Je serai allé assez vite en besogne sur ce Starfield, mais je peux quand même lâcher l'expression : voilà un jeu qui ne se laisse pas facilement classifier. En général, "les jeux qui ne se laissent pas facilement classifier", c'est plutôt bon signe, cela prouve qu'ils font un effort d'originalité. D'une certaine manière d'ailleurs, c'est le cas de Starfield, qui est original par bien des aspects. Cette façon bien à lui qu'il a de mélanger ses systèmes, de raconter son histoire, de corriger certains détails des anciens jeux de Bethesda de façon étrangement soigneuse tout en fermant les yeux sur d'autres choses pourtant plus importantes en font un titre unique. Au point qu'il devient compliqué de rendre un avis valable à son sujet, qui rende justice au travail relativement titanesque qu'a dû représenter son développement, autant qu'à la tannée que représente le fait d'y jouer plus de dix minutes à la suite pour un être humain normalement constitué. Starfield est un océan de paradoxes, un merdier intégral que la simple idée de décrire me plonge dans un abîme de perplexité. 
J'admettrai déjà, à ma grande surprise et presque à contrecoeur, que Starfield produit des efforts considérables pour revitaliser la formule Bethesda que les aigris dans mon genre n'ont que trop appris à détester. Des efforts qui se ressentent d'abord sur l'aspect technique, qui a fait un sacré bond en avant en poursuivant les progrès entamés par Fallout 4 : le jeu est beau, autant d'un point de vue technique qu'artistique. Cela tient à des textures nettement plus détaillées, à une distance d'affichage franchement respectable, à ces (habituelles) skyboxes particulièrement impressionnantes qui donnent à compter individuellement les étoiles au-dessus de notre nez ; des choses qui, mises bout-à-bout, œuvrent brillamment à cette sensation d'immensité qui était nécessaire pour un jeu à thématique spatiale, et qui se voit honorée de la plus belle des manières. Même topo concernant les personnages que l'on rencontre, qui modulent enfin des expressions dignes de véritables êtres humains, dont le regard possède enfin cette étincelle de vie que l'on appelait depuis si longtemps de nos vœux, ce qui rend les dialogues assez immersifs. Un peu partout, ce sont aussi de petits progrès conceptuels, des choses qui auraient pu relever du détail prises séparément, mais dont la somme modernise sensiblement l'expérience, à l'image des mini-jeux de crochetage et de persuasion, complètement transformés, dont on sent qu'ils ont fait l'objet d'une véritable réflexion de la part de game designers bien conscients des retards historiques des jeux Bethesda. Il plane dès nos premiers pas dans cet espace intersidéral un certain parfum de progrès, et j'ai été plusieurs fois pris au dépourvu par des raffinements techniques ou conceptuels qui pourront n'avoir l'air de rien pour un nouveau venu, mais qui témoignent au vieux routards du Creation Engine d'une certaine envie de remise en question, de modernité ; et j'y ai été sensible. 
Si sensible, à vrai dire, que les premières minutes au contact de Starfield m'ont inspiré un sentiment que j'avais oublié en parlant des jeux Bethesda, soit une forme de confiance retrouvée. On est accueilli par un bel éditeur de personnage, toujours aussi puissant mais mieux pensé et moins enclin aux horreurs esthétiques du passé. On est ensuite propulsé dans une galerie minière pleine de vie, lors d'une introduction assez cinématographique qui tranche radicalement avec les précédents jeux de l'éditeur ; peu avant, cependant, de grimper dans un vaisseau spatial, la grande promesse du titre, et de se retrouver comme deux ronds de flan face à un cockpit aux boutons tout compliqués et à l'interface digne d'un jeu de dogfight des années 2000 - soit à peu de chose près la chose la moins bankable de toute l'industrie du jeu vidéo grand public. Après un instant d'incompréhension, cela a provoqué chez moi une certaine admiration, celle de constater que Bethesda, l'un des éditeurs devenus les plus frileux au monde, est encore capable d'une certaine prise de risque. Ce sont des choses qui se saluent, mine de rien, et qui, si on n'y prend pas garde, pourraient même porter en elles de belles promesses sur la suite de l'aventure ; des promesses auxquelles je me suis laissé croire, en manipulant maladroitement mon vaisseau spatial dans le but de rejoindre New Atlantis, et... oh, bordel.
