Il est difficile d'estimer l'héritage qu'a eu Super Mario Bros. sur le jeu-vidéo, tellement les éléments qu'il a instaurés sont devenus des standards et des évidences. Cette œuvre a littéralement posé toutes les bases du jeu de plateformes. S'il a existé avant lui des jeux qui pouvaient s'apparentaient à des platformers à défilement horizontal (tels que Pac-land), c'est bien lui qui ouvre la voie à tout ce que l'on connaît aujourd'hui : la progression par niveaux, les boss, la présence d'une histoire (aussi simple soit-elle), la diversité des environnements, des ennemis... Quand on crée un jeu de plateforme en 2D, c'est de Mario Bros qu'on se réclame. Quarante ans après, Les jeux de plateformes en 2D sont innombrables et ont largement dépassé ce précurseur, ne serait-ce que dans la même licence. Il serait difficile pour moi d'affirmer qu'il est mieux en 2025 de jouer à Super Mario Bros. premier du nom plutôt que de jouer à New Super Mario Bros. U par exemple, bien que l'influence de ce dernier soit autrement moindre. La fluidité du gameplay, la variété et la qualité du level design permises par les avancées techniques et théoriques, la beauté graphique donnent l'avantage à l'opus plus récent. Ainsi, y a-t-il un intérêt à retourner sur ce tout premier titre ? Peut-on apprécier un jeu seulement par l'héritage qu'il a laissé ?
Le platformer mis à nu
Pas de faux suspense, je répondrais oui. Et je dirais même qu'il est plus intéressant d'y jouer maintenant que lors de sa sortie. Ce qui pose problème dans l'appréciation d'un jeu aussi vieux, c'est la différence de contexte. Quand un jeu de plateformes sort aujourd'hui, il s'inscrit déjà dans une chronologie, que ce soit du côté de la création (on reprend ce qu'on connaît, on s'inspire, les codes, ce qui marche, etc) ou de la réception (on reconnaît, par les codes et les éléments qui relèvent du connu, que c'est un jeu de plateformes, et éventuellement quel type de platformer c'est ; plateforme et réflexion, metroidvania...). Mais quand Super Mario Bros. surgit en 1985, il n'y a aucun canon. Il a pu y avoir certaines reprises au niveau de la création (mais faibles au vu du peu de jeux similaires existants), mais il y a surtout l'absence d'une connaissance vidéoludique du côté du public. Super Mario Bros. s'adresse à des personnes dont la majorité ne sait peut-être même pas ce qu'est un jeu-vidéo.
Le focus est donc mis sur l'accessibilité, et cela se répercute sur le système du jeu, d'une simplicité affolante. Il y a toute la base du game et du level design. Ce qui est intéressant avec ce jeu, c'est que des éléments à portée utilitaire sont devenus des symboles du jeu-vidéo. Les goombas ont cette forme en chapeau arrondi pour montrer qu'on peut leur sauter dessus. Les koopas sont des tortues pour montrer qu'une fois tués, on peut utiliser leur carapaces. Les hériss ont des pics sur leur carapace pour montrer qu'il ne faut pas leur sauter dessus. Tous ces détails ont simplement pour but de guider les actions du joueurs, et sont devenus emblématiques de la franchise. Super Mario Bros. a donc un caractère très minimaliste, les développeurs n'ayant rien ajouté de superflu. En fait, plutôt que la base du platformer, ce jeu est le platformer récent dépouillé de tous ses artifices. Il ne reste plus que ce qui fait platformer. Le platformer moins tout le reste.
En somme, jouer au premier Mario Bros. permet de se reconnecter au plaisir du jeu dans son authenticité la plus totale. C'est le plaisir de se mouvoir, de battre des ennemis, de terminer un niveau.
C'est quand même vachement bien
Mais il n'a pas qu'un intérêt presque archéologique. Super Mario Bros. est un BON JEU ! Ses qualités ne sont pas que son influence.
Premièrement, la direction artistique est très bien. Oui, j'ose le dire, Super Mario Bros. est magnifique ! Le pixel art est de qualité, les couleurs ressortent bien. Il n'aurait pas à rougir face à des jeux actuels pixelisés, et manifeste tout le charme du 8bits. Ensuite, il y a une véritable diversité dans les environnements. Je suis impressionné de la façon dont le jeu arrive à nous faire voyager malgré les limites techniques et graphiques. On peut être dans les airs, sous l'eau, dans la neige, de nuit, de jour, dans un château de flammes, et ce dans une superbe ambiance sonore engendrée par la qualité du sound design et les musiques fabuleuses du jeu, reconnaissables entre mille et devenues cultes. Enfin, le level design a tout pour lui. Le jeu offre une certaine liberté, permise par les briques, les tuyaux qui tracent des chemins différents pour chaque niveau (oui oui, on a de la liberté dans un jeu de plateformes 8bits en 2D développé sur NES et sorti en 1985). De plus, les pièces, brillantes et donc attirantes, nous poussent à nous attarder sur les niveaux, à prendre le temps de bien découvrir. Et ça, c'est une grande qualité pour un jeu-vidéo. Réussir à nous rattraper par la main alors que l'on s'apprêtait à rusher, nous dire ; Regarde, tu n'as pas essayé d'aller sur cette plateforme en haut, il y a peut-être un bloc caché renfermant une liane qui te permettra d'aller dans le ciel ! Ces pièces, ces plateformes, ces briques, sont bien plus subtiles, bien plus pertinentes, bien plus attirantes et bien plus encourageantes que les 2156165828921650 points d'intérêts marqués sur la carte du dernier open world AAA générique signé Ubisoft.
Ainsi, Super Mario Bros., au-delà de la révolution qu'il a représenté pour le jeu-vidéo, est toujours aussi pertinent aujourd'hui. Il donne envie d'y retourner. Parce que l'on n'a pas découvert tous ses secrets, ou alors parce que l'on veut prendre un plaisir simple. Le plaisir de sauter sur des plateformes. Et pour retrouver une sensation familière. Un peu comme un chemin de promenade habituel que l'on prendrait toujours avec autant d'enthousiasme même après l'avoir parcouru cent fois. Super Mario Bros. est tout à la fois la grandeur antique et la fraîcheur de la nouveauté.