Je ne suis pas fan de ces jeux ayant une certaine prétention à adopter une mise en scène cinématographique. J'ai du mal avec les jeux à fort caractère narratif de manière générale, car j'ai bien souvent l'impression qu'ils regardent l’interactivité, c'est-à-dire l'âme du jeu-vidéo, avec mépris, ne la considérant pas aussi noble que le médium passif du cinéma.

C'est peut-être une fausse impression, et peut-être que les gros tartinages émotionnels des jeux Quantic Dream ou le long plan-séquence de God of War ne sont pas de l’esbroufe mais une démarche sincère de la part des développeurs. Mais quand je joue à Man of Medan, je n'arrive pas à voir le film interactif autrement que comme un sacré pétard mouillé.


Entendons-nous bien, le jeu a des qualités, principalement esthétiques. Oui, les graphismes sont assez impressionnants, les textures et les jeux de lumière renvoient une impression de réelle assez bluffante par moments. Mais si en 2022, ça devait encore être considéré comme une qualité, tous les jeux AAA du monde seraient des chefs-d’œuvre. Cette beauté des graphismes n'empêche cela dit pas les visages d'être assez moches, avec des expressions faciales crispées qui cassent notre immersion.

Il faut également le souligner, créer un scénario à embranchements n'est pas une mince affaire et il faut avouer que, même après une seule partie, on entrevoit facilement l'arborescence de l'histoire de Man of Medan. Cela justifie-t-il une seconde partie pour tenter une nouvelle approche ? Pas sûr, vu que la finalité reposera sur le nombre de personnages morts à la fin de l'aventure comme si on était encore dans un slasher des années 80. Mais n'allons pas trop vite.


Le jeu est ainsi ponctué régulièrement de tout un tas de choix qui influenceront plus ou moins le récit, et certains sont d'ailleurs plutôt malins (la fin de la course-poursuite avec la vieille dame). Malgré tout ce que je pourrais reprocher à Man of Medan, on a le sentiment d'avoir un impact sur le récit, et c'est important dans ce genre de jeu (n'est-ce pas Quantic Dream ?).

Je ne prendrai pas vraiment la peine de trop en dire sur le gameplay, il est minime mais sert bien les intentions des créateurs. Mis à part des personnages aussi mobiles qu'un tank, les QTE sont suffisamment simples et clairs pour ne pas nous embrouiller inutilement (voir parenthèses précédentes).


Car s'il y a bien quelque chose que Man of Medan ambitionne d'être, c'est bien un film. Eh bien qu'en film, il soit jugé.

Man of Medan est donc un long-métrage horrifique d'une banalité assez affligeante. Parce que si comme moi on joue le jeu et l'on tente de démêler le mystère central, on aura grillé le retournement de situation dès le premier tiers du jeu vu que de toute façon, le scénario ne distille aucun autre indice pour nous faire douter de la nature de la menace centrale. C'est d'autant plus embarrassant que les ressorts horrifiques employés par Man of Medan sont éculés, rincés, fossilisés. J'ai compté 41 jumpscares en à peu près 4,5h de jeu. C'est 40 de trop. Dès que je me suis mangé l'introduction dans le passé et ses 7 jumpscares d'affilée, j'ai tout de suite compris dans quel jeu je m'étais embarqué. Comprenez que le bon vieux sursaut à l'ancienne n'est pas un problème s'il est utilisé judicieusement. Là ça n'est pas le cas. Man of Medan nous fait sursauter parce qu'il n'a aucune autre idée pour nous mettre mal à l'aise et, sans doute par peur d'ennuyer le joueur et les spectateurs de Twitch qui regarderont l'un des dix mille let's play du jeu, il tente de re-capter notre attention avec des coups de pression passablement irritants. Comprenez que dans un jeu d'horreur, je ne suis pas censé en arriver à verbaliser ma frustration de me prendre des jumpscares et de traiter la moitié de l'équipe créative de débiles. Je suis censé être pris dans l'ambiance et ne faire qu'une avec la peur que le jeu cherche à instiller. Mais bien entendu, Man of Medan n'utilise pas que les jumpscares, puisqu'il a l'amabilité d'amener le joueur en terrain connu vu la myriade de clichés éculés qu'il emploie (la présence au bout du couloir, la porte qui claque, la fontaine de sang,...) sans rien leur apporter de plus. Et si l'on parle de mise en scène, on est encore une fois sur du réchauffé quasi-vulcain : Coucou j'étais derrière toi; salut les plans fixes de Resident Evil; Oh tiens, des champs-contre-champs pour tous les dialogues;... En fait, la mise en scène donne l'impression d'avoir 10 ans de retard et de n'avoir pas du tout suivi l'évolution du cinéma d'horreur des années 2010, entre les jeux de cache-cache de James Wan, les thèmes dérangeants de l'Elevated Horror ou encore l'élégance craspek d'un Pascal Laugier. Man of Medan en est resté aux années 2000 du cinéma d'horreur et n'en a gardé que les aspects les plus moisis.

