Shin Megami Tensei III: Nocturne HD Remaster
7.7
Shin Megami Tensei III: Nocturne HD Remaster

Jeu de Atlus et Sega (2020Nintendo Switch)

Mon seul aperçu de la licence Megami Tensei avant cet épisode était Devil Survivor sur 3DS, je ne suis donc pas en mesure de rendre compte de la place qu'il occupe dans cette série, en-dehors de son incursion dans le monde de la 3D et de l'introduction du Press Turn. Beaucoup de choses ont dû paraître novatrices pour ceux qui ont découvert la licence par cette porte d'entrée, alors que j'ai l'impression qu'une large part de son game design de Pokédémon et de ses thématiques et ambiance était déjà solidement installée. Mon test pourrait donc lui prêter des initiatives que les connaisseurs de la série devaient déjà prendre pour acquis, comme quelqu'un qui découvrirait les Zelda via Twilight Princess, mais j'ai conscience malgré tout de la base sur laquelle cet opus s'appuie et de ce qui me semble être des tropes de la licence.

Nota Bene : le remaster change la traduction française, apparemment pour le meilleur. Par exemple l'élément Vent se nommait auparavant Force, ce qui prête énormément à confusion par rapport aux attaques Physique et manque de sens par rapport à des attaques visuellement plutôt "venteuses" et qui s'opposent aux ennemis électriques. Cela pourrait perturber ceux qui voudraient lire des guides plus tard.

♫It's the end of the world as we know it...♫

Le monde (ou en tout cas Tokyo, qui s'en fera le représentant au même titre que les USA dans tout film d'attaque alien) vient de subir une apocalypse ayant "tué" quasi tous les humains et mené à l'invasion des Démons, tous des figures connues de différentes mythologies. Ce n'est pas une catastrophe, pas un son et lumière de sang et de larmes : c'est, tout simplement. Il s'agit d'une Conception dans laquelle des candidats vont avoir l'occasion, s'ils s'en donnent les moyens, de refaçonner le monde selon leur idéologie. Vous, avatar muet dénué de compagnon en dehors des démons-mercenaires que vous recruterez, allez parcourir ce monde en renaissance pour voir ce que deviennent vos amis survivants et chercher quel rôle jouer dans ce conflit de philosophies opposées. Un parcours du combattant qui en demandera beaucoup au joueur dans un environnement au calme étrangement apaisant.

SMT III, et probablement une large part de sa licence très fournie, détonne dans le monde du jrpg : à l'optimisme lumineux du grand voyage qui rassemble des compagnons de route farfelus pour sauver le monde, vous cédez la place pour une traversée solitaire dans une terre déjà dévitalisée et indifférente à votre sort, peuplée uniquement de démons et d'âmes d'anciens tokyoïtes, sans pour autant verser dans le sensationnalisme dark. Il y a certes un fatalisme certain et un désespoir perceptible, mais il y a aussi une épure qui saisit immédiatement le joueur, autant dans le scénario qui ne se montre jamais plus cruel que nécessaire, que dans la direction artistique incroyable qui sert une ambiance sidérante.

Le design des monstres est similaire au reste de la licence pour ce que j'en ai vu, je ne sais pas si les fans ont ressenti de la répétitivité mais c'est très intéressant et travaillé, à quelques fautes de goût près. Ce sont surtout les décors qui fascinent : ils sont d'abord très urbains et terre-à-terre, mais ils dévoilent vite une directive ésotérique beaucoup plus recherchée. Le spectacle à percevoir dans les judas d'Amala, les intérieurs brutalistes, les blocs qui se déplacent en sons très relaxants, l'incroyable temple d'Amala, ce sont des merveilles à admirer dont la quiétude relativise constamment le sentiment de perte que devrait procurer une fin du monde.

