Difficile de juger le huitième opus d’une franchise ayant traversé trois décennies. Est-ce qu’on replace chaque jeu dans son contexte pour en mesurer l’impact sur la série et son époque ? Auquel cas, Tekken 3 reste indétrônable pour beaucoup. Ou est-ce qu’on fait une comparaison brute et hors contexte — certes un peu injuste pour les anciens jeux, — mais qui fera ressortir l’évolution de la saga ? Et dans ce cas-là, il faut bien admettre que Tekken 8 frappe fort.

Points positifs


Le gameplay. Moi qui n’ai pas touché à la licence depuis 20 ans, j’ai pris une grosse claque. Le nombre de mécaniques nouvelles apporte une profondeur de jeu que je ne soupçonnais pas. Combos, power crush, punitions, parry, heat system… Autant d’outils à maitriser demandant des habiletés d’exécution, des réflexes et du mindgame, et qui offrent une grande satisfaction lorsque l’entrainement commence à payer.

Le Heat System. La nouveauté de T8 réside dans cette ressource utilisable une fois par round. La jauge de Heat donne accès à quelques coups supplémentaires puissants une fois activée durant un laps de temps plus ou moins long selon la méthode de déclenchement. Permettant d’interrompre l’adversaire, de recharger un peu de santé ou de faire des chip damages (à travers la garde), le Heat System encourage l’agression, mais aussi la stratégie selon la manière et le moment dont on souhaite en tirer parti.

Le roster. Complet et piochant dans toutes les générations, T8 affiche 32 personnages jouables (hors DLC) avec des mécanismes différents. Toutes les têtes connues n’y figurent pas, Kuma/Panda auraient pu ne prendre qu’un slot, mais c’est quand même du bon et les nouveaux persos sont tout à fait convaincants.

Le contenu solo. Les fighting games ayant particulièrement bénéficié de l’arrivée du online, on pouvait craindre une réduction du contenu solo pour les joueurs non compétitifs (et c’était le cas pour T7, si j’ai bien suivi). T8 s’en sort honorablement : mode histoire, arcade, arcade quest, tekken ball… une dizaine d’heures au moins, plus si vous tentez de maitriser plusieurs persos. Hélas, pas de Tekken Force, et ça c’est dommage.

Le mode entrainement et les replays. Fonctionnalités surtout pensées pour les tryharder, c’est juste hyper complet. Tout est paramétrable à l’envie pour comprendre en profondeur le fonctionnement de son personnage, et les replays peuvent donner des conseils de jeu, de punition, etc. Vraiment top !

La technique. Ça parait évident pour quiconque a vu le jeu tourner, mais c’est bon de le préciser. Graphiquement, c’est superbe (autant la modélisation des persos que des stages), et optimisé même sur les machines plus modestes.

Points négatifs


Le matchmaking. Outre le système de gain/perte de points qui reste une énigme à mes yeux, le fait que le rang soit attribué au personnage (et non au compte) est particulièrement punitif pour les débutants comme moi. On se retrouve parfois contre des joueurs qui essayent un nouveau perso, sont donc au même rang que nous, mais qui ont 6/7/8 rangs de plus sur leur main et une bien meilleure compréhension du jeu. Donc on se fait éclater un peu gratuitement.

Les Rage Art et Heat Smash. Si tu as peu de PV, t’appuies sur une touche et tu sors une super-attaque, si ça passe tu gagnes, sinon tu perds. C’est binaire, inintéressant, frustrant, ça casse le rythme des combats par des cinématiques de 5-6 secondes impossible à skip dans le cas des RA. Le Heat System fonctionne bien et aurait dû sonner le glas des Rage Art, ou bien ne pas introduire de Heat Smash, car RA et HS cumulés, c’est 80% de PV perdus en appuyant sur deux touches… Long, chiant et anti-fun.

L’histoire. C’est « impressionnant » mais c'est de la daube. La tonalité shōnen passe encore, mais l’écriture fait vraiment aucun effort, elle est creuse, sans idée et — se voulant épique, — en devient manichéenne, voire grotesque. C’était bien la peine de créer une telle hype autour de Reina ou du retour de Jun pour qu’elles soient à ce point transparentes dans l’histoire. Pas que la franchise ait déjà brillé par ses scénarios, mais il y avait quand même un semblant d’effet tragique jusqu’à T4.

Les fantômes de joueurs. Dans T8, une IA enregistre votre manière de jouer pour créer votre « fantôme » simulant votre style et téléchargeable par les autres joueurs. La promesse était franchement énorme : pouvoir jouer contre n’importe qui, offline, par l’intermédiaire de son fantôme. Hélas, ça ne marche pas, l’IA enregistre bien quelques coups et combos mais est incapable de réagir comme un joueur. Même un noob comme moi a pu éclater les fantômes de joueurs pros trustant le haut du classement. Dommage, c’était une feature incroyable sur le papier.

