Lorsque Francisco González a découvert les Point'n Click avec la version NES de King's Quest V, il a immédiatement aimé l'emphase que ce jeu place sur l'exploration de son univers. Ses expériences dans ce genre se sont par la suite étendues notamment aux titres développés et publiés par LucasArts, par Sierra et par Revolution Software. Les licences Gabriel Knight et Les Chevaliers de Baphomet (Broken Sword en anglais) l'ont particulièrement marqué: plus précisément, il apprécie la façon dont celles-ci distillent des éléments surnaturels dans notre monde. Cette dichotomie tend alors à rythmer les jeux créés par Francisco González, que les lieux dans lesquels l'intrigue se déroule existent réellement ou qu'ils s'inspirent de notre monde. Cette dualité transparaît dès son premier projet, Ben Jordan: Paranormal Investigator, une série comportant huit épisodes qu'il a développés entre 2004 et 2012, après avoir découvert en 2001 le logiciel Adventure Game Studio (AGS; un logiciel gratuit qui permet de créer des Point'n Click). La création de ces freewares lui a permis d'acquérir de l'expérience en programmation et dans la conception des graphismes grâce à la documentation détaillée que comporte AGS, ainsi que d'apprendre à achever chacun des jeux sur lesquels il a travaillé avant de publier ceux-ci. Auparavant, il a essayé d'autres logiciels de conception de jeux d'aventure, mais seul AGS lui a permis de pleinement concrétiser ses idées. Il continue ainsi de s'en servir depuis qu'il a décidé de vivre de la création de jeux vidéo à partir de 2013, sous le nom de société Grundislav Games. Son premier jeu commercial fut A Golden Wake, qui a été publié en 2014 par Wadjet Eye Games, et qui narre l'ascension puis la chute d'un agent immobilier à Miami dans les années 1920. Francisco González pense que le manque de succès de ce jeu est dû au fait qu'il s'est grandement focalisé sur le contexte historique au détriment des personnages et du scénario, mais explorer cette période lui tenait à cœur du fait qu'il la trouve fascinante et qu'il est lui-même originaire de Miami. Ce même éditeur a publié en 2016 Shardlight, que Francisco González a développé avec Ben Chandler, le graphiste qui a conçu les décors et les sprites des personnages de plusieurs jeux développés ou édités par Wadjet Eye Games. Shardlight se déroule dans un univers post-apocalyptique: il relate l'histoire d'une jeune femme qui recherche un remède contre une maladie mortelle, et qui sera amenée à renverser un gouvernement corrompu.
Le Point'n Click d'enquête Lamplight City constitue le troisième jeu commercial de Francisco González: il a été publié en 2018 par l'éditeur Application Systems Heidelberg. Votre degré d'investissement dans les différentes enquêtes qui vous sont proposées et votre capacité à résoudre celles-ci influencent le déroulement du scénario. Par conséquent, chacune de vos actions peut ouvrir ou fermer des pistes: il est alors possible de compléter les enquêtes de différentes façons, et même d'échouer à résoudre celles-ci. L'action de Lamplight City se déroule dans la ville portuaire qui a donné son nom au jeu: elle se situe dans la contrée fictive de New Bretagne et s'inspire notamment de La Nouvelle-Orléans. Le jeu prend place dans un XIXe siècle alternatif: la guerre d'indépendance des États-Unis n'a pas eu lieu, et les colonies britanniques situées en Amérique du Nord, qui sont ici appelées Commonwealth de Vespuccia[1], ne se sont ainsi pas émancipées du royaume de