Notre aventure elle-même a des enjeux assez flottants, ce qui est un mal et un bien : plutôt que d'être un héros qui sauve la population, nous avons le rôle de témoin qui constate de ce qui se produit pour ensuite décider quoi faire du monde. Avec l'absence de réaction de notre avatar et aucun compagnon humain à nos côtés pour représenter ses émotions à sa place, cela nous rend très détaché et aussi froid que les décors ou l'ambiance musicale saisissante, mi-atmosphérique mi-rock énervé. Cela pose son ambiance, mais ça a aussi pour conséquence de m'amener quelques fois à me demander pourquoi je devais assister à tels et tels événements si c'est pour ne pas intervenir face à des actes auxquels j'ai choisi de m'opposer dans les dialogues. On se sent comme un pantin baladé un peu partout qui tarde à tenter d'accomplir quoi que ce soit, et qui aura beaucoup de combats de boss qui ne sont justifiés que par la sempiternelle envie des adversaires de nous jauger. On a par exemple un rival bien teasé, autrefois le fameux "Dante de Devil May Cry" dans la version Lucifer's Call sortie en Europe sur PS2, ou Raidou (de Devil Summoner, un autre SMT) dans la version japonaise Nocturne Maniax et celle de ce remaster (si vous préférez Dante il faudra payer 10 balles en DLC, mais je suggère plutôt qu'on envoie l'éditeur Atlus se faire voir). Dans un cas comme dans l'autre il ne constitue qu'un gros fan-service, il n'a rien à faire là puisqu'il vient d'une "autre dimension" (d'un autre jeu quoi) et son seul rôle est de nous affronter pour tester notre force parce que pourquoi pas. Alors il a une classe monstre et ses affrontements sont de grands moments, mais quand j'ai compris qu'il n'avait aucun vrai rôle à jouer dans l'intrigue le soufflé est vite retombé et j'ai fini par le trouver hors-sujet dans le scénario pour la place qu'il occupe (EDIT : c'est parce que c'est un ajout des versions Lucifer's Call et Nocturne Maniax, il était absent de la toute première version du jeu). Ce ne sera malheureusement pas le seul combat qui se fera sans meilleure justification ou qui n'aboutira à rien, et à haute dose je trouvais ce dispositif lassant. Cela reste un faible défaut pour un jeu qui sait se montrer solennel de manière très plaisante sans pour autant se départir de tout humour. Il marque bien les esprits, j'ai notamment en tête le début de jeu pré-apocalypse qui a une tension sourde très efficace.

Le jeu est un jrpg de type "chasse aux monstres", sauf que l'on ne chasse pas les démons : on les recrute avec notre argent ou nos items, puis on les fusionne en une créature plus puissante quand ils deviennent trop bas-level pour être utiles, car ils montent en niveau bien moins vite que notre avatar qui prend aussi part aux combats. Le jeu impose ainsi de renouveler fréquemment son équipe, tout en leur laissant le temps de monter en niveau pour apprendre de nouvelles techniques qui pourront se montrer vitales. En effet la fusion de démons permet à la créature générée d'hériter de certains sorts ou traits passifs de ses parents, et il conviendra donc d'entraîner ses combattants pour qu'il puissent ensuite transférer des compétences intéressantes. De toute façon on ne peux pas générer de créature de plus haut niveau que notre avatar, donc on devra bien attendre avant de fusionner nos démons fraîchement acquis. Les situations rencontrées seront très variées et demanderont donc une grande diversité dans vos démons, évitez d'en laisser certains trop dans les placards et faites les bons choix, le nombre de compétences par personnage est limitée et celles que vous leur ferez oublier ne pourront plus jamais être récupérées.

Le fonctionnement des combats est assez classique avec son tour-par-tour, ses buffs et debuffs (les sorts pour respectivement améliorer ses stats ou baisser celles de l'adversaire le temps du combat), ses faiblesses et résistances élémentaires, ses altérations d'état. Cependant il y a le système de Press Turn qui relance la machine : si vous réussissez un coup critique, que votre ennemi est faible face à votre attaque élémentaire, ou que vous passez le tour du personnage en cours, vous économisez une action pour un personnage supplémentaire. Mais si votre adversaire esquive le coup, vous perdez une action supplémentaire et vous perdez même tout si vous tentez une attaque à laquelle votre cible est totalement immunisée ou qu'elle peut absorber. Et cela vaut bien sûr aussi pour les ennemis. Vous pouvez donc avoir des enchaînements très satisfaisants où vous faites plus d'attaques que vous devriez tandis que vos adversaires n'ont pas le temps d'attaquer parce que vos esquives ou immunités interrompent leurs tours, mais vous pouvez aussi avoir une sacré scoumoune qui casse tout votre plan d'action, voire qui mène un boss à accumuler les grosses frappes contre vous avant que vous ne puissiez vous soigner. Ce système valorise extrêmement bien l'importance des caractéristiques de Précision/Esquive et l'utilité des faiblesses élémentaires, et il ajoute une dose d'inattendu qui dynamise les combats. Il impose surtout de constituer intelligemment son équipe quand un boss nous fout une rouste : s'il spamme un élément précis, abandonnez ce démon qui lui est sensible et prenez à la place celui qui absorbe ce genre d'attaque. Non seulement votre démon sera épargné, mais ça interrompra le tour du boss et ça change tout le rapport de force.