En dix minutes, on a ainsi déjà embrassé les principales qualités et les principaux de Starfield : c'est beau, mais c'est donc aussi totalement injouable. Pas injouable au sens classique du terme, notez, le personnage répond bien, les commandes sont plutôt fluides et naturelles tant qu'on reste en-dehors des menus. Non, c'est bien dès qu'on appuie sur la touche Start que des gouttes de sueur commencent à nous perler au front, quand on essaye de se repérer dans d'étranges empilements d'interfaces aux logiques de navigation aussi obscures qu'un trou noir. Prenons ainsi, pas du tout au hasard, la carte stellaire, qui est l'unique moyen de se déplacer entre les différentes planètes que l'on sera amené à arpenter. Cette seule carte est une leçon de tout ce qu'il ne faut surtout pas faire en UX design, sous aucun prétexte ; et vous pouvez me croire, car je n'y connais rien en UX design et pourtant je l'ai compris en 30 secondes. Rien que le jargon utilisé pour les déplacements de lieu en lieu est faramineusement et inutilement diversifié, nous laissant le choix, selon les destinations, entre "Voyager", "Afficher sur la carte", "Mettre le cap", "Sauter" et/ou "Atterrir", selon des conditions logiques vues de loin, nettement moins vues de près, qui provoquent beaucoup de fausses manipulations même après des heures de jeu. Cet indémerdable plat de spaghetti spatiaux ressemble au rêve fiévreux d'un stagiaire ergonome où se rencontreraient, ivres, la contre-intuitivité des commandes, la non-homogénéité des indications et les mauvais placements d'informations à l'écran. C'est sidérant, car Bethesda n'avait littéralement qu'un seul travail : reprendre la logique de navigation, au pif, de Mass Effect (qui avait su dès son premier épisode pondre un truc potable il y a 20 ans), la tweaker légèrement pour s'affranchir d'un procès de plagiat, et c'était réglé. Mais non, pour une raison qui échappe et échappera sans doute toujours à la science, Bethesda, les spécialistes mondiaux du recyclage, ont décidé un beau matin de mettre un paquet de pognon dans la création de zéro de ce qui est peut-être l'interface de navigation la plus compliquée et la plus désagréable au monde, qui sacrifie sur l'autel d'une pseudo-immersion le bon sens d'ergonomie le plus primaire. Dix heures de jeu plus tard, je n'ai toujours pas compris comment aboutir avec certitude à un atterrissage sur la planète que je veux rejoindre ; une fois sur deux, à manipulation identique, je me retrouve à afficher à la place son trajet GPS (qu'il est pourtant impossible de suivre manuellement, voir plus bas) au lieu de m'y téléporter. Alors que je m'en sors très correctement sur Lunar Flight, un jeu de... simulation. Quand même. 
Ce constat, déjà pas glorieux, ouvre la porte à une série d'interrogations sur les choix des développeurs concernant les flux de navigation en général. Et la contre-performance est absolument dingue. L'irrationnalité de la conception du moindre menu est si constante qu'elle en forcerait quasiment le respect. Le journal de quêtes ? Pour activer le suivi de l'une d'elles, il faut non pas se placer sur son intitulé (ça ne marchera pas), mais la déplier et sélectionner une sous-étape (alors, toutes se sélectionnent en même temps). Le suivi d'un objectif à l'écran ? Les pictos sont régulièrement masqués sous d'autres plâtras d'icônes et n'affichent même pas le sous-objectif actif, conduisant à nous faire réaliser sans le vouloir des étapes très différentes de celles qu'on pensait avoir choisies. L'interface marchande ? Ce n'est pas LB et RB pour changer d'onglet, mais uniquement LB ; la gâchette de gauche, donc, pour déplacer un curseur qui va pourtant exclusivement vers la droite (celle-là, on est vraiment dans la pure provocation, je vous promets qu'elle a été faite uniquement pour que vous sentiez le doigt de son concepteur vous caresser la paroi anale interne). La gestion de l'équipement ? Aucun pictogramme ni information ne renseigne sur les machins qu'on ramasse ; tout est entièrement textuel, et réduit à l'information du nom de l'objet. Starfield m'a un peu rappelé Hogwarts Legacy dans son appel permanent à la manipulation de menus atroces, affublés de ces mêmes petits temps de latence juste présents ce qu'il faut pour hérisser le poil, en nous contraignant à aller toutes les deux minutes dans l'un ou l'autre pour bien casser le rythme et nous faire râler contre des logiques qui semblent, pour certaines, avoir été carrément pensées pour agacer. 
