Bon, on peut dire que j'aurais eu du mal à m'y mettre à ce troisième volet de la saga du sorceleur. Cinq ans après sa sortie, après plusieurs tentatives infructueuses où je commençais le tutoriel, avant de me lasser très rapidement du système de combat, ou même de l'histoire, totalement étranger aux motivations nouvelles de Geralt de trouver Yennefer (et Ciri), j'ai fini par m'accrocher et en voir le bout. Je n'irai pas par quatre chemins : je pense qu'effectivement ce titre mérite ses nombreuses récompenses, mais il n'est pas parfait pour autant.


Roulades et lourdeurs


Commençons par le système de combat, qui a défaut d'être exigeant fonctionne remarquablement bien. Le premier The Witcher subissait un peu ses combats bricolés au-dessus de l'Aurora Engine, le second représentait un bon en avant à la fois en termes de difficulté et de frustration. Ici le rythme est bon. Certes, le signe de Quen permet de se tirer de beaucoup de situations complexes, mais on peut se faire enchaîner rapidement pour peu qu'on soit mal préparé, mal équipé, ou que l'on ne pare rien, et aussi bien les animations que la bande son viennent accompagner cette danse macabre à laquelle se livre Geralt à chaque combat (même si, honnêtement, une fois le tourbilol déverouillé, il n'y a plus beaucoup de challenge face aux groupes). L'ajout de l'arbalète permet aussi d'introduire les ennemis volants et un moyen de les "attirer" au sol. L'alchimie est de nouveau utile (dans le 2 il fallait méditer et boire en avance la bonne potion, sans savoir ce que l'on allait affronter, cf le combat contre Leto), les signes aussi. Bref, ça fonctionne bien.


On en oublierait presque toutes les autres lourdeurs liées au déplacement du personnage, ou même de son cheval. Hop, du butin à récupérer partout. Hop, une petite animation qui s'intercale entre deux fouilles de caisses pour que Geralt allume une torche. Hop, le cheval qui refuse d'avancer dans trente centimètres d'eau alors que monter des pentes à 60 degrés à coups de roulades avant n'a pas l'air de gêner Geralt. Hop, Geralt qui effectue une rotation complète à la Zoolander alors que je voulais simplement l'orienter à gauche, l'énvoyant par mégarde s'écraser au pied de la falaise et me faisant perdre mes dix minutes de voyage en bateau non sauvegardées.


Une autre source de jurons et de malédictions (heureusement qu'il n'y a pas de magie chez moi, sinon l'apocalypse aurait débuté rapidement) provient du système de ramassage du butin et de l'inventaire (ou l'interface en général). Le premier n'a pas bougé d'un pouce depuis le premier volet et nous en ferait presque regretter le ramassage automatique de Mass Effect (presque), tandis que l'inventaire est aussi bien pénible à utiliser avec une manette qu'avec une souris. Certes, un sorceleur n'est censé porter que deux armes, mais une alternative est bien souvent préférable en fonction des combats, et comme le jeu déborde de loot, on est rapidement amenés à faire le tri, de façon très régulière.


Une autre de mes déceptions concerne le butin lui-même. Quand j'ai fini par constater que j'entassais les glaives au lieu de les revendre (parce qu'il était impossible de savoir si les composants que j'en retirerais seraient plus précieux qu'une simple revente), que mon équipement de sorceleur n'était pas si terrible que ça par rapport aux récompenses de quête, et que les caches de contrebandiers étaient toutes décevantes, j'a ifini par arrêter de vouloir cartographier toutes les régions. On ramasse, on trie (ou pas) et on ne ressent aucun besoin réel de partir explorer. Pourquoi un set requérant autant d'efforts (trouver le schéma, équiper un artisan via une quête, trouver les matériaux) est-il classé comme de l'équipement "inhabituel", à peine plus efficace qu'un équipement de soldat, alors qu'un seul donjon (et éventuellement un boss) peut vous donner une ou plusieurs pièces classées "reliques" ?