Un jeu infaisable ?

J'ai fait un tour des lieux rapide de ce que présente SMT III en surface, mais il va falloir traiter d'un énorme morceau de son identité qui est sa difficulté, ce qu'elle implique, et comment elle se traduit réellement. Attaquer ce SMT III en connaissant sa réputation se fait avec la même appréhension que pour un Dark Souls : on m'a prévenu que j'allais souffrir mais que c'était ok parce que ça allait de pair avec l'ambiance du jeu. Je vous avoue que ça me donnait moyennement envie. J'ai déjà fait des jeux austères qui assumaient de nous faire passer un moment douloureux ou inconfortable, c'est un principe que j'accepte sans problème mais à petite dose, et surtout à condition que ce soit sérieusement étudié. J'avais peur d'être face à un jeu qui se complaise dans sa difficulté et son côté abscons, et qu'il ne génère que la frustration sans l'accomplissement. Comme pour Dark Souls il n'en est rien, on est même bien mieux guidé.

Le premier point rassurant est que le jeu n'est pas opaque du tout. Il manque peut-être des explications de gameplay qui se trouvaient probablement dans la notice à l'époque de la PS2, sur le principe de Press Turn par exemple qui peut se deviner pour un vétéran des jrpgs attentif à l'interface, mais qu'un néophyte va complètement louper alors que c'est primordial (vous me direz qu'un néophyte ferait mieux de s'initier aux jrpgs avec un autre jeu). C'est tout bête mais je n'ai pas tout de suite compris qu'en combat je pouvais changer de menu par pression de stick sur les côtés horizontaux plutôt que verticaux, même si le joueur sera vite forcé de trouver cette commande pour embaucher des démons c'est mal indiqué. Il est dommage aussi qu'on ne puisse pas avoir facilement de descriptif des sorts/compétences d'un démon alors que leurs noms ne sont pas parlants, on les a bien quand on doit sélectionner une compétence à utiliser mais quand on fusionne on ne sait pas forcément ce que fait un Tarakuja ou un Sukunda que notre nouveau démon aura de base, ce qui gêne à certaines prises de décisions. Mais sinon le jeu est loin de se montrer avare en indications. Les PNJ ont souvent une astuce à révéler, un avertissement à propos d'un boss avec une particularité à anticiper, un conseil de jeu qu'il serait avisé de prendre en compte. Le scénario ne se montre pas cryptique non plus, et on n'a pas l'impression d'avancer à l'aveugle sans savoir si l'on a bien assimilé les manières optimales de jouer. On n'est pas perdu dans des mécaniques trop complexes et le jeu nous fait comprendre qu'il est normal de galérer sans en faire un sujet de ricanement à la Dark Souls 2. Une très bonne porte d'entrée pour accepter un challenge relevé.

Quant aux combats on m'a prévenu que ça allait être très difficile. J'ai entendu parler de Matador qui aura constitué un mur infranchissable pour de nombreux joueurs alors qu'il intervient tôt, et j'ai lu a posteriori que certains considéraient que le jeu était impossible sans guide, qu'il fallait grinder pour s'en sortir (enchaîner les combats pour monter en niveau en espérant que ça suffise à rendre les boss plus simples), que son boss de fin était une horreur. Des plaintes à ce sujet ont conduit le remaster à proposer un mode facile inédit à télécharger, qui serait beaucoup trop simple pour le coup d'après ceux qui se sont renseignés à son sujet. J'ai joué au mode Normal, et je ne sais pas s'il a été lui-même recalibré depuis le jeu PS2 mais pour ma part j'ai trouvé cette réputation galvaudée.

