« Vous souvenez-vous pourquoi vous êtes ici ? »

Les jeux de tir à la troisième personne se généralisent durant la septième génération de consoles mais sont aussi souvent l’apogée d’une violence gratuite décomplexée pas bien fine. Le petit studio allemand Yager décide alors de reprendre la méconnue et peu appréciée licence Spec Ops pour en faire un TPS moderne avec un vrai message pacifiste à la clef. Si ça ne se destine clairement pas à un grand public, Yager y met les moyens et la promesse d’un bon TPS AAA au scénario et à l’ambiance travaillées, ça me plaît beaucoup sur le papier. Voyons ce qu’il en est dans la pratique avec cette critique pour laquelle je vous recommande l’écoute de Dies Irae, superbe musique classique utilisée dans le jeu.



GAMEPLAY / CONTENU : 7 / 10



Autant le dire d’emblée : Spec Ops est un TPS très classique dans son gameplay mais il en applique très bien les fondamentaux. Évidemment, on a une visée et un déplacement qui répondent bien dans un level-design certes dirigiste et clos mais parfaitement fonctionnel dans sa disposition des abris, des points de spawn ennemi... Il y a tout de même des petites idées originales dans le maniement comme le court mais précieux bullet-time offert après un headshot, la destruction du décor pour provoquer des attaques dévastatrices, la possibilité de concentrer le feu de nos alliés sur une cible précise, la destruction du décor pour provoquer des attaques dévastatrices…


D’ailleurs, l’IA alliée s’en sort vraiment très bien la plupart du temps en offrant un bon compromis en étant réellement utile en combat mais sans non plus être invincible et faire systématiquement tout le travail à notre place, sans jamais nous déranger en continuant d’occuper un abri que l’on veut ou en restant dans notre ligne de mire sauf à de très rares occasions accidentelles... Quelques phases de jeu originales, parfois articulées avec cette idée de coop avec les bots, viennent rythmer la campagne qui passe vraiment très vite si l’on excepte la difficulté qui nous est proposée.


En effet, le challenge est assez soutenu avec un compteur de munitions à surveiller de près et une vie qui descend très vite même en normal, forçant à ne jamais foncer tête baissée et bien observer pour ne pas se faire surprendre par un ennemi bien placé ou particulièrement dangereux. Il y a tout de même quelques sources de difficulté que je trouve discutable, comme l’absence de frame d’invincibilité pendant un soin d’allié ou une exécution d’ennemi mais globalement le challenge reste juste et c’est plus un point fort pour moi.


On voit bien que c’est pas non plus le TPS ultra abouti sur son gameplay, par exemple son masque de collision peut parfois manquer légèrement de précision, le level-design est très dirigiste la plupart du temps avec tel chemin précis à emprunter quittes à bloquer les autres avec un mur invisible grossier, tel abri qui est vraiment le point où il faut être pour être bien protégé… La rejouabilité n’est motivée sur le plan ludique que par la collecte de tous les documents et la difficulté plus élevée, il n’y a pas de séquences de jeu très différentes selon nos choix ou même différentes méthodes efficaces parmi lesquelles choisir pour passer un obstacle.


Par conséquent, la durée de vie du titre n’est vraiment pas très élevée avec une campagne assez courte et un seul mode de jeu annexe qui n’était pas encore disponible au lancement du titre. Entre ce léger manque de contenu et le fait que le gameplay est simplement efficace, Spec Ops The Line est de qualité très honorable qui n’a rien de plus en particulier que sa concurrence sur ce terrain-là, mais il a bien d’autres atouts en réserve et c’est là que l’on peut comprendre pourquoi j’aime ce titre.



RÉALISATION / ESTHÉTISME : 8 / 10



Le désert est l’environnement majeur de Spec Ops The Line puisque tout se passe à Dubaï et le moins que l’on puisse dire c’est qu’il est très réussi : les bourrasques déposant le sable au loin, le soleil de plomb nous aveuglant... et évidemment ça marche superbement bien en contraste avec les intérieurs luxueux aux couleurs très différentes par moment. Ça donne au final une diversité dans la palette de couleurs éclatantes tout en restant dans une même thématique visuelle, soit une direction artistique réussie, diversifiée et homogène. Je dirais que c’est le point le plus abouti et le plus maîtrisé de tout le jeu.


Si techniquement quelques textures bavent, le moteur physique n'est pas toujours fameux, les animations sont peu détaillés, les cinématiques montrent pas mal d'aliasing, un effet de flou assez prononcé sape la distance d'affichage... il faut reconnaître que le jeu réussit tout de même à ravir les yeux avec une direction artistique diablement efficace qui offre plusieurs plans mémorables ponctuant l’aventure. Un exemple parmi d'autres montrant toute l'importance de l'esthétisme dans le rendu visuel global d'un titre au-delà de sa simple technique qui est ici correcte mais perfectible pour un jeu de 2012.


Ça sert également des buts narratifs puisque l’on ne cesse tout du long de parcourir des constructions humaines sur lesquelles la nature reprend ses droits ou que nous sommes amenés à détruire, ce qui est un sous-entendu critique qui n’est certainement pas là par hasard dans un jeu qui a mis autant son focus sur son scénario. Ça peut aussi servir des buts ludiques avec un chemin intuitif à suivre quasi-constamment même quand l’aire de jeu s’ouvre, un réticule de visée de couleur plus ou moins vive selon l’efficacité du coup...