Grande-Bretagne. Les technologies utilisées dans ce monde alternatif sont inspirées du Steampunk, tandis que des scientifiques ont découvert une mystérieuse énergie nommée aethericity et étudient son potentiel. Du fait du temps considérable qu'il a investi dans la création de cet univers qui fait écho au nôtre, Francisco González souhaitait le réutiliser et l'étoffer dans un autre jeu. Il a alors délaissé l'ambiance pluvieuse, les ruelles étriquées et l'esthétique victorienne de Lamplight City au profit des vastes plaines désertiques de l'Amérique du Nord à l'époque de la conquête de l'Ouest, qui sont propices à l'aventure. Il a commencé en janvier 2019 le développement de ce qu'il considère comme son jeu le plus ambitieux, Rosewater, qui a été publié le 27 mars 2025 par Application Systems Heidelberg. Francisco González s'est chargé de la conception de plusieurs des éléments qui composent son jeu, à savoir les graphismes, les animations, l'écriture et la programmation. Sa compagne, Jess Haskins, a travaillé sur Lamplight City en tant que scripte, et son rôle sur Rosewater s'est étendu à l'écriture des dialogues ainsi que des évènements qu'il est possible de suivre au cours du deuxième acte. Certains éléments du jeu ont été confiés à d'autres artistes, comme les illustrations des cartes qui sont utilisées dans l'un des évènements du deuxième acte, les dessins qui illustrent l'histoire racontée par Nadine dans l'un de ses évènements personnels, ou encore la composition des musiques. Le personnage principal de Rosewater, Harley Leger, achève de renforcer les liens unissant ces deux jeux: en plus d'être originaire de New Bretagne, elle est la sœur de Bill Leger, un personnage qui meurt au début de Lamplight City, et dont la voix hante le protagoniste tout au long de l'intrigue. Enfin, comme pour mieux souligner que ces deux jeux partagent le même univers, Rosewater et Lamplight City sont tous deux listés sur Steam comme appartenant à la série World of Vespuccia. Néanmoins, il n'est pas nécessaire d'avoir fini au préalable Lamplight City pour pouvoir jouer à Rosewater et suivre son scénario.
Harley Leger, une ancienne boxeuse qui cherche à se reconvertir dans une carrière de rédactrice, se rend dans le village reculé de Rosewater pour répondre à une offre d'emploi proposée par l'éditeur du journal local. Alors qu'elle expérimente diverses péripéties dès son arrivée à la gare, sa première mission de rédaction consiste à écrire un article dithyrambique sur l'artiste de scène Jake Ackerman, qui se produit actuellement à Rosewater. Tandis que Jake est attaqué par l'un de ses collègues, il est impressionné par les talents de pugiliste de Harley. Il décide alors de l'embaucher dans l'expédition qu'il entend mener pour trouver la fortune du docteur Bennett Clark, un chercheur qui a mystérieusement disparu après être tombé en disgrâce à cause d'un accident qui a eu lieu à Lamplight City. Cette aventure constitue pour Harley l'occasion de trouver matière à rédiger un article ambitieux, et elle accepte ainsi la proposition de Jake. Leur équipe s'étoffera progressivement jusqu'à rapidement accueillir quatre membres supplémentaires: Danny Luo, l'assistant de Jake; Filomeno Marquez, surnommé Phil, un révolutionnaire originaire de New Spain; Nadine Redbird, une amérindienne qui dispose de connaissances médicales; Lola Johnson, une femme taciturne et solitaire qui est la propriétaire du véhicule dans lequel les protagonistes voyageront au cours du deuxième acte.