Je trouve l'équilibrage très bien géré pour nous forcer à bien jouer sans imposer de tryhard, j'ai eu de la résistance et ma part de game over mais c'était totalement dans les clous de ce que j’attends d'un jeu qui me teste. Je ne suis jamais mort plus d'une fois contre un boss (sauf un qui m'a eu 2 fois mais qui aurait été bien plus simple si j'avais su que le sort Dekunda pouvait annuler tous mes debuffs, et pas uniquement ceux dont le nom finit en -nda comme l'indique faussement sa description), et ce premier échec permet de comprendre comment s'y prendre pour revenir mieux préparé, en choisissant des unités qui ne craignent pas son élément et/ou qui ont les compétences adéquat. On va devoir se battre à fond et ne pas craindre d'utiliser ses ressources ("mais je veux économiser mes potions parce que j'en aurai peut-être besoin plus tard..." non, c'est maintenant que t'en as besoin), mais la solution ne sera jamais dans un tryhard de forcené à espérer que la rng soit plus favorable. La rng peut pourrir un combat mais elle n'en pourrit pas 5 contre le même boss, ça c'est le signe que vous n'abordez pas le combat de la bonne façon ou que vous avez mal construit votre équipe.

Matador est un skillcheck, il vous empêche de passer tant que vous n'avez pas assimilé l'importance des buffs/debuffs. En accord avec son nom et son chara-design fantaisiste, il commence en augmentant significativement sous nos yeux sa précision/esquive (le texte indique "4 fois", ce qui nous informe que les buffs de même type peuvent s'accumuler). Si on fait comme si de rien n'était et qu'on bourre les attaques en fonçant dans la cape rouge qu'il nous agite, il va esquiver les trois quarts de nos attaques et le principe de Press Turn se chargera de vite abréger notre tour gâché, avant qu'il ne nous balance des sorts de vents qui font mal. Je l'ai fait, j'ai perdu. Je suis retourné à l'assaut en prenant des alliés qui résistent au vent si possible, et là j'ai pris au sérieux les buff/debuff d'esquive parce que j'avais compris pourquoi j'avais perdu. J'ai essayé de le debuff : il annulait ça avec une action de sa part, j'ai considéré qu'il fallait oublier cette approche pour ce combat et me buffer moi-même à la place. J'ai pris le temps d'augmenter 4 fois mes stats de précision/esquive et de défense avant d'aller au front, en passant le tour des unités qui ne pouvaient pas faire ça pour économiser des actions. Une fois bien préparé, ses sorts de vents me vaporisaient nettement moins qu'à mon essai précédent et j'ai pu lui faire bouffer sa cape. Il m'a fallu utiliser plusieurs items précieux pour ça parce qu'il tape quand même dur mais c'est passé, alors qu'il y avait moyen d'optimiser mon combat.

Et pourtant je suis loin d'être un pro des rpgs, j'avais tendance à la jouer bourrin sans cervelle tout juste bon à chercher les faiblesses élémentaires, mais là le jeu nous explique qu'il va vite falloir s'adapter et prendre le réflexe de bourrer les buff/debuff à chaque boss, modulo un éventuel gimmick qui annulerait cette approche précise. Et ce commentaire est valable pour le boss de fin aussi. Sans spoiler, je l'ai trouvé nul : j'ai first try un combat assez court pour les normes du genre et peu intense, j'avais davantage transpiré contre d'autres un peu plus tôt. J'ai appris plus tard qu'il était pourtant considéré comme très difficile, qu'il fallait minimum le niveau 90 (je devais être à 85...) et qu'il fallait bourrer à mort les buff/debuff sous peine de se faire one-shot par une certaine attaque (que je ne suis pas certain de mettre pris dans le combat, soit j'ai oublié soit je l'ai battu avant qu'il n'en ait le temps), mais ça fait depuis Matador que j'applique cette stratégie vu que c'est ce que le jeu nous enseigne. Je n'ai pas eu l'impression de jouer de manière exceptionnelle, simplement de jouer comme le jeu m'a dit qu'il fallait le faire et ça passait, à quelques joker près dont je parlerai plus loin.