Le travail sur le sound-design est également assez poussé avec les impacts des tirs des armes les plus puissantes qui nous permettent de bien les identifier et d’adorer les utiliser, tous les bruits sourds lors des explosions ou quand on est blessé, le placement des hauts-parleurs d’où proviennent certaines musiques ou certains dialogues dans le jeu pour que ça se répercute bien, l’écho sur notre propre voix selon où on se trouve... Les musiques sont souvent reprises mais bien choisies avec quelques emprunts à la musique classique absolument génial et quelques compositions originales qui font très bien le travail.


Un petit détail que j’apprécie beaucoup c’est l’écran titre qui évolue selon notre avancée dans le scénario avec beaucoup de classe et de cohérence. Le seul point esthétique sur lequel j’aurai des réserves c’est le chara-design que je trouve assez générique et assez peu détaillé, y compris sur les personnages principaux, protagonistes comme antagonistes. Autrement, la direction artistique est sublime et le réalisation, si elle est perfectible, a aussi ses coups d’éclat, notamment au niveau sonore, j’en retire donc un bilan très positif, tout comme pour le scénario.



SCENARIO / NARRATION : 8 / 10



Si au début l'ambiance c'est de braves soldats américains drapeaux au vent, blagues à la chaîne et manichéisme évident, le scénario évolue façon plongée en enfer avec d'abord de la maturité qui fait oublier à nos personnages tout humour, prenant les enjeux au sérieux, pour lentement glisser vers la folie meurtrière pour quelques passages mémorables et poignants. Ces derniers font souvent écho à des œuvres cinématographiques telles que Apocalypse Now, Rambo 1 ou Platoon dont le scénariste, Walt Williams, assume pleinement l’inspiration qui est effectivement une inspiration, entendez par là qu’il n’y a pas de copier-coller faciles et sans intérêt.


Spec Ops the Line livre un discours impitoyable sur la guerre, ne laissant aucune place à l’héroïsme ou l'idéalisme et ça marche très bien et cela en pleine génération jeu de tir banalisant la violence et justifiant l'usage de la force armée, voire l’encourageant. Rien que pour ça Spec Ops the Line mérite que vous lui portiez votre attention. Il aborde par la même occasion des thématiques comme les crimes de guerre, la discipline bête et méchante, le paradoxe de vouloir la paix en faisant la guerre, la théorie de l’engagement qui fait qu’on poursuit une erreur pour qu’au moins à la fin elle n’ait pas été vaine même si on sait que c’est une erreur...


Spec Ops The Line livre également son message en tant que jeu vidéo et non comme un autre média pourrait le faire. Pour moi le chapitre 8 en est un parfait exemple car il nous place d'abord dans une vue typique jeux vidéo, vue du dessus sans que l'on comprenne vraiment nos actions, avec un certain détachement où on pourrait juste se concentrer sur l’aspect ludique de la séquence. C’est cet aspect purement ludique qui prépare le terrain à la traversée parmi les macchabées qui nous fait prendre conscience brutalement de ce qu’il vient de se passer et enfin le final de cette scène arrive, elle qui fait clairement partie des scènes les plus choquantes que j'ai pu voir tout jeu vidéo confondu.


De la même manière, le jeu encourage à être agressif dans sa façon de jouer (récompenses supplémentaires avec les exécutions, musiques très entraînantes lors des combats...) pour renforcer son message contre la violence, le level-design nous pousse constamment à descendre pour symboliser la descente aux enfers de nos persos... Les différents twists au cours du jeu et principalement le twist final offre un degré de relecture assez profond sur pas mal de passages lors d’un éventuel second run, il y a que là qu’on retrouve un vrai facteur de rejouabilité.


La cerise sur le gâteau c’est les doublages français de qualité (VF de Jim Raynor de Starcraft 2 et de Blazkowicz des Wolfenstein pour Konrad par exemple) et la VOSTFR disponible également de qualité bien évidemment (VO de Nathan Drake d’Uncharted ou de Desmond Milles d’Assassin’s Creed pour le protagoniste par exemple), parfait ! Je dirais pour être exigeant que les choix moraux sont assez superficiels tout compte fait en dehors de la fin du jeu véritablement multiple et très bien foutue. Le jeu nous laisse le plus souvent croire qu’un choix qui nous est proposé va avoir une grande incidence sur la suite alors que ce n’est pas le cas, ce qui m’a beaucoup déçu quand je m’en suis rendu compte mais c’est vraiment la seule limite importante au potentiel de ce scénario et de cette narration.



CONCLUSION : 8 / 10



Quelqu'un me dit que les TPS c'est souvent des jeux d'action qui ne prennent aucun recul sur leur sujet et se contente de glorifier le militarisme, particulièrement américain, Spec Ops The Line est le jeu que je recommande pour prouver le contraire. Il porte un message intelligent avec efficacité et s'il est assez générique dans son gameplay et assez peu généreux en contenu, il se défend tout à fait honorablement là-dessus et a de grandes qualités esthétiques et narratives qui font que je l’apprécie beaucoup.

damon8671
8

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le 20 sept. 2013

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damon8671

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