Le périple de Harley commence à Rosewater, un village situé au milieu d'une contrée désertique évoquant l'époque de la conquête de l'Ouest, et s'achève à El Presidio, une grande ville qui se trouve au nord-ouest du Western Vespuccia. À mesure que Harley et ses alliés se rapprochent de leur destination, les plaines arides à la végétation rare et occasionnellement bordées de montagnes laissent progressivement place à des régions boisées et verdoyantes. Bien qu'El Presidio présente une superficie largement supérieure à celle de Rosewater, le nombre restreint de lieux remarquables que les protagonistes peuvent visiter se voit justifié par le fait qu'ils arrivent la nuit et qu'ils n'ont pas le temps d'attendre le lendemain pour compléter leur objectif. La diversité de ciels qui surplombent les différents lieux visités contribue à rendre compte de la durée considérable du voyage. Des camaïeux de jaunes, d'orange et de rouges suggérant le début de la matinée ou la fin de l'après-midi dominent les environs de Rosewater lorsque Harley enquête sur la localisation du trésor qu'elle et ses alliés recherchent. Les évènements vécus au cours du deuxième acte se déroulent pendant la journée, sous un ciel uniformément bleu clair et dégagé, nuageux ou paré de couleurs crépusculaires. Le soir, avant de rejoindre leur tente pour aller se coucher, les protagonistes se rassemblent autour d'un feu de camp pour dîner et discuter sous un ciel nocturne dont les teintes violettes font ressortir les innombrables étoiles qui le constellent. Les aventures vécues par Harley et ses alliés sont soutenues par une bande-son composée par Mark Benis, et dont l'utilisation rappelle celle des Chevaliers de Baphomet (Broken Sword en anglais). Si certains tableaux sont accompagnés de thèmes d'ambiance joués en continu, plusieurs d'entre eux sont plongés dans un silence musical qui met en valeur les bruitages environnementaux des lieux concernés, tandis qu'une musique intervient discrètement et ponctuellement pour souligner une action nécessaire à la progression dans l'intrigue, la découverte d'un objet important, ou encore la résolution d'un puzzle.
Les individus qui accompagnent Harley au cours du deuxième acte se distinguent chacun et chacune par leurs origines, leurs centres d'intérêt ou profession, leur façon de s'exprimer ou encore leur comportement. En outre, ils se démarquent de nombreux autres personnages principaux de jeux vidéo par leur âge: si le plus jeune se situe au début de la vingtaine, quatre d'entre eux sont quadragénaires, à commencer par Harley, qui est âgée de 45 ans. Leur identité respective peut également transparaître à travers leur gestuelle, celle-ci étant soutenue par des animations précises et crédibles. Pour aboutir à ce résultat, Francisco González a utilisé le procédé de la rotoscopie: il a filmé d'autres personnes pendant qu'elles réalisaient les actions qu'il souhaitait intégrer à son jeu, et il a relevé les contours de chacune des phases décomposant chacune desdites actions afin de pouvoir les attribuer aux personnages du jeu. Ce procédé permet notamment de fluidifier les actions réalisées dans les quelques séquences animées que comporte le jeu, et ainsi d'amplifier la tension qui en émane. Enfin, le soin apporté aux protagonistes de Rosewater se répercute également dans chaque ligne de dialogues, car ces derniers ont été doublés par des comédiens et comédiennes de doublage renommés. Francisco González a signé un accord avec le Screen Actors Guild - American Federation of Television and Radio Artists (SAG-AFTRA), un syndicat professionnel défendant les droits des acteurs et actrices travaillant dans des domaines culturels (cinéma, jeux vidéo, musique, etc.), la publicité, la télévision et la radio. Cette décision lui a permis de bénéficier des prestations de membres de ce syndicat à un tarif réduit pour les développeurs indépendants, en échange du respect des conditions destinées à protéger leurs droits. Du fait du budget restreint qu'il possédait pour développer Rosewater, initialement, Francisco González pensait qu'il ne pourrait pas conclure un accord avec le SAG-AFTRA: d'après ses estimations, la conception de ce jeu devait coûter le double du montant qui a servi à produire Lamplight City. Or, le télétravail s'est répandu depuis la pandémie du Covid en 2020, y compris auprès des comédiens et comédiennes de doublage, ce qui a permis à Francisco González de ne pas avoir à régler de frais liés aux studios d'enregistrement. En parallèle, son éditeur a accepté d'augmenter le budget dédié aux doublages, et Rosewater a ainsi pu être intégralement doublé par des comédiens et comédiennes issus du SAG-AFTRA.