Je n'ai pas non plus eu besoin de grinder de tout le jeu, ce qui est un très bon point pour moi. Cependant j'ai fait tout le contenu optionnel, excepté le donjon bonus vendu en DLC à 7 balles parce que faut pas déconner. Si l'on ne fait pas du tout le labyrinthe d'Amala et que l'on ne se met pas en quête de tous les Magatama (qui permettent de changer le set de stats de l'avatar et de lui apprendre de nouvelles compétences, capitales pour rester au niveau et se spécialiser comme on le souhaite), ce ne sera pas du tout la même limonade parce que le jeu a manifestement été équilibré avec ça en tête, ce qui réduit leur qualificatif d'optionnel (EDIT : en fait non, ce contenu était absent de la 1ère version japonaise Nocturne...). De plus je rinçais les donjons parce que je n'aime pas passer à côté de coffres, et je me suis longuement perdu dans ces niveaux labyrinthiques sans fuir les combats (à part à la fin quand j'en avais assez) ce qui constitue une forme de grind, si ce n'est que ça s'intégrait naturellement à mon aventure. Et même ainsi j'ai fini le jeu avec quelque chose comme 5 niveaux de moins pour mon avatar que ce qui est recommandé pour battre le boss de fin, c'est donc que ce n'est pas complètement le nerf de la guerre. Je n'ai presque pas eu besoin de guide non plus : j'avoue que je l'ai feuilleté pour connaître l'emplacement d'un boss optionnel sans revenir dans tous les lieux visités, et pour voir s'il y avait un moyen d'empêcher un autre boss optionnel de récupérer tous ses pv à chaque tour où s'il fallait vraiment le fumer en un seul tour (il fallait vraiment le fumer en un seul tour...). Tous les autres boss se sont fait sans guide, même si pour l'un d'eux la "bonne" manière de faire me paraissait indevinable et que j'ai du y aller à la chance pour en venir à bout, mais peut-être que j'ai loupé un pnj qui expliquait l'astuce. Cependant ça ne veut pas dire que ça s'est fait simplement, loin de là. Très loin de là.

Quel seuil acceptable de souffrance ?

J'ai l'air de me vanter à parler d'un jeu limite facile pour moi, mais la vérité c'est que j'ai douillé. Le jeu n'est pas tant compliqué à comprendre qu'éprouvant à traverser et il va vous le présenter avec une progression exemplaire. Quand on commence, la montée de niveau de notre avatar s'accompagne d'une guérison totale de tout notre groupe et on se dit que c'est cool. On a des salles de soin juste à côté des salles de sauvegarde, on est tranquille. Mais dès qu'on quitte le premier "donjon", on ne trouvera quasiment plus jamais ce genre de salle de guérison gratuite, elles se sont fait remplacer par la Dame de la Fontaine de Jouvence qui propose de soigner chaque membre un par un avec un grand sourire, alors que comme la dernière des start-up elle nous fait payer un truc qui était gratuit à la base, elle a même fait disparaître les soins gratuits de la 1ère zone. Les montées de niveau de l'avatar ne soignent plus forcément le groupe, parfois elles ne font rien mais selon le magatama sélectionné on peut même subir des altérations d'état plus ou moins galères à soigner. Les quartiers que l'on visite contiennent quasi tous des combats aléatoires même quand c'est dans une zone "civile" parce qu'on ne peut se balader presque nulle part sans que des démons nous cherchent des poux. Les démons qu'on tente de recruter peuvent se montrer capricieux, ils réclameront toujours plus sans que ça ne les empêche de finalement se barrer avec ce qu'on leur aura déjà payé. Tout nous présente une monde ouvertement hostile.

Ça, c'est vraiment l'avant-goût gentil des galères qui vous attendent parce que maintenant on va parler des donjons. Le jeu peut presque être considéré comme un dungeon-crawler dans la mesure où l'on n'est que rarement dans une zone safe et que donc même une zone civile peut être perçue comme un micro-donjon. On commence donc avec des environnements avec plusieurs embranchements, mais avec la carte on peut s'y retrouver. Un donjon à gimmick, le 1er d'une longue série, nous indiquera clairement que cette carte est précieuse pour ne pas s'engouffrer dans des impasses déjà visitées qui nous ramènent à l'entrée du couloir. Progressivement on va pester, parce que ces labyrinthes deviennent de plus en plus tordus avec des couloirs qui se ressemblent et des changements de niveaux qui rendent l'usage de la carte moins lisible. On se paume, on tourne en rond et plus on perd son temps comme ça, plus on se farcit de combats aléatoires qui se déclenchent parfois au bout de 2 pas. Et puis ça devient infernal : on a des puzzles, des téléporteurs invisibles en pagaille, des faux murs, des gimmicks à la pelle, tout ça pour nous faire piétiner sur place jusqu'à ce que l'on mémorise le trajet à faire pour esquiver tous les pièges cachés qui nous font recommencer une section. Cette phrase fera sans doute sourire les fans de SMT ou de dungeon-crawler, mais ce sont de loin les donjons les plus tordus et imaginatifs que j'ai pu traverser, d'une cruauté particulièrement raffinée mais sans pour autant paraître injustes. On peut s'en sortir, il n'y a pas de solution absurde, il faut surtout exercer sa mémoire et son orientation, la carte aidant énormément. Ce sont vraiment des épreuves, et en ça je les trouve très satisfaisantes car l'endurance qu'elles demandent ne bascule jamais complètement dans le déplaisir. Le labyrinthe d'Amala est notamment une énorme réussite.

