’il aura réussi à respecter environ la moitié d’entre eux. Malheureusement, pas celui stipulant qu’il sortirait une version boîte du jeu !

Deux ans et demi plus tard, l’équipe d’environ 25 personnes accouche donc non pas de Monkey Island 3a mais de « Return to Monkey Island ». C’est donc encore une longue période de disette que les fans auront connue, 11 ans cette fois-ci. Une période si longue que beaucoup, moi le premier, pensaient que c’en était fini de la saga. Quel bonheur que de voir encore un jeu sortir. Mais avant de le sortir, encore faut-il l’annoncer. Pour cela, l’esprit retors de Ron Gilbert propose à Dave Grossman de faire l’annonce un premier avril. Après une certaine hésitation, ce dernier accepte. Mais elle ne sera pas faite n’importe où : dans le blog de Ron Gilbert sur lequel il poste tous les 1er avril depuis 2004 qu’il déteste les poissons d’avril et que JAMAIS il n’y en aura un sur son blog. Cela crée évidemment une confusion et une excitation chez les fans qu’il confirme quelques jours plus tard, toujours de façon humoristique, évidemment. Dans ce même blog, il souhaitait ne pas envoyer de copies à la presse en avance. Un vœu intéressant et qui s’est réalisé avec le mag de MO5 en tout cas ! (Comment ça, je cherche des excuses à la publication de ce test plus de 2 mois après sa sortie ?? Nooooooooooooooooooon).


Le jeu sort finalement fin 2022 et la première chose qu’on remarque, c’est évidemment la direction artistique ! Oui, le choix du design a fait couler beaucoup d’encre et n’est certainement pas dans le style « basse résolution améliorée » mentionnée par Ron dans son blog mais cela n’empêche pas ce style d’avoir beaucoup de charme. Il m’a moi aussi surpris dans un premier temps.

Mais les choix opérés dans la conception de ce style sont vraiment proches de l’esprit du jeu et de la saga tout entière. Les proportions des personnages, les couleurs, l’absence de lignes perpendiculaires, les aplats et les textures, tout ça me donne l’impression d’une longue réflexion entre Ron, Dave et Rex Crowle, le directeur artistique. Ils ont réussi un mariage improbable entre le monde de Monkey Island et le style de Day of the Tentacle.

Environnements intérieurs de Return to Monkey Island à gauche et Day of the Tentacle à droite

Peu connu des services de la police du jeu vidéo, Rex Crowle a travaillé sur Tearaway, LittleBigPlanet ou encore Knights and Bikes. Il s’avère qu’en 2008, il avait envoyé un concept art de Monkey Island à Ron Gilbert. Ce dernier ne le connaissait pas mais ce dessin lui a suffisamment tapé dans l’œil pour en faire son fond d’écran. En 2020, Ron s’est dit que ce serait un design intéressant pour le nouveau MI et l’a donc tout simplement contacté : « Salut ! Vous vous souvenez de cette image que vous m’aviez envoyée ? ». C’est ainsi qu’ils ont pu partager leur point de vue sur le jeu et que Crowle a grimpé à bord du navire RtMI avec le reste de l’équipe. Si une partie des fans l’aurait bien passé par-dessus bord, ça n’a pas encore été le cas.

Le jeu en lui-même est un point and click tout à fait conforme à l’image qu’on s’en fait actuellement. Cela veut donc dire que, par rapport au diptyque des années 90, un certain nombre d’améliorations dans l’expérience utilisateur ont été apportées. L’inventaire est entièrement graphique, il n’y a plus de verbes à cliquer et il est toujours possible de couper les dialogues (via un bouton sur console ou via la touche « . » du clavier puisque toute phrase se termine par un point - quel farceur, ce Ron).

L’histoire reprend la scène finale de LeChuck’s Revenge et ça commence mal puisque LE twist ultime s’avère ici être… rien du tout. De plus, c’est un angle assez classique qui est pris pour la narration avec un « je vais te raconter une histoire ». Je dois avouer avoir eu un léger moment de doute à cause de ces facilités scénaristiques.

Puis, le vrai jeu commence et, passée cette légère déception, on retrouve enfin la magie de Monkey Island et c’est un terrain connu qu’on va pouvoir parcourir avec les chaussons habituels. Mais des chaussons boostés aux améliorations de QoL !