Le soin considérable dont bénéficient les personnages principaux se voit justifié par les nombreux dialogues et évènements qui les placent au centre de la narration. Il en résulte que l'intérêt que vous porterez à Rosewater dépendra principalement du degré d'attachement que vous ressentirez pour ses protagonistes. En effet, si ces derniers sont chacun originaires de différentes ethnies peuplant Vespuccia, et que celles-ci peuvent prendre part à des intrigues qui font écho à des évènements historiques, ces histoires servent en réalité uniquement de toiles de fond pour étoffer le worldbuilding, car le scénario ne se focalise pas sur elles. Cette focalisation sur le groupe formé par Harley et ses alliés transparaît dans la structure du jeu, ainsi que dans la répartition des trois actes qui le composent. Le premier acte se déroule à Rosewater ainsi que dans ses environs proches: la première mission de rédaction que Harley doit compléter est d'interviewer Jake, avant que ce dernier ne décide de l'inviter à participer à l'expédition qu'il compte entreprendre. Si ce chapitre ne peut aboutir qu'à une seule issue (Harley accepte de participer à l'expédition menée par Jake), le jeu accorde une certaine marge de manœuvre pour compléter cet objectif, et plusieurs puzzles peuvent ainsi admettre plusieurs solutions. D'après Francisco González, cette flexibilité est permise par le changement de carrière qu'entreprend Harley, qui a décidé de délaisser le domaine de la boxe pour devenir rédactrice, un profil qui lui offre une certaine polyvalence. Le deuxième acte se révèle être le plus long: il relate le voyage que Harley et ses alliés entreprennent pour se rendre à El Presidio, et leur expédition est constamment interrompue par divers évènements. Les phases de jeu alternent alors constamment entre la possibilité pour Harley de discuter avec ses amis pendant le trajet, des péripéties qui surviennent au cours de la journée, puis le rassemblement des protagonistes autour d'un repas à la tombée de la nuit, cette dernière étape journalière constituant pour eux l'occasion d'apprendre à mieux se connaître. Les évènements qui interrompent quotidiennement le trajet peuvent être scindés en trois catégories: des passages figés qui se déroulent systématiquement à chaque partie; des péripéties déterminées aléatoirement à chaque nouvelle partie, et qui sont appelées "vignettes" par le jeu; des scènes impliquant Harley ainsi que l'un de ses alliés, et qui sont au nombre de deux pour chacun d'eux, sachant que celle qui se déroulera pendant la partie en cours est déterminée par le score de relation entre Harley et le personnage concerné. Après avoir fini le jeu une première fois, vous débloquez un new game + qui vous laisse la possibilité de choisir les vignettes que vous voulez déclencher pendant le voyage, ce qui vous permet ainsi de suivre celles que vous n'avez pas expérimentées au cours de votre première partie. Enfin, le troisième et dernier acte adopte une structure similaire à celle du premier, à savoir qu'il se montre plus linéaire et que l'objectif à atteindre n'admet qu'une seule issue, mais qu'il offre plusieurs façons d'aboutir à celle-ci, sachant que les options disponibles dépendront des actions réalisées au cours du deuxième acte.