Il en va de même des boss. J'ai dit qu'il n'étaient pas aussi impossibles que ce que leur réputation laisse croire, mais ça ne signifie pas qu'ils sont simples, juste qu'ils sont faisables. Là aussi c'est la foire au gimmick le plus imaginatif et le plus contraignant pour le joueur, avec quelques énormes purges dans le tas. J'ai dit que vous deviez avoir une grande variété de démons pour faire face à toutes les situations, ça se vérifie ici : il y a des ennemis (boss ou non) qui ne subissent pas les attaques physiques, imposant de leur envoyer des attaques magiques qui consomment du mana. Il y a les ennemis dont le sort a une probabilité faible de tuer un ou plusieurs membres de votre équipe : on peut dans un 1er temps se fier au hasard pour ne pas s'embêter avec un sort qui paraît ne rien faire, mais quand votre avatar va mourir d'une attaque de ce genre après 1h de jeu sans sauvegarde vous commencerez à la craindre davantage et à cherchez les astuces qui permettent de s'en préserver, ce qui sera primordial pour certains boss. Il y en a avec des contraintes qui se découvrent dans la douleur et vont rendre l'affrontement incroyablement laborieux, comme un qui se fait ressusciter par ses sbires et peut les ressusciter lui-même, impliquant que l'on trouve le moyen de tous les tuer dans le même tour. Pour certains boss je me suis dit que si je n'avais pas eu un démon dans mon équipe avec un sort bien précis, je n'aurai peut-être pas pu les passer. Matador sans buff pour améliorer sa précision, ce n'est sans doute pas possible. C'est là que le jeu pourrait se montrer punitif parce que la difficulté dépendra de si vous gérez bien vos recrutements, entraînements et fusions de démons, mais généralement on a d'autres occasions d'apprendre un sort. Les buffs/debuffs sont appris par plein de démons à divers stades de l'aventure et vous pouvez trouver ou acheter des objets qui ont des utilités similaires.

Je vous sens aussi inquiets que j'ai pu l'être lorsqu'on m'a parlé du jeu : est-ce que ce ne serait pas juste un jeu de maso ? Je craignais que ce soit seulement de la souffrance "banale" pour la souffrance où il faudrait refaire les mêmes combats de boss en boucle jusqu'à ce que ça passe, comme on ferait 100 pompes. En vérité on est plus proche de l'escalade de l'Everest : on morfle un peu, mais c'est motivant, non répétitif, et on est content d'avoir triomphé. Ce n'est pas une boucle insatisfaisante où l'on se prendrait le même mur, c'est une suite d'épreuves éreintantes mais très variées dont on triomphe par notre persévérance et notre astuce plutôt que par obstination aveugle. On se demande continuellement ce qui nous attend ensuite. En vérité le pire passage du jeu pour moi fut peut-être le jeu de sokoban optionnel (ces puzzles où l'on se fraie un chemin en poussant des blocs que l'on ne peut pas tirer), il m'a bouffé plus de 3h avec ses 20 niveaux des enfers et même si on peut passer outre il est nécessaire pour obtenir un magatama. Je ne peux même pas me plaindre de la qualité de ces puzzles parce qu'ils sont très bien fichus et ne se résolvent qu'en réfléchissant vraiment plutôt qu'on bougeant au pif, mais 3h à la suite pour ça c'est absolument épuisant.

Lucifer in the sky

J'ai envie de passer sous spoiler dans le paragraphe à venir pour parler d'une des fins du jeu. En effet le destin du monde sera défini par les choix que vous ferez tout au long de la partie, et le jeu nous fait vite comprendre qu'il n'y a pas de grand happy end universel possible étant donné que notre propre réalité est loin d'être rose. Cependant on va quand même subtilement se trouver dirigé vers une fin en particulier, que les guides ont tendance à présenter comme la "vraie" fin, et je trouve qu'il y a des choses à en dire.

