Il est des œuvres qui ne vieillissent pas, non parce qu’elles résistent au temps, mais parce qu’elles l’abolissent. Secret of Mana, sorti en 1993 sur Super Nintendo, appartient à cette race de chefs-d’œuvre où chaque pixel, chaque note, chaque souffle de vent numérique semble résonner encore aujourd’hui avec la pureté intacte de l’émerveillement originel. Véritable joyau du studio Square, il incarne l’âge d’or du jeu de rôle japonais avec une grâce que peu de titres, même modernes, peuvent égaler.
Dès les premières minutes, le joueur est happé dans une odyssée féerique où l’on devine, sous l’apparente simplicité du récit – une lutte manichéenne entre le Bien et le Mal –, une tendresse narrative, une pudeur presque sacrée. Car ici, point de cynisme ni de subversion : Secret of Mana assume pleinement les codes de la fantasy classique et les transcende par la sincérité de sa proposition, par l’élan poétique de sa mise en scène. À la croisée des contes celtiques et des légendes épiques, le jeu déroule son fil narratif avec la douceur d’un rêve d’enfance, peuplé de forêts enchantées, de temples millénaires et de cieux qu’éventrent les vaisseaux volants.
Mais ce qui fait de Secret of Mana une œuvre à part, c’est d’abord sa direction artistique, miraculeuse d’harmonie. Chaque environnement, chaque créature semble baigné d’une lumière intérieure, d’un éclat pictural qui confère à l’ensemble une beauté picturale quasi impressionniste. La palette de couleurs, à la fois douce et vive, compose des tableaux mouvants d’une poésie rare. On ne se contente pas d’explorer ce monde : on y flâne, on y respire, on s’y recueille.
Ajoutez à cela la possibilité, inédite pour l’époque, de vivre cette aventure à trois joueurs simultanément : une prouesse technique et ludique qui transforme l’odyssée solitaire en geste fraternelle, en symphonie coopérative. Le plaisir de coordonner ses attaques, de partager la gestion de la magie et de s’entraider dans la tourmente du combat confère au jeu une dimension humaine et chaleureuse que peu de RPG sauront égaler par la suite.
Mais comment évoquer Secret of Mana sans s’incliner devant la musique inoubliable de Hiroki Kikuta ? Véritable tissage d’émotions, sa bande-son oscille entre mélancolie douce et exaltation mystique, accompagnant chaque moment de jeu avec une justesse bouleversante. Des plaines verdoyantes aux profondeurs telluriques, chaque morceau semble murmurer à l’oreille du joueur un fragment d’éternité.
Certes, l’histoire, parfois critiquée pour sa linéarité et sa naïveté, n’atteint pas les complexités scénaristiques de certaines fresques contemporaines. Mais faut-il vraiment exiger de la subtilité quand la pureté parle si fort ? Secret of Mana ne cherche pas à déconstruire ses mythes : il les épouse avec une ferveur et une élégance qui forcent le respect.
À ceux qui n’auraient jamais tenu l’épée de Mana entre leurs mains, à ceux pour qui ce nom n’est qu’un écho oublié dans les limbes de la Super Nintendo, il faut dire ceci : il est encore temps. Encore temps de vivre une aventure sincère, d’arpenter un monde dont la magie ne s’est jamais éteinte, de (re)découvrir l’un des plus purs joyaux du jeu vidéo. Secret of Mana n’est pas un simple jeu. C’est une offrande.