La customisation. Si comme moi coller des accessoires déjantés ou des teintures fluos à vos persos ne vous intéresse pas, vous ne passerez pas beaucoup de temps dans la personnalisation. C’est pauvre en contenu, le mode n’existant que pour vendre des costumes supplémentaires à prix d’or dans le futur.

Bref, la copie est bonne quoiqu’imparfaite. Certains éléments plus secondaires (histoire, custom, etc.) auraient mérité plus d’application, mais T8 conserve sans forcer sa place parmi les meilleurs jeux de baston quant à l’aspect essentiel qu’est le gameplay. Même un néophyte du genre et non-compétiteur comme moi a pu se prendre au jeu du online tant le jeu fournit d’outils nous poussant à nous améliorer.

EDIT : Pour autant, je mets à jour cette critique quelques semaines après sa rédaction, car si Tekken 8 reste très bon à mes yeux, il est impératif de discuter de la curieuse politique de Bandai Namco qui vient gâcher l’expérience.

Bandai Namco : compétence et priorités


Pour ceux qui l’ignoreraient, T8 a subi l’une des plus grosses chutes de popularité que j’ai pu observer sur un jeu ces derniers temps. Comment a-t-on pu passer d’une réception presse et publique si positive à ceci ? La shitstorm n’est pas gratuite. Voici donc la recette pour décevoir en quelques semaines une fanbase pourtant acquise d’avance.

Étape 1 : les pluggers.

C’est le nom qu’on donne aux ragequiters. Et si vous avez évolué sur le mode online de T8, vous les avez forcément rencontrés. On lance une partie, on commence à prendre l’avantage, et sitôt qu’on s’approche de remporter le round décisif, l’écran se fige puis… connexion perdue, partie annulée. Votre adversaire a déco, ragequit, pas de victoire pour vous, pas de défaite pour lui. Sur T8, une déconnexion n’est pas comptée comme une défaite, m’voilà. Les pluggers ont donc pullulé, et malgré les appels incessants de la communauté, la seule sanction mise en place par Bandai Namco c’est de rétrograder les pluggers au premier rang ou — très à la marge — de bannir quelques comptes qui en abusent le plus. Il y a toujours des pluggers actuellement, ce qui nous amène au second point.

Étape 2 : le matchmaking cassé.

C’est le système censé faire appel à votre classement pour vous opposer à des joueurs de votre niveau. Et dans T8, rien ne va. En l’espace d’un mois, on a eu :

• L’arrivée d’un nouveau personnage en DLC. Nouveau perso qui démarre au rang 1 quel que soit votre niveau et que se sont empressés de tester tous les joueurs chevronnés bien obligés de passer par une phase de grind. Résultat : à chaque sortie d’un nouveau perso, la ranked est injouable pendant une semaine pour les débutants qui se font éclater une game sur deux par un vétéran en plein grind.

• Le retour de nos amis les pluggers. Beh oui, parce que le patch qui a rétrogradé tous les pluggers au rang 1 est arrivé dans la foulée, c’est donc une armée de cheaters venus des hauts ranks qui a déferlé à bas niveau. On apprécie.

• Le nouveau système de matchmaking intégré en douce. Dans T8, vous avez un rank par personnage, mais vous cumulez aussi des points sur votre compte, jusque-là pas très utiles. La dernière trouvaille du studio, c’est de vous matcher avec des gens qui ont le même nombre de points que vous, indépendamment du rank. Problème : on cumule des points en grindant haut avec un perso, mais aussi en grindant moins haut avec plusieurs. Conséquence : les joueurs comme moi qui testent plusieurs persos cumulent autant de points qu’un joueur meilleur qui n’en joue qu’un.

En combinant ces éléments, ça fait un mois que la ranked est plus ou moins injouable pour moi, les trois quarts de mes games m’opposant à des joueurs résolument plus forts, tout en augmentant mes fils d’attente pour trouver une partie.

A ce stade, on commence à se demander ce que les devs ont dans la caboche. Eh beh c’est pas fini !

Étape 3 : l’équilibrage et les patchs buggés.

L’équilibrage des personnages est imparfait dans tous les jeux de combat, et c’est relativement normal au début. Ce qui l’est moins, c’est lorsque les déséquilibres s’installent dans la durée et que les réponses apportées n’y sont pas adaptées.