Je vous l'ai dit, je n'aime pas passer à côté d'un donjon optionnel. Il était donc hors de question que je zappe les 5 niveaux du labyrinthe d'Amala, surtout au regard de leur qualité et du grind que ça me rapporte. Et puis les pnj du labyrinthe commencent à vendre la mèche : "Tu sais que tu es en train de prendre la voie de Lucifer là ? Ouais, les personnages dont tu suis gentiment les directives sont les anges déchus. Ne descend en-dessous que si tu penses que Dieu est responsable de tes malheurs et qu'il mérite ta révolte". Oh wow calmez vous, moi je voulais juste faire des donjons en plus. Et donc j'ai continué pour aller au bout du challenge, parce qu'après 4 niveaux sur 5 je n'allais pas m'arrêter. Et progressivement j'ai senti que j'étais un peu en train de faire une connerie... mais c'est ce genre de technique de manipulation qui me pousse à poursuivre. Je ne peux plus m'arrêter maintenant, me dis-je. Je me suis ainsi retrouvé à moitié malgré moi à accepter le chemin qui me transforme en Héraut de l'Enfer, prêt à mener les pires démons du monde à affronter le grand barbu des nuages tandis que Lucifer m'adressait un sourire narquois à la Palpatine. Après je me disais que je pouvais assumer de faire ça pour assister à la fin qui nécessite le plus d'efforts, et donc vraisemblablement la plus méritante. Mais vous sentez quand même comment j'ai eu l'impression de me faire embobiner par les développeurs pour rejoindre Hitler ?

Et pourtant tout n'est sans doute pas si simple. Je vous l'ai dit j'ai joué à Devil Survivor, et déjà j'avais pris la route pour devenir le général des armées des Enfers. Parce qu'on est dans un jeu japonais, pas dans un jeu évangéliste ou métalleux américain, et que les visions chrétiennes de Dieu et de Lucifer sont perçues avec plus de distance. Dieu n'est pas vraiment un être d'amour et de lumière dans ces deux jeux, je dirais même que leur version est un peu un snob paternaliste qui nous reproche d'être en vie et veut garder le monde pourri tel qu'il est comme le dernier des conservateurs. Rejoindre Lucifer c'est d'abord tuer Kagutsuchi, l'espèce de nouvelle Lune qui nous emprisonne dans une boucle éternelle, au point où son cycle constitue un élément de gameplay de tout le jeu (pas toujours très bien exploité ou intéressant d'ailleurs) et se rappelle donc systématiquement à nous. On doit tuer Kagutsuchi pour briser ce cycle et lancer une vraie révolution contre l'ordre du monde, avec tous les rebus de la mythologie. Ce n'est pas juste une lutte Bien vs Mal où l'on jouerait le Mal. Mais la nature de Lucifer et la roublardise avec laquelle nous sommes guidés vers cette route sans savoir tout de suite où elle nous mène, ça laisse un sacré goût de manipulation dans la bouche. On ne sait pas ce que va donner notre décision, ce n'est pas le propos du jeu. Le propos c'est qu'on a choisi cette voie parce qu'on ne voulait plus être celui qui souffre, et qu'on va devoir l'assumer (EDIT : en fait le labyrinthe d'Amala, les Maudits, Raidou/Dante et la True Demon End n'étaient pas présents dans la 1ère version du jeu sortie au Japon. Ils sont apparus à partir de la version occidentale Lucifer's Call, puis ensuite seulement au Japon, mais ils ne faisaient donc pas partie de la version d'origine. Cela fout un peu en l'air une partie de ce que je raconte à leur sujet, les japonais ont dû morfler sans ces donjons supplémentaires pour ramasser l'exp. Il n'empêche que ces ajouts sont une très bonne chose pour le jeu)

