L'une des plus grandes différences qui sépare le monde du jeu vidéo avec d’autres formes de médias est la possibilité de faire participer le joueur en tant qu’acteur plutôt qu’un simple spectateur. Si cela n’a pas toujours été exploité, on a vite pu voir émerger la notion de choix et de conséquences au sein de plusieurs, principalement popularisés par les RPG occidentaux et les visuals novels qui en avaient fait leur dada. On peut aussi en retrouver des exemples dans Chrono Cross, où aider une jeune fille à trouver un chat ou voler le déjeuner d’un vieillard pouvait alors nous aider ou sanctionner plus tard dans le jeu au cours d’un procès, on faisait face aux conséquences de nos actes. Vis-à-vis des choix, il suffit de se baser sur Mass Effect ou encore Skyrim ou beaucoup de choix impliquent notre morale. On peut facilement avoir l’impression de réellement influencer le monde autour de nous, de pouvoir faire ce que l’on souhaite.


Sauf que dans les faits, à moins d’être réellement dans un jeu bac à sable comme Minecraft, il y a des limites qu’il est impossible de dépasser, tout simplement pour des raisons techniques, un point d’ailleurs critiqué avec brio dans The Stanley Parable, jouant habilement de cette sensation que nous sommes maîtres de notre expérience. C’est là que doivent bosser les développeurs pour nous donner cette fausse idée d’un cadre illimitée de possibilités et d’avoir une vraie influence sur notre environnement alors que tout ce que nous faisons a été envisagé et contrôlé auparavant.


Vient alors Telltale Games et TheWalkingDead le jeu, qui est à mon goût l’une des applications les plus feignantes d’un concept aussi large que le choix mais surtout le plus hypocrite qu’il m’ait été donné de voir (plus dans quelques lignes). Et là où j’ai un énorme problème avec ce jeu, c’est que l’importance de ces choix est selon le marketing et ce que j’ai pu lire l’élément central qui rend ce jeu si populaire. The Walking Dead a beaucoup des choix. Tout le jeu n’est que choix consécutifs et puzzles mineurs. Mais qu’est-ce que ces choix représentent pour moi joueur ? Ce sont souvent des choix moraux impliquant le sacrifice de quelque chose pour le bien d’un autre. Et tant que j’ai l’impression que ce que je fais a un effet sur mon entourage, je continuerai à prendre chacune de ces situations très au sérieux. Sauf que dans les faits, ce que je fais dans le jeu n’a aucun sens. Ce qui, si le jeu était fait intelligemment et était assez brillant pour masquer ce fait, ne me causerait pas de problèmes. Hélas vient le chapitre trois, et quelque chose cloche. J’ai l’impression que ce que j’ai fait jusque-là et continue de faire n’a pas d’importance. Certains événements majeurs mettant largement en avant ce problème au long de ce chapitre. Et peu après tombe le masque, en essayant de rejouer une partie, voulant vérifier mes doutes. Ce que j’ai fait jusque-là en tant que joueur n’a eu aucun impact : je ne joue pas à un jeu, je regarde une série.


Et ce n’est pas forcément un mal, j’aime bien ça. Les personnages sont attachants, il y a beaucoup de suspens, bref, l’histoire est plutôt réussie. Sauf que voilà, j’ai acheté un jeu. Un jeu qui me rappelle à chaque moment que ce que je choisis « aura des conséquences dans le futur », le principe même de l’effet papillon (sauf qu’ici le papillon vous lui arrachez les ailes et laissez ramper au sol). Un jeu qui se vend comme le maître de la narration vidéoludique. Et surtout un jeu qui ment ouvertement sur ce qu’il est. Je ne sais pas si je reproche plus au marketing de survendre une mécanique qui n’en est pas une ou le jeu de ne pas tenir les promesses qu’il nous fait. Et une fois que celles-ci tombent à plat, je me demande alors pourquoi j’ai une manette dans les mains alors que j’apprécie bien mieux la bête avec une télécommande.


Autre point qui m’irrite, c’est que The Walking Dead est loin d’être le premier à jouer sur l’importance des choix (ou l’illusion de). On peut aisément remonter à la SNES pour des exemples du sujet et plus tôt encore. Plus encore dans des jeux ne se concentrant pas sur le sujet. Saya no Uta ne dispose que de deux choix dans le jeu par exemple, mais ils ont à la fois des conséquences et font office de véritables dilemmes pour le joueur, alors que le jeu ne tourne pas du tout autour du principe de choix le reste du jeu.


Pour tout ce qu’il rate, Heavy Rain mérite mille fois plus son titre de jeu que ne pourrait un titre de Tellgames, jouant sur le même principe, mais le poussant bien plus loin que deux phrases modifiées, jouant même sur la conclusion. On ne peut se contenter de faire le minimum quand d’autres ont fait bien mieux sans forcément en faire leur mécanique principale, surtout quand elle existe depuis des années.


Mais peut-être que je vois le titre d’un mauvais angle, et qu’il n’est pas une expérience vidéoludique narrative interactive mais un point’n click. Sauf que les très simplistes puzzles ne tiennent pas, et que les quelques éléments de gameplay parsemés dans le jeu se contentent du strict minimum, trop pour un jeu d’aventure. The Walking Dead ne cherche même plus à faire croire que j’ai un pouvoir sur l’expérience de jeu, mais à me faire croire que je joue à un jeu. Sauf qu’au final, il n’en est pas un, et que toute l’infrastructure dont le « jeu » dispose vient ensuite nuire à l’expérience une fois qu’elle est exposée. Il est dommage aussi de voir ce genre de jeu devenir le standard pour les jeux orientés sur le scénario avec un format épisodique. Le format même me semble contradictoire avec le système de choix et de conséquences pour plusieurs raisons :
- Déjà, le décalage entre les différents épisodes laisse tout le temps aux joueurs d’essayer tout ce dont l’épisode déjà sorti dispose, et surtout d’en voir les limites beaucoup plus tôt.
- Forcer la narration en épisodeme semble être un frein total aux systèmes de chemins différents, puisque les épisodes doivent chacun se finir avec une base similaire pour pouvoir commencer sans incohérence le prochain, forçant à limiter les détails faisant le chemin d’un épisode à un autre à des éléments mineurs (pourquoi le personnage que l’on peut sauver dans le premier épisode n’apparaît quasiment pas dans le deux pour une grosse déception dans le suivant ? Pourquoi celui du 4 meurt directement dans le 5 ? Pourquoi un personnage auquel on peut accorder le pardon dans le 3 se barre dans les 5 minutes de jeu qui suivent ?)


Dernier point qui me navre, c’est que je crains que l’on tire les possibilités du jeu vidéo vers le bas en se contentant de structures aussi simples pour les plus grands représentants de la narration vidéoludique, en forçant la sécurité plutôt que l’innovation, et surtout en réduisant l’impact du joueur sur son expérience, pourtant un des éléments les plus intéressants du médium face à d’autres formes. L’illusion de choix est loin d’être une mauvaise chose, elle est même essentielle, mais elle ne doit pas devenir la solution de facilité caché derrière un argument marketing.

Souv
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le 15 mai 2015

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Souv

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