Tout au long du jeu, Rosewater mesure implicitement les relations que Harley développe avec chacun de ses alliés, en fonction des réponses sélectionnées au cours des dialogues, des personnages avec lesquels elle discute lors des interludes dans le véhicule pendant les trajets, ou encore du personnage avec lequel elle se montre d'accord quand plusieurs d'entre eux émettent leur avis ou proposent une solution à un problème. Jouer en mode new game + permet de consulter à tout moment les scores des relations que Harley entretient avec ses cinq alliés. Vous pouvez alors décider de vous laisser de nouveau porter par vos choix, ou chercher à optimiser votre partie afin d'essayer d'obtenir l'issue la moins défavorable possible pour chacun des personnages. Du fait que la narration se focalise sur les protagonistes et qu'une mécanique de jeu est dédiée à mesurer leurs relations, il n'est pas surprenant de constater que les intrigues qui font écho à des évènements historiques sont reléguées au second plan. En effet, en plus d'éviter de nombreux poncifs inhérents au genre cinématographique du western, Rosewater met en scène des personnages dont l'objectif ne consiste ni à empêcher une guerre d'éclater, ni à déclencher une rébellion, ni à s'engager dans n'importe quel autre projet ambitieux pour sauver un individu, un peuple ou un lieu, mais à trouver un trésor dont l'existence n'est que supposée. S'il peut alors sembler étonnant que des personnages censés être impliqués dans les évènements servant de toile de fond décident de rejoindre l'expédition menée par Jake, ils présentent chacun et chacune une raison de vouloir leur part respective des richesses que promet leur quête, que cette motivation soit purement personnelle ou qu'elle soit directement liée auxdits évènements. En outre, le fait que l'objectif commun de Harley et de ses alliés soit plus modeste que ceux d'autres protagonistes de jeux vidéo contribue à rendre ces personnages humains et attachants. Néanmoins, si l'objectif réel de Jake semble de prime abord manquer de clarté du fait qu'il demeure évasif, il s'avère être en réalité plus ambitieux qu'une simple chasse au trésor, mais il ne sera dévoilé qu'à un stade avancé du jeu. Si ces choix peuvent décontenancer, ils se montrent en réalité cohérents avec le caractère intimiste que la narration revêt en plaçant les protagonistes au centre du jeu, ainsi qu'avec la prédominance du deuxième acte. En effet, en optant pour ces parti-pris, Rosewater semble chercher à nous faire comprendre que le voyage est aussi important que la destination, car il renforce les liens entre les différents membres qui y prennent part. Pour continuer de déconstruire des phrases toutes faites, Rosewater semble également considérer que la fin ne justifie pas nécessairement les moyens, car toute action ou inaction entraîne des conséquences dont nous ne pouvons mesurer ni l'impact ni la portée.
Du fait de sa narration focalisée sur les relations entre Harley et ses alliés ainsi que de l'aspect road-trip qui résulte de ce choix, Rosewater accorde de l'importance à des fonctionnalités propres aux Point'n Click qui peuvent permettre d'en apprendre plus sur le background et les personnages, mais qui n'ont souvent aucune utilité du point de vue du game design et du scénario: observer chaque élément avec lequel il est possible d'interagir afin d'obtenir une description de celui-ci, et épuiser tous les sujets de conversation qu'il est possible d'aborder avec chacun des personnages du jeu. Ces actions peuvent ici permettre par exemple d'éviter de se faire arnaquer par un charlatan opportuniste, d'aider un individu à prendre une décision importante, ou encore d'adopter un chien que ses précédents maîtres percevaient comme une bouche de trop à nourrir. Avant de découvrir le genre du Point'n Click avec King's Quest V, Francisco González avait joué à la licence de RPG Dragon Quest: il y avait notamment apprécié l'emphase sur l'exploration, la possibilité de parler aux personnages secondaires et la résolution de quêtes. Ces caractéristiques transparaissent dans les différents évènements intervenant au cours du deuxième acte, car ceux-ci confrontent Harley à des personnages et à des objectifs supplémentaires qui peuvent être décorrélés du scénario, en plus de lui permettre de visiter Vespuccia. Harley consigne dans son journal chacune des décisions qu'elle a prises et des actions qu'elle a effectuées tout au long de son aventure, ce qui permet de conserver une trace de son périple, voire de comparer les péripéties que nous avons vécues à celles qu'un proche a expérimentées en jouant au jeu de son côté. En parallèle, d'autres éléments plus ou moins discrets témoignent du grand soin du détail dont le jeu a été l'objet. Ainsi, le véhicule dans lequel les protagonistes voyagent se remplit progressivement de souvenirs des excursions qu'ils ont réalisées pendant le trajet, tandis que les alliés de Harley peuvent prêter attention aux réponses et aux comportements de celle-ci, afin à l'avenir de déceler des contradictions dans ses propos ou de l'interroger sur ses habitudes (par exemple, si elle refuse systématiquement de boire de l'alcool). Enfin, pendant qu'elle rédige son article au cours de l'épilogue, Harley se remémore l'aventure qu'elle a vécue en énonçant un résumé qu'il est plaisant d'écouter, et qui peut même s'avérer satisfaisant si l'on a su obtenir une issue favorable aux différentes péripéties expérimentées.