Le joueur commence sur l’île de Mêlée mais cela s’étendra plus tard, au fil d’une histoire découpée en parties comme, notamment, c’était le cas avec Monkey Island 2. Bien sûr, tous les dialogues sont doublés et les joutes verbales sont toujours aussi sympas. Certes, pas de duel d’insultes comme dans le premier mais on retrouve les classiques situations de choix des bons dialogues au bon moment pour débloquer une situation, des puzzles de dialogues en quelque sorte.

Signalons également l’apparition d’un système assez pertinent d’aide : Si son apparence se révèle être un simple choix de dialogue à la manière de tous les dialogues du jeu, il a le mérite de reconnaître précisément où le joueur en est pour lui proposer 4 options toujours pertinentes et une profondeur de questions donnant les réponses au énigmes de façon très graduelle permettant au joueur de facilement décider quand il souhaite s’arrêter et sans lui gâcher quoi que ce soit.

Le jeu utilise un moteur graphique appelé Dinky, inauguré sur Dolores, mini-jeu d’aventure gratuit qui est un spin-off de Thimbleweed Park. Étant donné que Dolores est sorti en mai 2020, il n’est pas impossible que ce fut un test grandeur nature de ce qui deviendra le moteur de RtMI.

Je parlais de Quality of Life pour le joueur et c’est le cas. Outre le système d’aide et les dialogues « skippables », on peut bien courir et les déplacements en bateau sont rapides. Ça n’a l’air de rien mais c’est un jeu qui nécessite beaucoup d’allers-retours dans tous les endroits qu’il propose et c’est, grâce à cela, assez agréable d’y jouer, même pendant ces phases. Et cela illustre bien le plaisir qu’on a à jouer à Return to Monkey Island. Oui, il y a toujours des énigmes un peu tordues pour lesquelles on se demande comment on aurait pu deviner ça mais ici, pas besoin de quitter le jeu quand on décide de chercher de l’aide. Et globalement la difficulté n’est pas insurmontable. Il y a même des options pour avoir un jeu plus facile ou avoir des dialogues plus détaillés. Et le jeu est bien pensé, de façon à ne pas obliger le joueur à constamment utiliser tous les objets (et il y en a beaucoup) ou cliquer sur le moindre pixel des décors puisque, à la manette, le curseur va automatiquement d’un point d’interaction à un autre. C’est un Monkey Island dans l’esprit des deux premiers mais moderne.

L’histoire en elle-même bien que classique est bien racontée, les personnages sont intéressants, rigolos, adorables ou attendrissants. Beaucoup sont nouveaux, certains déjà connus et il y a même Murray, apparu pour la première fois dans Curse of the Monkey Island (comme quoi, Ron n’a pas rejeté en bloc tout ce qui a été fait après MI2). Et Guybrush est toujours dans son optique incessante de dire à tout le monde qu’il recherche LE secret (il y a même un succès lié à ça).

Mais n’oublions pas la musique. Toujours composée par Michael Land, Peter McConnel et Clint Bajakian, elle se marie parfaitement avec l’esprit du jeu et sa direction artistique. Un équivalent de iMuse a même été mis en place puisque les transitions entre les scènes sont toujours fluides et progressives. Un vrai régal de retrouver les sonorités des caraïbes mais aussi l’étrange thème du vaudou.


Verdict : Toute l’équipe de Terrible Toybox était attendue au tournant et a relevé le défi avec les honneurs. Si Return to Monkey Island ne chamboulera pas le genre du Point and Click, il en est un très digne représentant et quel plaisir de retrouver Guybrush en 2022. Si ce « Return » n’a sûrement rien à voir avec le Monkey Island 3 en préparation pour 1992, il ne fait aucun doute que c’est le jeu que l’équipe voulait faire et ils ont réussi à faire abstraction de toute pression extérieure (et il y en a eu en 2022 mais le jeu était presque fini lors de l’annonce) pour créer une version moderne du Monkey Island qu’on avait connu il y a 30 ans. Et on espère qu’ils pourront continuer sur cette lancée. En tout cas, c’est bien parti puisque c’est le jeu de la saga qui s’est vendu le plus rapidement.


Si vous voulez en savoir plus, n’hésitez pas à lire cette interview de Ron Gilbert et Dave Grossman.


Petit easter egg : saurez-vous retrouver dans ce test les 17 points développés par Ron dans son blog ?

sseb22
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le 9 déc. 2022

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