Non mais imaginez le drame.


Vous avez 10 ans, vous êtes pauvre et c'est votre anniversaire. Et pas un cadeau ni un gâteau à l'horizon.
Et comme en plus vous ne vous appelez pas Charlie, n'espérez même pas un petit chocolat ni même un ticket d'or pour vous consoler.
Quelle meilleure raison alors, pour envoyer paitre votre mère, prendre vos cliques et vos claques et fuir ce foyer indigne ?


Tel est le funeste destin de Hans, qui décide un beau matin de parcourir le monde pour trouver non pas des Pokemon, mais la richesse qui saura être à la hauteur de sa frustration (et je vous le dis, elle est grande sa frustration).


Et c'est ainsi que commencera le conte de Lucanor.


Car oui, la narration du jeu rappelle vraiment celle des histoires qu'on nous racontait dans notre prime jeunesse. Pas les versions Disney pleine de bisous et tout, non les vraies, celles qui en général savent mettre mal à l'aise, laisser le héros face à ses responsabilités et ne jamais finir très bien. C'est moins étonnant quand on découvre que ce jeu est -a priori- l'adaptation d'un écrit espagnol des années 1330° (la communication autour du jeu n'en parle jamais, mais la coïncidence est trop grosse).
A la manière d'un conte, l'on y croisera ainsi divers personnages emblématiques, dont on ne saura que rarement dire s'ils sont amicaux ou pas, avec leurs conseils ambigus ou leurs comportements douteux.
L'on devra y résoudre une énigme qui, bien entendu, élèvera la condition sociale de notre héros en culotte courte au-delà de ses rêves les plus fous.
L'on y découvrira une malédiction.
L'on y décèlera mensonges et mystères.
L'on y tremblera de frayeur.
Et l'on y retournera toujours, poussé encore et encore par une curiosité morbide insatiable.


Le comte Lucanor n'est pas le jeu du siècle, mais affiche malgré tout une personnalité forte, de par ses visuels très "mignons" et pourtant peignant des situations assez dérangeantes, parfois même carrément angoissantes. L'ambiance est en effet le gros point fort du jeu. Je ne peux en parler pour ne pas gâcher le plaisir, mais la galerie de personnages est vraiment épatante, et vous restera profondément en mémoire.


L'histoire présente quelques rebondissements, et laisse planer un certain doute une fois le jeu terminé. Elle se permet même le luxe de proposer plusieurs fins, dont une seule sera heureuse pour tous les protagonistes. Au joueur d'être assez malin pour la trouver. A ceci s'ajoute une multitude de petits détails qui font qu'un run ne ressemble pas forcément tout à fait au précédent. Je pense à tous ces petits dialogues qui s'enclenchent en fonction de vos actions ou du nombre d'objets que vous avez sur vous, ou encore à une grosse énigme que l'on rate complètement sur son 1er run, et que l'on prend un malin plaisir à tenter de résoudre sur le run suivant. Tout ceci ouvre la porte à une certaine rejouabilité, pour qui est curieux de fouiller les moindres recoins du jeu.


Au niveau de ses mécaniques, le jeu prend la forme d'un petit action-aventure horrifique basique : le terrain de jeu est assez limité, les objets de l'inventaire n'ont qu'un voire deux usages possibles sans plus, et l'on progresse tranquillement dans le château du comte en alternant résolution d'énigmes et furtivité. Oui parce qu'il faut savoir que le jeu est 100% (disons 98%) pacifiste. On incarne un gamin de 10 ans, et cela se ressent : le joueur est fragile, lent, et complètement aveugle au-delà du rayon de lumière de ses frêles chandelles. Evitement des ennemis et utilisation de cachettes seront donc au programme dans les phases en terrain hostile. Le tout associé à un sound design inquiétant comme il faut, vous obtenez là l'atmosphère parfaite pour vous faire dessus dans ce coupe-gorge pourtant fait de simples pixels. Enfin, il vous appartiendra de bien gérer vos ressources : chandelles (posables n'importe où de manière permanente, à la manière des torches de Minecraft), pièces (les sauvegardes sont payantes), soins : tout sera limité et donc à utiliser avec parcimonie, ajoutant par là une petite pression supplémentaire (bon pas de panique non plus, en étant un minimum économe ça passe crème).


Le jeu n’est toutefois pas dépourvu d’un certain humour, parfois noir, parfois absurde, mais toujours bienvenu. De petites oasis de fraicheur dans un monde de sang.


Mais revenons sur le pixel-art. Si les -trois- développeurs reconnaissent volontiers que ce style a été choisi pour sa simplicité de manipulation pour un premier jeu, force est de constater qu'il fait pourtant bien mouche. Comme dit plus haut le résultat sait se montrer très mignon tout en restant à la fois très expressif et inquiétant quand il le faut. Ajoutez à cela des cinématiques pixélisées très réussies (et donc toujours trop courtes) et vous comprendrez que les artistes embarqués dans le projet sont juste bourrés de talent. Un exemple tout bête, mais je trouve le chara-design vraiment réussi, ce jusque dans les cases de dialogues (mention spéciale à la mère qui passe par toutes les émotions imaginables dans le jeu).


Musicalement, on est sur du 100% orgue, qui nous offre des reprises puisant dans le répertoire de Bach : classique mais efficace. Personnellement j'adore cet instrument donc je me suis régalé, mais après, ce n'est peut-être pas la tasse de thé de tout le monde.


Si je devais trouver un réel défaut à ce soft, je pointerais la lenteur du personnage. Je sais qu'elle est nécessaire au concept mais elle peut aussi parfois s'avérer un peu frustrante quand on connait déjà une zone où qu'on la sait sécurisée.
Egalement, pas forcément un défaut en soi (surtout pour ce genre) mais on est souvent dans le noir avec sa petite bougie, il faut en être conscient.


J'ai fini le jeu deux fois (Switch et PC), comptez entre 5 et 10h pour avoir le 100% (c'est à dire trouver toutes les fins possibles). Une durée idéale, ni trop longue no trop courte.
A noter un succès caché dont je cherche encore l'intérêt de l'avoir caché, puisque n'étant pas lié au scenario.


Je recommande donc vivement, j’ai vraiment passé un excellent moment, étonnamment angoissant malgré le côté rudimentaire des moyens, et le tout sans aucun jumpscare à la noix s’il vous plait (enfin si deux-trois, mais ils sont rigolos en fait donc on pardonne facilement).


° Le récit de base a été écrit entre 1330 et 1335 en castillan ancien, par Don Juan Manuel. Si d’aventure vous souhaitez vous renseigner d’avantage sur le sujet, je déconseille de vous précipiter sur la page Wikipedia de ce livre avant d'avoir fini le jeu, au risque de vous gâcher une des grandes énigmes de celui-ci.

Kaiser-Panda
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le 5 juil. 2018

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