Alors que la narration accorde une place centrale aux protagonistes, il est regrettable de constater que souvent, les alliés n'aident pas directement Harley à résoudre les problèmes auxquels leur groupe est confronté, y compris lorsque ceux-ci les concernent directement (au cours des évènements relationnels impliquant uniquement Harley et l'un de ses alliés), et qu'ils se contentent alors de discuter avec des personnages secondaires locaux ou de rester immobiles dans un coin de l'écran. Ce manque de réactivité est d'autant plus étrange qu'outre le fait qu'ils disposent chacun d'une spécialité (par exemple, Nadine possède des connaissances en médecine), ils peuvent résoudre eux-mêmes certains puzzles si Harley le leur demande. Par exemple, si vous ne savez pas viser, vous pouvez laisser Danny se charger de remporter l'épreuve de tir au cours du premier acte. Cette possibilité de déléguer une tâche que l'on ne parvient pas à compléter constitue une option d'accessibilité élégamment intégrée au jeu. Dans l'ensemble, les puzzles de Rosewater peuvent être scindés en trois catégories: ils peuvent reposer sur les quelques objets que vous pouvez ramasser, nécessiter d'effectuer des choix lors des dialogues, ou exiger de prêter attention à des éléments du décor (comme des affiches), sachant que plusieurs d'entre eux admettent plusieurs façons d'être résolus. En outre, à l'instar d'autres Point'n Click modernes, les puzzles sont ici portés par la narration et par le scénario: par conséquent, leur résolution repose avant tout sur la logique, tandis que leur périmètre d'action se résume à un nombre restreint de tableaux. Il en résulte des puzzles qui sont plus faciles à compléter que ceux de nombreux Point'n Click parus à la fin du XXe siècle, mais qui sont également plus adaptés à des univers inspirés de notre monde. En effet, s'il apprécie également cette facette du Point'n Click, Francisco González refuse de résumer celui-ci à l'aspect loufoque qui lui est souvent associé. Il espère qu'à l'avenir, ce genre sera davantage utilisé pour raconter des histoires plus sérieuses reposant sur des thématiques intéressantes, et il pense également que la difficulté absurde que les puzzles peuvent imposer est responsable de la stagnation qu'ont connue les Point'n Click. Par conséquent, il affirme que ceux-ci ont besoin d'évoluer pour perdurer, notamment en se focalisant sur le scénario et les personnages, ainsi qu'en adoptant une approche plus moderne du game design. De ce fait, il tend à être agacé lorsqu'il lit ou entend dire que ses jeux constitueraient des hommages aux Point'n Click de la fin du XXe siècle. Si ces titres ont indéniablement contribué à forger ses goûts vidéoludiques et ont inspiré ses propres jeux, son objectif n'est pas d'engendrer de la nostalgie pour les Point'n Click en 2D de Lucas Arts, de Sierra ou encore de Revolution Software, cette représentation graphique lui étant de surcroît imposée par les ressources et les capacités dont il dispose pour créer ses jeux. Il veut que ses jeux soient appréciés pour ce qu'ils sont, soit pour leurs particularités et pour les expériences qu'ils promettent de faire vivre, et non parce qu'ils sont comparés à des titres qui rappellent de bons souvenirs à nombre d'amateurs et d'amatrices de Point'n Click.
