Shin Megami Tensei III: Nocturne HD Remaster
7.7
Shin Megami Tensei III: Nocturne HD Remaster

Jeu de Atlus et Sega (2020PlayStation 4)

Le meilleur jeu de l'Histoire [mais pour une certaine frange de joueurs...]

Savoir que Shin Megami Tensei 3 : NOCTURNE allait sortir dans une version HD remastérisée aura été pour moi la meilleure annonce de l’année… N’ayant pas de Nintendo Switch j’ai tout de suite su qu’il allait m’en falloir une. Atlus (ou SEGA) s’est enfin rendu compte qu’il avait dans son catalogue un joyau qui n’avait même pas besoin d’être poli pour briller au centre de la masse. Beaucoup de personnes sont passés à côté au moment de sa sortie au début des années 2000, c’est donc une très belle opportunité qui vient s’offrir à tous de pouvoir poser la main sur ce hit ! Mais ironiquement, il reste dans le même temps un titre très difficile à conseiller aujourd’hui malgré son génie. La faute à un monde du JV et des habitudes de joueurs qui évoluent à la vitesse du son.


Du reste ce jeu est absolument extraordinaire pour tout un tas de raisons mais en premier lieu pour son Ode à la solitude qu’il a su parfaitement intégrer aussi bien à sa narration qu’a son gameplay. A son contrepied radical et sans concessions à 20 ans de JRPG auxquelles il fonce dans le lard sans jamais dire pardon. Aussi pour le génie de son design qui amplifie et donne corps à tout ce qui vient d’être énuméré pour le matérialiser à l’écran. Par son implacable âpreté il foudroie le monde du JRPG pour le dissoudre dans une ambiguïté liquide entre action frénétique en temps réel teintée de BTA à la recherche de succès immédiat et populaire et à l’opposé l’envoie se terrer dans la niche virtuelle du MMO. Nocturne vient comme une conclusion qui parachève l’apogée d’un long cycle débuté deux décennies plus tôt, celui d’un genre qui peine à se renouveler en continuant inlassablement de se caricaturer lui-même. Plus qu’un simple jeu, Nocturne est une sentence qui descend sonner le glas du JRPG post Dragon Quest. Il vient dire stop ! Comme une génération plus tard viendra à son tour dire stop un certain Demon’s Souls dans sa propre catégorie. Car oui, le renversement consécutif à l’émergence des SoulsBorne à déjà eu un précédent. Toute la nouvelle matrice de l’apprentissage par l’échec, de la narration environnementale, de la science du design et du leveldesign, Nocturne en avait déjà fait l’ossature de sa philosophie et le bras armé de sa grande vendetta contre le jeu de rôle japonais. Comme lui il arrive au beau milieu d’une fourmilière un peu trop statique pour foutre un grand coup de boule dedans. L’analogie entre les deux est frappante à la différence que Nocturne ne connaitra qu’un succès confidentiel. Qu’à cela ne tienne, un mal pour un bien. Cette reconnaissance tardive et limitée l’aura pour son propre bien préservé des ersatz infinis tout en sauvegardant son authenticité avant de nous la restituer intacte 18 ans plus tard.


Un titre d’une maitrise ineffable et si inattendue qu’on la penserait issue du fruit du hasard ou d’un alignement d’étoiles qui aura surpris ses créateurs eux même (bien que j’en doute). Il n’empêche que tout ceci fait non seulement de Nocturne une œuvre artistique d’une profonde beauté, mais surtout un objet de dépassement qui opère la révolution copernicienne du jeu de rôle à la japonaise tout en resituant son identité antéprédicative de « jeu occulte » à sa place, c’est-à-dire loin de la pseudo obscurité qui l’entoure. Laissons ça à des titres comme Baroque ou Moon. SMT 3 à lui quelque chose de bien plus important à nous enseigner, encore aujourd’hui.
Une comète qui vient s’écraser sur la planète « jeux de rôles » qu’elle renverse par un grand retournement de tous ses codes sclérosés. L’esprit shonen laisse place à l’introspection et la solitude. L’exploration, l’admiration et la découverte du monde sont chassés par l’anxiété permanente, la froideur et le désenchantement. Biotope d’une hostilité aride mais des plus fertile pour l’éclosion du questionnement soulevé dans cette triangulation digitale entre le joueur, le MC et le marché. De toute façon le héros, (ici qualificatif des plus incertain) n’est pas là pour sauver le monde mais pour le détruire…


D’un point de vue positif le jeu nous projette dans une folle fuite en avant vers toujours plus de pouvoir. Fuite qui va peu à peu ronger l’avatar pour le séparer de l’être au profit de l’avoir. Toujours plus de Magatama, toujours plus de magatsuhi, toujours plus de Démons et in-fine toujours plus de Force. Le dernier donjon caché signe la définitive plongée dans cette ultime quête ayant pour finalité d’accomplir sa volonté de puissance. Le héros troque son humanité, ses amis et sa morale contre sa consécration en surhomme nietzschéen. Conséquence de nos choix ludiques et philosophiques (ou absence de choix). Nous sommes comme paralysés par cette vérité qui nous jaillit à la figure et nous immobilise par l’incroyable justesse de son piège qui se referme sur nous. Sans le savoir nous venons de créer un dernier boss (qu’on affrontera optionnellement dans Digital Devil Saga, autre sommité megateniènne à positionner au même rang que Nocturne). Herméneutique d’une finesse rarement atteinte qui réussit l’exploit de fusionner gameplay, narration et design pour ne faire qu’un. Génial aussi dans sa capacité à tirer ses revendications absolues sans médiations, en aiguisant l’antagonisme des genres au point de faire éclater toute une nomenclature. Proposer un RPG de plus de 80 heures ou le grind est inutile et ou on ne parle à quasiment personne tout le long. Ou l’on ne pourra jamais vaincre le « True last Boss » sans un artefact spécial dont personne ne nous suppose l’existence… sans même une maigre indication tracée sur le sol ! Ce monde ne veut pas nous et nous le fait bien comprendre… Evidemment qu’on y trouvera aucune aide !


Par ce titre Atlus vient introduire dans le domaine quelque chose de fondamentale, une espèce d’asymétrie salvatrice qui autrement laisserait bloqué le genre dans une impasse paralysante. En contrepartie ce jeu fait autant de bien que de mal à celui qui parvient à le dompter. Personnellement j’aie avec beaucoup de difficulté moi aussi finis par intégrer l’idée qu’il ne pourra plus y avoir de deuxième Nocturne comme il ne pourra plus y avoir de deuxième muraille de Chine. Encore plus que les précédents SMT ce jeu nous emprisonne dans sa cage dorée et nous tire asymptotiquement sur la trajectoire du JRPG sans jamais nous libérer de son emprise. Le revers de la médaille c’est que à cause de cette singularité et l’immense plaisir qu’il nous procure, plus rien n’a d’attrait. Derrière lui tout parait fade, sans saveur. L’herbe ne repousse plus sous les pas du demi-démon au point que l’unique issue vers un peu de paix de l’esprit est qu’il faille y revenir au bout de quelques années l’espace d’un énième new game.


Et pour toutes ces raisons, ce remaster HD ne percera jamais… Triste ! Donc ne pourrissez pas ce jeu si vous n'y arrivez pas, passez simplement votre chemin. Il n'a juste consciemment pas été fait pour tout le monde.

Saint-Just
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le 30 mai 2021

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