Ah ça ! Je ne vais pas vous la faire à l’envers : l’une des grandes raisons qui font que j’ai globalement apprécié ce jeu, c’est sa direction artistique. Ce trait bande-dessinée. Ces couleurs douces. Cette musique sublime. Cette narration de Marc Cassot. Ah ça envoie ! Ah ça me touche ! Ah j’adore ! Pour moi il y a quelque-chose d’assez culotté à mêler ainsi un événement aussi dramatique à une esthétique aussi délicate et mignonne. Et même si je trouve qu’au final ce « Soldats inconnus » n’évite pas certaines maladresses, l’un dans l’autre je considère malgré tout que ce jeu a le mérite d’exister et de proposer quelque chose d’original et de singulier.


Parce que oui, malheureusement, elles sont quand-même nombreuses ces maladresses. Dans le fond d’abord. On sent l’envie de ne pas prendre parti dans cette guerre et d’en faire simplement un drame humain vu à hauteur d’humains. Sur ce point, j’adhère totalement et de nombreux choix opérés dans l’intrigue sont très pertinents : le fait d’incarner aussi bien des Français que des Allemands, des hommes que des femmes, mais aussi des prisonniers de guerre. Tout cela donne une image riche du conflit tout en permettant de varier le gameplay. Seulement voilà, au final, à bien tout prendre, on penche quand même largement plus dans le camp de l’Entente que dans celle de la Triplice. Et même si le jeu des caricatures enfantines neutralise un peu les choses, les Allemands apparaissent néanmoins comme les grands méchants de l’Histoire. Ainsi l’intention de base n’est pas toujours respectée et je trouve ça dommage au regard de la préciosité de la démarche.


D’ailleurs, il n’y a pas que dans la narration que le bât peut blesser. Par moments, afin de dédramatiser au mieux l’événement, le jeu n’hésite pas à s’éloigner d’une certaine réalité de la guerre pour se risquer dans certaines représentations volontairement fantasques, notamment avec des machines qui virent dans une sorte de trip steampunk. Alors pourquoi pas. C’est un choix. Mais personnellement c’est un choix qui m’a dérangé. D’un côté on a des fiches d’explication sur ce qu’était la guerre, pour essayer d’être le plus pédago possible, et de l’autre on a des trips fantaisistes qui brouillent les cartes et qui, me concernant, m’ont pas mal perturbé dans l’immersion de ce jeu.


De jeu, il serait peut-être d’ailleurs temps d’en parler. Car même avec une esthétique parfaite, un jeu ne peut exister qu’au travers de son ludisme. Or, sur ce plan là, ce « Soldats inconnus » sait tout aussi bien se montrer pertinent que maladroit. Pertinent dans le fait de se penser comme un jeu d’énigme plutôt que comme un jeu « de guerre » à part entière. A aucun moment on est amené à tuer d’ennemi dans ce jeu. On se doit juste de survivre – et parfois de faire survivre. Et pour moi c’est totalement cohérent avec la démarche globale de ce titre. Seulement – on ne va pas se mentir non plus – ce jeu n’est pas ultra compliqué ni vraiment inventif. La répétition le guette souvent, aussi bien dans les phases de jeu proposées que dans les décors et les situations explorées. Sympa certes, mais pas transcendant. Et ce n’est clairement pas cette flopée de collectibles insignifiants à choper qui va arranger ça…


Mais bon… Etonnamment je me surprends à ne pas en exiger vraiment davantage. « Soldats inconnus » a visiblement été pensé pour être un petit jeu sympa ; une petite pastille bien plus originale dans sa forme que dans son fond. Et j’ai beau être le genre de joueur à privilégier le fond à la forme, j’avoue que ça ne m’a pas dérangé. Et je pense que ça ne m’a pas dérangé parce qu’il y a un vrai plaisir à explorer ces décors, ces personnages, ces mimiques… Ç’en est à tel point qu’au final ce que je reproche le plus à ce jeu ce sont tous ces détails qui ont été pour moi mal travaillés et qui nuisent à l’immersion. Pourquoi faut-il faire la démarche soi-même d’aller chercher dans les menus tous les éléments de lore ou les informations liées à la guerre ? Pourquoi ces éléments tombent-ils toujours à la pelle, ce qui nous décourage de passer dix minutes à les lire en plein milieu d’une partie ? Pourquoi le menu est-il aussi confus d’utilisation ? Et puis – détail tout bête – pourquoi il n’y a-t-il aucune animation quand notre personnage ou le chien s’engouffre dans une porte et change de plan ? Pourquoi ce fondu tout pourri ? Ça fait tellement « oh et puis merde : on ne va pas s’emmerder pour ça ! » Dans un jeu qui repose à ce point sur sa forme, je trouve ça vraiment dommage…


Mais bon… Comme je le disais plus haut, même si ce jeu est assez maladroit et loin d’être exempt de tout reproche, je ne peux m’empêcher d’avoir de la sympathie pour lui. Certes peu original et assez répétitif, il n’en reste pas moins une alternative agréable quand on veut jouer dans le train, sans se prendre la tête, pour une petite session de vingt minutes / une demi-heure. Il est simple mais il est sympa. Il fait sa part. Et moi, en tout cas, à chaque fois que j’y repense, même si ça ne me donne pas forcément envie de m’y replonger, j’ai tout de même un sourire. Le sourire des expériences de jeu sympas. Et moi je dis, vivre des expériences de jeu sympas, c’est toujours ça…

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