Francisco González considère que la découverte du monde dans lequel l'intrigue prend place constitue l'un des principaux attraits des Point'n Click, mais que cet aspect doit être porté par la narration afin de se montrer cohérent. Rosewater répond à cette réflexion en mettant le scénario temporairement en retrait pendant le deuxième acte pour laisser la narration se focaliser sur le voyage des protagonistes, ainsi que sur les différentes péripéties qu'ils expérimentent tout au long du trajet. Des trois actes qui composent le jeu, le deuxième est alors celui qui sollicite le plus le temps de jeu nécessaire pour finir Rosewater, la durée de vie totale s'élevant à une dizaine d'heures. Qu'il s'agisse des alliés de Harley ou des individus rencontrés au cours de l'aventure, la narration accorde une place centrale aux personnages, tandis que les différents évènements qui se produisent au cours du voyage permettent d'explorer différentes régions du Western Vespuccia ainsi que de développer les relations entre les six protagonistes. Il en résulte un jeu dont la dimension intimiste l'éloigne des objectifs ambitieux que les protagonistes de jeux vidéo ont l'habitude d'afficher, et dont le game design favorise la rejouabilité, afin de suivre des évènements que l'on a ratés lors de la première partie et de modifier l'issue ou le déroulement de certaines scènes.
Notes de bas de page
[1] À noter que le mot "Vespuccia" s'inspire du patronyme d'Amerigo Vespucci, un commerçant, navigateur et explorateur florentin dont le prénom a servi à nommer les continents d'Amérique du Nord et d'Amérique du Sud.
Bibliographie
-Rubrique About du site officiel de Grundislav Games : https://www.grundislav.games/About.html
-19/06/2025. « Inside the Minds of Indie Devs – Interviewing Francisco González, the developer behind Rosewater and Lamplight City » : https://www.gtogg.com/News/en/Inside_the_Minds_of_Indie_Devs_Interviewing_Francisco_Gonzalez_the_developer_behind_Rosewater_and_Lamplight_City/
-27/03/2025. « Saddling Up: Interview with Rosewater dev Francisco González » :
https://www.nicegamehints.com/a/interview-francisco-gonzalez
-12/08/2024. « How a Tiny Indie Game Managed to Recruit a Star-Studded Cast Featuring the Voices of Arthur Morgan and More » : https://www.ign.com/articles/how-a-tiny-indie-game-managed-to-recruit-a-star-studded-cast-featuring-the-voices-of-arthur-morgan-and-more
-05/03/2021. « Beyond Pixels: Francisco González Talks Rosewater, and the Development, Design and Future of Adventure Gaming » : https://www.jumpdashroll.com/article/beyond-pixels-francisco-gonzalez-talks-rosewater-adventure-game-development-design-and-future
-01/09/2021. « Developer interview: Rosewater (Gamescom) » : https://pressplaynews.net/2021/09/01/developer-interview-rosewater-gamescom/
-12/09/2020. « Interview with Francisco Gonzalez » : https://mysterymanor.net/libintvrosewater.htm
-01/09/2020. « Bending an Elbow With Grundislav Games » : https://maroonersrock.com/2020/09/interview-with-grundislav-games/
-29/03/2019. « From Lamplight City to Rosewater – Francisco González GDC Interview » : https://monstervine.com/2019/03/from-lamplight-city-to-rosewater-francisco-gonzalez-gdc-interview/
-Page Steam du groupe de jeux World of Vespuccia auquel Rosewater appartient :
https://store.steampowered.com/curator/36657922/
-Page du forum de Steam indiquant l'âge des protagonistes : https://steamcommunity.com/app/1226670/discussions/0/603029860838835500/
-Page Wikipédia consacrée à Amerigo Vespucci : https://en.wikipedia.org/wiki/Amerigo_Vespucci