Super Smash Bros. Ultimate par Clément en Marinière

L'année dernière, alors que j'arpentais encore les couloirs de l'ESPE dans le cadre de ma formation d'enseignant, le même mot d'ordre résonnait invariablement dans les salles de cours : "privilégiez la qualité à la quantité !" C'est qu'il fallait, avant que la réforme du bac et ses programmes de littérature avancée ne viennent détricoter les idéaux égalitaires de nos tristes tuteurs, apprendre bien aux élèves plutôt que leur apprendre beaucoup. Inutile de dire que dans ce contexte déjà révolu, le dégueuli de contenu de ce flamboyant Super Smash Bros. Ultimate n'aurait certainement pas été titularisé, sans forcément plus mal s'en porter.


C'est ainsi 70 combattants dévoués à se casser la mâchoire sur une centaine d'arènes différentes que Nintendo convie dans ce dernier opus au positionnement atypique. Ni tout à fait épisode canonique, ni portage ++ de l'opus Wii U, Ultimate tient en réalité plus du mashup de tous les Smash Bros. sortis jusqu'alors, DLC compris. Cette soupe n'est pas sans charme, même si en bon Netflix du jeu vidéo, Ultimate vire parfois à la prise d'otage, et n'hésite pas à venir vous attraper par le col à la sortie d'un menu pour vous emmener affronter un des 62 personnages à débloquer, qu'un revers bien placé viendra ajouter à votre roster. Environ toutes les dix minutes, le jeu vient ainsi déposer devant vous une nouvelle trogne à éclater, et si ce régime un peu fou amuse de prime abord, force est de constater qu'il pose un véritable dilemme ludique, surtout lorsqu'il vient interrompre une partie multijoueur endiablée pour opposer votre petit neveu de six ans au combattant que vous rêvez de débloquer depuis une dizaine d'heures : Ultimate ne vous lâche jamais, ou presque, et tout revêche qu'il puisse être, il dissimule, et pas toujours habilement, toutes ses ingratitude sous un vernis de satisfaction immédiate qui ne manquera pas de laisser songeurs les vieux de la vieille.


Le roster n'est pas le seul à souffrir de ce symptôme malheureux : le jeu y ajoute 900 pistes musicales et quelques 1300 esprits (rien de plus que des capacités actives et passives à assujettir à votre combattant dans un mode histoire relooké) à collectionner. Là encore, la quantité prime sur le reste : il faudra composer avec l'absence incompréhensible de Fly Me to the Moon de Bayonetta ou de l'excellente ré-orchestration du thème de la route arc-en-ciel de Mario Kart 8, ainsi qu'avec l'inutilité crasse des esprits suscités en mode Smash, pourtant colonne vertébrale de la série. Même l'équipe technique s'efface devant tant de contenu inutile : incarné par son traditionnel alter-ego créa-main, Sakurai peut être renvoyé à son statut de petit homme en deux smash bien placés, tandis que tous ses collaborateurs sont eux réduits à des cibles immobiles à dégommer une fois le mode classique terminé. Signe des temps, ce dernier est relégué dans le sous-menu "Extras", et la présence des créateurs du jeu ramenée, elle aussi, à un simple bonus. La seule cohabitation, sur Switch, de ce Super Smash Bros. Ultimate furieux avec l'intime Breath of the Wild relève, dans ce contexte, de l'incongruité la plus totale.


C'est au bout d'une vingtaine d'heures de jeu que Super Smash Bros. Ultimate se révèle vraiment. Une fois tous les personnages débloqués et le sympathique mais dispensable mode Lueur du Monde balayé sous le tapis, le joueur est désormais libre de jouir à sa guise et sans harcèlement moral du mode Smash. C'est ici, comme toujours, que se jouent les plus grands combats, à la volée dans les transports (c'était déjà possible sur 3DS, mais dans une formule techniquement moins aboutie) ou contre amis, familles et collègues, crises de nerfs en prime. On retrouve tout ce qui fait la richesse et l'adresse de la formule, et plus particulièrement son gameplay à géométrie variable, qui, comme dans Mario Kart 8, parvient à réconcilier les novices et les vétérans. À partir d'une combinaison de deux touches et d'un joystick pour les attaques spéciales (le jeu aux joy-cons demandera un peu plus de doigté par manque de touches), il est déjà possible de faire des merveilles. Les plus perfectionnistes pourront eux s'appuyer sur des trésors d'ingéniosité, des parades ultra-précises aux retards d'animation qui conditionnent les faiblesses de chaque personnage : c'est du travail d'orfèvre, rehaussé d'un soin pour les animations et les modèles 3D (même s'il faut faire ses adieux au bubble butt de Snake) qui force l'admiration.


C'est là que l'orgie de contenu prend enfin son sens : avec ses 70 personnages au compteur, sans compter les variétés de costumes qui vont du simple changement de veste au gender-swapping total, les combinaisons sont virtuellement infinies et surprenantes, bien aidées par des profils particulièrement variés et une personnalisation des paramètres très libérale. Tout, de la musique aux commandes en passant par les règles spécifiques à chaque match, peut être modifié à la volée et enregistré pour plus tard. Fortes de toutes ces possibilités, les parties multijoueurs sont encore une fois un véritable miracle, et ce d'autant plus que Nintendo est peut-être le dernier à investir ce créneau beaucoup plus délicat qu'il n'y paraît, tant il requiert un équilibrage adroit de la technique, de l'accessibilité et du gameplay. Cette recette incroyablement précise mais toujours d'une simplicité confondante prouve bien que Super Smash Bros. Ultimate n'avait pas besoin d'une quelconque "injonction à s'amuser" insérée au chausse pied dans des tartines de sous-menus pour assurer sa longévité, et sans doute concedée par Nintendo pour renforcer l'expérience solo — difficile de leur en vouloir, tant certains ânes s'acharnent à renvoyer certains jeux exceptionnels dans les cordes du party-game du dimanche après-midi sous prétexte qu'ils sont jouables en famille. Cela ne fait pas moins de Super Smash Bros. Ultimate, une fois délesté de ses éléments superflus, une pièce maîtresse du genre.

ClémentRL
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le 14 déc. 2018

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