Et pourtant, c'est bien dans l'espace que Starfield compose son alternance la plus fragile et illogique entre ses instants "menus" et ses instants "jeu". On est ainsi, dès les premières minutes de jeu, invité à manier notre vaisseau en plein vide spatial, tandis qu'une icône de quête sur l'énorme planète devant nous indique qu'il s'agit bien, en ligne de mire, de l'objectif à atteindre. Le réflexe de chacun, du plus béotien au plus expérimenté, sera de mettre les gaz pour atteindre l'atmosphère de ladite planète : ce n'est pas comme si la chose n'avait pas déjà prouvé être techniquement possible, du (plus si) récent No Man's Sky aux "vieux" indés turbo-fauchés des années 2010 comme Earth Analog. Alors pour un mastodonte comme Starfield ? La bonne blague. Sauf que non, en fait, Starfield ne sait pas gérer les descentes dans l'atmosphère. Sa parade est donc de rendre inaccessibles les planètes depuis l'espace, mais sans vous le dire ; plutôt en vous laissant vous traîner comme un demeuré intergalactique jusqu'à ce que vous réalisiez par vous-même que la carte stellaire, loin d'être une option, est une obligation, rendant de facto l'environnement spatial séparé de l'environnement atmosphérique. Même si ça la fout un peu mal pour un jeu à ce niveau d'ambition, ça ne serait quand même pas grave s'il prenait en compte cette séparation dans sa philosophie de game design ou qu'il avait l'honnêteté de l'expliciter au joueur, mais tout le problème est bien là : Starfield ignore cette séparation. Il ne l'assume pas. Il fait comme si elle n'existait pas. Il nous propose de piloter un vaisseau dans l'espace alors qu'il sait lui-même parfaitement, le bougre, que ça ne sert à rien ; qu'un voyage entre deux planètes est à classer, in fine, par un jeu de menus. Exactement comme Mass Effect. Dont ils ont donc décidé de ne pas reprendre l'interface pour pondre à la place un truc incompréhensible. Pose immédiatement ce sachet de coke, Todd.
De là, on peut continuer dans la fascinante logique de déni général de Starfield, qui s'emploie à peu près dès qu'il le peut à "faire comme si". "Faisons comme si" il était utile de se promener dans l'espace. "Faisons comme si" ramasser des trucs, des ressources, des objets de craft dans l'environnement servait à quelque chose. "Faisons comme si" nous construire un beau vaisseau, ça changeait quoi que ce soit. "Faisons comme si" le minage, les avant-postes, les scans de minéraux avaient le moindre pet de nécessité dans le cadre, somme toute très cloisonné, de l'aventure à laquelle la quête principale nous convie. Dans le fond (et autant dire qu'on y a pieds), Starfield ne s'emploie en son for intérieur qu'à accélérer cette morbide déconnexion entre différents systèmes par ailleurs incohérents les uns vis-à-vis des autres, chose qui avait donc bien été entamée sur Fallout 4 et sa gestion/construction de colonies et dont on se doutait qu'elle finirait par refaire surface. Rappelez-vous ainsi ce bon vieux taré de Preston Garvey, convulsez traumatiquement au souvenir de ses invites permanentes à vous occuper de vos avant-postes ; et maintenant, imaginez que Starfield, c'est la réincarnation spirituelle de Preston Garvey sous forme de jeu. Une genre de transhumanisme plus déviant que la déviance même, qui convoque tout ce qui rendait Fallout 4 nul et non avenu aux yeux des rôlistes ayant jadis roulé pour Bethesda, qui restèrent incapables d'expliquer ce qui avait bien pu partir en vrille chez ce développeur entre le grand Caïus Cosadès et ce gros tas de merde de Preston Garvey ; et qui ne sont pas plus avancés avec ce Starfield, qui a pour paradoxale et exaspérante qualité d'essayer de faire les choses bien même s'il échoue à presque tous les niveaux.