C'est la seule fin qui nous mène à affronter un dernier boss après Kagutsuchi, et là aussi j'ai des choses à dire. Déjà ça conforte l'idée que c'est la fin que les développeurs veulent nous voir prendre, celle qui mène au vrai défi qui prouve qu'on a triomphé du jeu après un boss de fin moins fort que prévu, celle qui mène au propos qu'ils veulent que l'on étudie. Ensuite c'est un combat particulièrement mal justifié : "Prouve que tu es digne de moi !". Encore ? Mec tu m'as envoyé un rival et des Maudits en pagaille juste pour me tester, tu m'as demandé de ramener des candélabres dans ton labyrinthe des enfers juste pour encore me tester, j'y ai affronté Belzébuth qui n'avait rien contre moi juste parce qu'il avait besoin lui aussi de me tester, j'ai validé toutes tes demandes, j'ai vaincu la boule à facettes géante qui nous empêchait de refaire le monde à ton image, et maintenant que tout est accompli tu me lances ENCORE un dernier test pour la route ? Mais pourquoi faire à la fin ? C'est quoi l'enjeu de ce combat ? Sur le coup j'ai cru qu'il me trahissait après s'être servi de moi et que je devais le tuer pour me protéger et ensuite prendre sa place. Je pense même que ça aurait été mille fois mieux comme conclusion, ça aurait donné un enjeu plus important, une satisfaction plus grande à la victoire et une fin plus nihiliste encore que de finir sur un "Allez c'est vrai que tu gères, tu peux continuer de me servir". Quant au combat en lui-même, il est très long parce qu'il a une résistance à tout. Le seul moyen de lui faire de gros dégâts c'est d'avoir Raidou/Dante qui peut débloquer une technique qui passe à travers les résistances, ou un autre démon très précis et trop bien caché sans guide qui est le seul à pouvoir apprendre et transmettre cette même capacité. J'avais l'un mais pas l'autre, et si j'ai réussi mon combat du 1er coup sans me retrouver dans des situations trop délicates c'était quand même long, une demi-heure au moins. J'approuve l'idée de ce True Last Boss, mais pas trop son exécution.

Shin Megami Tensei III Nocturne est donc bien le monument qu'on me vendait. J'avais peur que sa difficulté soit une posture qui se satisfasse de son intransigeance pour justifier un mauvais équilibrage, mais ce dernier est en fait exemplaire. On va avoir des moments frustrants, j'ai déjà perdu 1h30 de jeu suite à une mort dans le labyrinthe d'Amala, l'endroit où les points de sauvegarde sont les plus éloignés. Je ne prétendrais pas non plus que les 1000 combats contre des mobs sont tous passionnants, j'ai activé plus d'une fois le combat auto où tout le monde tape en accéléré sur les ennemis dans l'ordre, même si ça ne sera pas judicieux pour tous les combats. Il faut savoir qu'on fait un marathon avec des pièges trollesques, mais c'est malgré tout un jeu où l'on progresse constamment et qui a toujours quelque chose à nous faire découvrir.

Pour dire un mot sur ce remaster : c'est propre mais sans aucun ajout de quality of life alors que l'ergonomie pourrait parfois en profiter. Je ne parle pas d'ajouts de points de sauvegarde, qui font partie de l'expérience, mais au moins d'améliorer la sélection de son équipe dans les menus. Par contre les quelques cinématiques sont restées en 4:3 480p mal compressées et me sortent du récit dès qu'elles interviennent, et il y a quelques ralentis sur Switch qui n'étaient apparemment pas présents sur PS2 (je ne sais pas si c'est pareil ailleurs). Ce n'est pas bien grave et ne justifie pas de renoncer à cette version si c'est la seule à votre disposition, mais c'est un peu la honte pour Atlus.

thetchaff
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Créée

le 8 janv. 2024

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Le meilleur jeu de l'Histoire [mais pour une certaine frange de joueurs...]

Savoir que Shin Megami Tensei 3 : NOCTURNE allait sortir dans une version HD remastérisée aura été pour moi la meilleure annonce de l’année… N’ayant pas de Nintendo Switch j’ai tout de suite su qu’il...

le 30 mai 2021

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Shin Megami Tensei III: Nocturne HD Remaster
ZeroPingBlood
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Critique de Shin Megami Tensei III: Nocturne HD Remaster par ZeroPingBlood

Testé sur une PS5 (non optimisé). Écrit basé sur une version review obtenue par le biais de l'éditeur. Ce test est basé sur l’édition « HD REMASTER » uniquement, par conséquent le jeu de base (sorti...

le 12 juin 2021

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le 2 sept. 2017

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Cette critique s'adresse à ceux qui ont vu le film, elle est tellement remplie de spoilers que même Neo ne pourrait pas les esquiver.On nous prévenait : le prochain Matrix ne devrait pas être pris...

le 27 déc. 2021

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le 19 mars 2021

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