Et messieurs les développeurs, je vois que vous aimez bien Shining. Pas de problème à ça, c'est un bon film, je suis d'accord. Par contre, nous faire la version Wish de Jack Torrance qui devient fou sans explication, nous donner une version trop longue de la scène de la chambre 237 ou encore nous ramener la salle de bal de l’hôtel Overlook sans aucune raison, ça ne s'appelle pas être créatif. Ça s'appelle "Je n'ai aucune idée de ce que je fais, alors je fais n'importe quoi". Alors oui, on me dira que citer un film pour un jeu d'horreur n'a rien de bien terrible, et c'est vrai. Mais quand un jeu ayant la prétention d'être un film pioche des idées dans un autre film, on est en droit de le critiquer lorsqu'il ne fait pas grand chose de plus desdites idées.


Et ce qui pour moi est l'incarnation, la parfaite synthèse de la naïveté des créateurs de Man of Medan (parce que je suis persuadé que ce n'est pas de la bêtise), c'est le Conservateur. A la manière du Gardien des Contes de la Cryptes ou du présentateur de la 4ème Dimension, c'est un personnage qui se présente comme un conteur qui nous offre le récit de Man of Medan sur lequel nous allons avoir un impact. C'est bien entendu un processus mis en place pour souligner l'aspect sériel des Dark Pictures, et ça a pour principale conséquence à mon sens d'amoindrir encore plus notre implication dans l'histoire puisqu'elle est soulignée comme étant fausse, mais ça n'est pas mon vrai grief.

Le Conservateur interviendra entre deux chapitres de Man of Medan, et il fera l'inventaire de nos choix durant la partie (comment telle relation a évolué, qui a vécu quoi, qui est mort,...), et en profitera pour lâcher quelques réflexions "philosophiques" sur le choix et ses conséquences. En fait à travers ce personnage, j'ai l'impression de voir les scénaristes du jeu en train de jubiler, de jouir de se croire incroyablement géniaux et inventifs. Comme s'ils nous donnaient des petits coups de coude en nous disant à quel point leur histoire est géniale et comme ils sont trop fiers de la dimension méta qu'ils ont incorporée dans un jeu à choix. Comme un adolescent qui, trop peu confiant dans sa démarche, se sentirait obligé de la surligner en permanence par peur que les autres ne la comprennent pas. Mais dans un jeu à choix on connait le principe des choix et des conséquences et on n'a absolument pas besoin qu'on nous les explicite en permanence. Je n'ai pas envie d'être trop sévère avec cet aspect-là du jeu, parce que je ne crois pas qu'il ait été créé avec de mauvaises intentions, mais inclure une dimension méta aussi m'a-tu-vu, aussi simpliste et déjà-vu, c'est pour moi la preuve d'un jeu qui voudrait avoir des prétentions dont il ne saisit même pas lui-même la pleine portée.


Man of Medan n'est pas techniquement un mauvais jeu. Il fait ce qu'il a à faire, mais le fait avec tellement de naïveté et sans aucune considération sérieuse pour le genre de l'horreur que je ne peux pas m'empêcher de le trouver mauvais et même plutôt daté dans sa proposition. Un jeu d'horreur qui nie à ce point l'évolution du genre au fil des années et un jeu à choix aussi persuadé de délivrer un discours méta pertinent mais pourtant intégré par le grand public depuis 10 ans, ça ne prend pas sur moi.

Man of Medan est, en un mot, raté.

Arkeniax
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le 3 sept. 2022

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