Car c'est aussi ce qui rend fou avec Starfield : c'est un jeu sur lequel il y a eu, manifestement, énormément de travail. La carte stellaire, pour y revenir, toute dysfonctionnelle qu'elle est, demeure incroyablement chiadée d'un point de vue esthétique, et on perçoit de temps à autre, telles des étoiles filantes, les raisons qui ont pu amener les ergonomes du studio à pondre une horreur pareille. L'appel à la collecte et au craft, qui trouve son point d'orgue dans la construction de vaisseau, garde en ligne de mire une volonté de stimuler la créativité du joueur dans une sorte de relecture de Zelda TOTK, certes largement pervertie par les marottes de design occidentales les plus flinguées, mais néanmoins sincèrement désireuses d'amuser. Il faut même reconnaître au jeu un mérite rare, d'autant plus venant de Bethesda : plutôt que vous enfourner dans le gosier ses différents systèmes à grands coups de tutoriels pénibles, il va vous faire confiance, va vous laisser les clés de la maison sans vous infliger la traditionnelle visite guidée à laquelle les gros jeux modernes se sentent habituellement obligés. Il n'est pas interdit d'y voir un certain courage, et de nombreux joueurs ayant fait l'effort de réellement mettre les mains dans le cambouis pour apprivoiser ses différents concepts "secondaires" (les avant-postes, la construction de vaisseaux, le scan de ressources principalement) s'en déclarent pleinement satisfaits en multipliant les créations les plus ambitieuses et les plus originales, un peu à la façon du susdit Zelda, ce qui reste à souligner. Seulement, cela ne retire pas leur ergonomie déplorable d'une part, et leur indépendance totale vis-à-vis du lore et de l'univers d'autre part, dans le sens où ils sont, bêtement, facultatifs ; et c'est cet aspect optionnel qui suffit à les rendre indûs, particulièrement dans un genre où la cohérence est une obligation. 
D'aucuns argueront qu'en parlant de genre, Starfield contribue, de même que Fallout 4 et 76, à flouter les contours modernes du RPG occidental pour s'extraire des schémas connus et creuser sa propre recette, qui rend les jeux Bethesda effectivement incomparables à la concurrence et leur donne ce caractère factuellement unique. Commercialement, le calcul n'est pas mauvais, et conceptuellement, ce n'est pas non plus une démarche fondamentalement critiquable. Ou plutôt, ça n'en serait pas une si Starfield, comme ses prédécesseurs post-2010, cessait de s'entêter dans ce rejet essentiel de la cohérence, un défaut réel, fatal même, quel que soit le genre pour un jeu vidéo. "La perfection, ce n'est pas quand on ne peut plus rien ajouter, c'est quand on peut plus rien retirer", disait un grand sage ; et si seulement le Bethesda moderne respectait un peu plus ce précepte, il pourrait alors produire des jeux réellement incontournables, passionnants, faisant autorité par leur complexité et même malgré leurs défauts de forme ou d'ergonomie. De plus, en rendant facultatifs ses différents compartiments, Starfield s'expose à un paradoxe de taille en ne pouvant se reposer sur aucun d'entre eux individuellement, du fait de leur incapacité à trouver un sens profond dans l'expérience globale ; ainsi, ils ne sont dès lors plus facultatifs mais obligatoires. Ainsi, il n'est plus optionnel de picorer dans des systèmes totalement cloisonnés les uns par rapport aux autres si on veut vivre une aventure un minimum intéressante. C'est le dernier clou enfoncé dans le cercueil du jeu, qui ne peut dès lors se vouer à aucun aspect pris isolément pour tenir debout tout seul, et se voit contraint d'exister uniquement en tant qu'amoncellement disparate de mécaniques et d'expériences. 