Ces derniers temps, c’est la popularité de Dragunov dans les hauts rangs qui a suscité la crispation. Et spoiler : c’est pas parce qu’il est beau gosse. Le perso est monstrueux et nécessite un nerf. Réponse des devs : « nous allons buff les autres persos. » Pourquoi c’est à côté de la plaque ? L’analyse de la communauté, c’est que Dragunov est fort parce qu’il peut mettre une pression colossale tout en restant safe. Dès lors, on peut buff n’importe quel perso, augmenter ses dégâts ou que sais-je, s’il ne peut pas toucher Dragunov, bah ça changera rien. Ce qui pose la question suivante : les devs comprennent-ils mieux leur jeu que les joueurs du circuit professionnel qui semblent désabusés par leurs choix d’équilibrage ? C’est ce qu’ils ont l’air de croire, mais ce sont bien les seuls.

Pour ne rien arranger, les patchs d’équilibrage posent régulièrement de nouveaux soucis. Par exemple, Azucena a longtemps bénéficié d’une attaque trop puissante impossible à esquiver que les devs ont cette fois-ci consenti à nerf (quelle grandeur d’âme). Quelques heures après la sortie du patch, tout le monde a pu constater que le nerf en question avait une conséquence involontaire qui s’est transformé en buff, Azucena devenant quasiment impossible à punir. Ce qui pose une seconde question : les devs testent-ils seulement leurs solutions ou font-ils de l’équilibrage au doigt mouillé ?

Enfin, on pourrait ajouter les bugs qui apparaissent après les patchs, les glitchs au niveau des collisions, les exploits permettant debouger durant la Rage Art d’un adversaire, etc. Encore une fois : le jeu est-il testé avant déploiement des mises à jour ?

Alors oui, ça finira bien par être réglé à un moment ou un autre, c’est certain, mais pourquoi des problèmes aussi élémentaires mettent tant de temps à trouver une solution ? À quoi Bandai Namco dépense-t-il donc son énergie ?

Étape 4 : le modèle économie.

On en arrive donc au cœur de ce qui cristallise la frustration des joueurs : l’expérience de jeu ne cesse de se dégrader et voilà tout ce qui préoccupe le studio, la sortie de contenu payant. En à peine trois mois, on a eu :

• Un nouveau personnage en DLC à 8€, personnage verrouillé en mode entrainement, même verrouillé sur les replays des matchs joués en ligne. Impossible de s’entrainer contre si on ne l’a pas acheté. Sympa.

• Un cash shop pour acheter des skins des jeux précédents. 400 Tekken coins le costume (4€), mais on ne peut les acheter que par tranche de 500. uhuh !

• Un Battle Pass typique des jeux free-to-play (sauf que T8 est vendu 70-80€) pour 600 Tekken coins et figurant des items qui étaient gratuits dans les jeux précédents.

M’voilà, voilà. Que le studio implémente des microtransactions, ça peut s’entendre, ce ne sont pas les seuls à le faire. Ce qui est désespérant, c’est l’énergie qu’ils y consacrent quand autant de soucis devraient les préoccuper davantage. Le confort de jeu n’est pas leur priorité.

À l’heure où des joueurs historiques de la franchise annoncent publiquement leur amertume vis-à-vis des directions prises par T8, Bandai Namco fait l’autruche et se fend d’un communiqué lunaire annonçant la guerre qu’ils vont lancer contre les modders, invoquant le cheat comme justification lorsque c’est surtout le contenu de customisation gratuit fournit par ces derniers qui les embête puisqu’il risquerait de freiner leurs ventes de skins…

Conclusion

Si Tekken 8 a tous les atouts pour rester un excellent jeu et s’inscrire dans la durée, il semble condamner à trainer la cupidité de Bandai Namco comme un boulet. Le jeu est bon, mais l’expérience est gâchée. Les semaines passent et le studio tient son cap : tout pour l’argent, suivant ainsi les traces de Street Fighter 6 et Mortal Kombat 1. Il est impératif que les DLC, skins et autres Battle Pass sortent à l’heure, le reste est secondaire.

Pendant ce temps là — et malgré tout le potentiel de T8, — les pluggers sont toujours présents, la ranked est injouable lorsque j’écris ces lignes, l’équilibrage reste en attente, les compétitions emblématiques de la franchise approchent et ce sont 5-6 persos qui dominent un roster de 32, et les divers patchs ne font qu’apporter leur lot de nouveaux bugs puisque personne ne songe à tester l’état du jeu avant leur déploiement.

Pur cynisme ou incompétence ? Quoiqu’il en soit, les priorités du studio sont posées. J’aime bien le jeu, vraiment, mais ce mépris envers ceux qui l’ont acheté et qui demandent un espace de divertissement sain devient exaspérant. Espérons que le studio reviendra à la raison et s’attaquera aux problèmes de fond lorsque tous les systèmes commerciaux et autres attrape-couillons qui les obnubilent tant seront en place…

Gilraen
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le 16 mars 2024

Modifiée

il y a 18 heures

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