Un seul de ces aspects suffira à prouver que Starfield n'est pas, contrairement à son ambition affichée, un jeu se dégustant selon l'appétit du moment : son versant purement rôliste, qui reste à la base du jeu, échoue en effet dans les grandes largeurs, en amplifiant les défauts de Fallout 4 pour ne plus proposer qu'un succédané froid de RPG. Cela rend de fait impossible de se satisfaire de cet aspect seul, et oblige à aller chercher son bonheur ailleurs, en picorant dans ses autres versants. C'était à prévoir, c'était même son défaut le plus prévisible, mais les faits sont là : Starfield est un ratage retentissant si on s'en tient à ses composantes de jeu de rôles classique. Les nombreux efforts consentis sur la forme ou sur l'amélioration des défauts historiques des précédents open worlds de Bethesda que je citais au début de mon texte ne suffisent déjà pas à atténuer une écriture désastreuse, qui foire magistralement son argument de science-fiction spatiale et néglige ses enjeux, comme ses personnages, à un degré qui confine au je-m'en foutisme le plus total. On me dira que, particulièrement dans le paysage de la SF, l'heure est au massacre trans-média et à l'abrutissement généralisés, avec les meurtres de sang froid de licences autrefois prestigieuses qui se sentent obligées d'abandonner la complexité proverbiale de leurs sources d'inspiration pour verser dans une sorte de caricature manichéenne généralisée (je pense à toi, Alien Romulus) ; mais vraiment, même en considérant cette mauvaise passe globale pour le genre, Starfield se fout bien de nos gueules avec un scénario d'une bêtise effarante, emmené par des personnages dont dire qu'ils sont unidimensionnels serait déjà trop leur donner d'importance, tandis que chacun d'eux se contente d'énoncer les situations factuellement en se gardant bien d'y mettre la moindre trace de personnalité ou d'émotion. Le plus drôle ? On n'y comprend rien, malgré tout, et au bout d'une heure de quête principale j'étais déjà complètement largué, déjà fatigué que j'étais de m'être tapé 3 planètes pour n'y rencontrer que des randoms m'informant qu'en fait il fallait que j'aille ailleurs. Je n'ai pas oublié la très injuste taule que s'est ramassé en pleine poire The Outer Worlds, autre RPG spatial qui faisait pourtant de considérables efforts d'écriture au point de rendre son monde et ses habitants tout simplement vivants et donnant envie de les connaître : à côté, Starfield est un... truc, une chose, je ne saurais dire, mais il me semble impossible d'éprouver le moindre attachement, autant à la quête du protagoniste qu'aux humeurs ou détresses des PNJ intérieurement morts qu'il rencontre, tous uniformément plats et transparents au point qu'on croirait que ChatGPT est passé par là (une théorie qu'aurait tendance à accréditer la nature concrètement imbitable des différentes péripéties qu'on se voit infliger).
D'ailleurs, pour parler de l'échec de Starfield en tant que RPG, faire une plus longue comparaison avec The Outer Worlds me semble inévitable tant ces deux jeux partagent des caractéristiques proches, que ce soit dans leur perpective, dans leur setting SF ou la liberté qu'ils se vantent respectivement de proposer au joueur. La liberté, dans Starfield, est d'ordre systémique : le joueur choisit les aspects du jeu qu'il souhaite creuser, qu'il s'agisse donc du craft, du scan, de la construction d'avant-postes ou de vaisseaux ; elle s'éparpille dans différents systèmes eux-mêmes très compartimentés et n'interagissant pas entre eux. Dans The Outer Worlds, elle participe en revanche d'un tout indissociable, par une alchimie équilibrée entre liberté d'approche, de dialogue et d'allégeance aux différents personnages et factions peuplant son monde, avec en ligne de mire des conséquences à assumer à court et long terme pour chaque action. Il me semble très ironique de constater que The Outer Worlds, qui a pourtant été déjà largement conspué pour être très classique et sans surprise, réussit tellement mieux à s'épanouir en tant que RPG que Starfield, à tel point qu'il ne joue juste pas dans la même catégorie, qu'il humilie Starfield à chaque strate à un degré quasi-hilarant ; c'est bien simple, il fait la leçon à Starfield, à littéralement tous les niveaux. Qu'il s'agisse de la liberté d'approche concrète ou figurée, de la personnalité des compagnons, des enjeux de la quête principale, de la narration environnementale, des outils laissés au joueur pour résoudre les différentes situations, The Outer Worlds respire l'essence du RPG à un niveau fondamental quand Starfield ne tente même pas de s'en approcher, préférant à la chaleur et à la passion de son concurrent une liste de tâches digne d'un tableur Excel croisé avec les pires tendances du AAA occidental (consistant, donc, à faire tomber chaque PNJ en amour avec notre protagoniste et à lui confier sa vie sans condition ni conséquence). On sait depuis un moment qu'il n'y a plus d'écrivain compétent chez Bethesda ; on a aujourd'hui la confirmation que c'est une volonté assumée, car l'histoire et l'univers, selon Todd Howard, n'ont plus droit de cité face aux systèmes. Le résultat est sans appel : la narration entre en contradiction immédiate avec le gameplay, en proposant au joueur de découvrir une galaxie déjà découverte, en lui offrant de percer des secrets qui auraient déjà dû l'être (car accessibles au grand jour par n'importe qui). Une erreur d'une grossièreté inouïe, certes déjà vécue dans Skyrim ou Fallout 4, mais qui commence à prendre des proportions embarrassantes à l'échelle d'un récit de science-fiction dont le savoir, naturellement, devrait être une clé de voûte.
Encore, si la dimension rôliste ne se cassait la figure qu'au travers de son histoire ou de ses dialogues, ce serait déjà un moindre mal ; mais c'est toute la liberté d'approche qui est massacrée dans Starfield, avec une unique composante de gameplay rôliste consistant à tirer ou non. Exit les nuances, exit les traits de personnalité, exit les enjeux politiques ou individuels, exit la technologie, exit les influences entre les factions, exit les compétences pour accéder à tel ou tel endroit, à telle ou telle option de dialogue : la seule composante de choix de Starfield est binaire, et s'exprime en pacifiste ou belliciste. Un choix qui n'a non seulement aucune incidence sur le déroulé des événements à court ou long terme, qui est non seulement cloisonné au sein de sa propre quête sans aucune incidence ou presque ailleurs dans le monde... mais qui, en plus, se résume au fait de sortir, ou non, son flingue (par ailleurs seule technique de combat possible : un cadre science-fictif pourrait laisser supposer un minimum d'inventivité au niveau des possibilités de baston, mais on reste ici dans un réalisme aride coincé dans notre présent et ne cadrant pas avec un futur théoriquement riche en possibilités d'affrontement, mais si j'en parle, on ne va plus s'en sortir...). Pas de nuances de gris ici : tout est noir ou blanc, selon des critères fatalement manichéens et caricaturaux qui empêchent de se construire un personnage crédible, aux positions auxquelles on ne peut s'identifier que temporairement, ce qui est, là encore, un échec critique de Starfield compte tenu du genre dont il se réclame, sans doute désormais malgré lui.
Je dois pour finir admettre n'avoir pas été très loin dans le jeu, et il est *possible* que certains reproches que lui fais aient tendance à s'atténuer au fil du temps ; mais je n'y crois pas une seule seconde, connaissant les habitudes du studio. J'ai été si immédiatement et profondément frappé par la médiocrité du versant rôliste de Starfield, par le cloisonnement extrême de ses différentes mécaniques, par cet aspect insidieusement démissionnaire provoqué par le fait de rendre quasiment tout facultatif, "au goût du moment", qu'il m'apparaît compliqué d'y investir davantage de temps sans avoir l'impression de le perdre. Rien que ces derniers mois, la scène RPG indépendante a pondu pépite sur pépite, et le fait de voir les plus grosses entreprises du secteur continuer de faire n'importe quoi commence à me laisser sérieusement indifférent, même si l'exercice de décorticage de leurs échecs me passionne toujours autant. C'est la raison pour laquelle j'ai quand même pondu cet article, à propos d'un jeu qui n'en mérite sans doute pas tant - même s'il me faut, encore une fois, souligner l'absurdité que représente le fait, pour Bethesda, d'avoir mis autant de moyens et de sérieux (malgré tout) dans une production qui a ses propres richesses si on l'observe d'un œil extérieur, et qui tente définitivement des choses. Fondamentalement, Starfield n'est d'ailleurs pas forcément pire qu'un Fallout 4, il est même meilleur techniquement (ce qui garde son importance), mais il gardece petit quelque chose qui fait qu'il est, paradoxalement, moins bon : son Creation Club et ses mods payants, qui ont découragé la scène du modding et l'ont déjà condamné à un anonymat dont Fallout 4 avait, lui, réussi à s'extraire par l'investissement de sa communauté. Une sale histoire, vraiment.