"Des noyeurs. Un trophée. La bride abattue, les cheveux au vent. Merle, un dragon."


The Witcher 3 nous fait passer par le petit bain avant de nous lancer à bras-le-corps dans les terres désolées de Velen. Les différentes cartes sont remarquablement bien construites dans l'ensemble, avec des paysages très marqués : marais, collines, montagnes... sans même parler de Skellige.


En revanche, la progression au sein de ces cartes pose problème, et il n'est pas rare de tomber sur des monstres de trop haut niveau, ou au contraire de trouver des quêtes d'un niveau trop bas, qui ne rapporteront plus rien. Dans un contexte où certaines quêtes principales rendent inaccessibles des quêtes secondaires, on est donc très fortement encouragés à en profiter un maximum... et on finit par avoir cinq niveaux d'avance sur l'histoire principale. Prenons le cas de Velen par exemple : on arrive en cheval au niveau de l'arbre des pendus, au milieu de la carte, alors que le campement nilfgaardien au sud-est aurait été un point d'entrée plus logique (et parce qu'on y trouve des défis adaptés). Au lieu de ça, on navigue de village en village, récupérant via les panneaux d'affichage des quêtes pour la plupart irréalisables dans l'immédiat (on parle même de contenu de fin de jeu là). De même, le niveau de certaines régions n'est pas lié à celui de la quête qui vous y a conduit. On ne sait donc jamais si explorer une région de fond en comble vaut le coup ou non. Et dans le pire des cas, on tombe sur une grotte ou sur des ruines qui nécessitent des objets de quête pour pouvoir y pénétrer.


Enfin, le monde de The Witcher 3 reste un monde qui s'explore avec une carte, une minicarte et un traçeur GPS. Il n'est pas question ici de vraiment s'approprier le terrain, de repérer quelque chose, et d'y aller. Je ne le compare même pas ici à Zelda (son tour viendra, mais je rattrape le retard dans l'ordre). Il n'est certes pas exclu de repérer un phare et d'aller y faire un tour, mais c'est presque anecdotique par rapport à la conception du jeu. Par exemple, seule une poignée de quêtes vous donnent des indications précises pour arriver à un endroit ("au sud-est de la ville"...), la plupart vous donnent des indications trop vagues pour que vous y parveniez seul.


La plume et le violon


L'intrigue principale ne sait pas s'arrêter au bon moment. Elle souffre d'un prolongement moins grandiose que le grand temps fort de l'intrigue qu'est la bataille de Kaer Morhen, un prolongement qui aurait très bien pu être montré en flashback dans une suite éventuelle, pour faire le pont avec la relève de Ciri (qui est à priori probable selon les rumeurs récentes). Personnellement, je me suis vraiment forcé à finir ce segment pour pouvoir passer à autre chose.


En dehors de cela, le titre fait preuve d'une créativité, d'une justesse dans l'écriture de ses nombreuses quêtes secondaires, comme le jeu vidéo en a rarement vu. A ce titre, même certains passages de l'intrigue s'en sortent avec brio, arrivant à alterner récits d'apocalypse, de guerres, de viols, de choses toutes plus sordides les unes que les autres, puis à caler un passage romantique, ou un moment de pur n'importe quoi sous substances impliquant un mégascope et des habits de magicienne.


Pour être franc, j'avais lu très peu de choses à propos de The Witcher 3, et j'ai donc eu droit à une surprise complète au niveau des quêtes. Quel plaisir de retrouver des personnages hauts en couleurs alors qu'on pensait chasser du fantôme. Quel choc fut l'intrigue des Moires et du Baron Sanglant (et j'imagine que ce n'est pas original, mais peu importe). Le dilemne moral n'est pas toujours au rendez-vous, mais il y a clairement des fulgurances ici et là qui se plaçent facilement sur le podium. De manière générale, on retrouve tout ce qui fait la force de cet univers depuis le premier titre : sa capacité à s'inspirer des contes pour en extraire toute la noirceur, sa faculté à provoquer de l'empathie pour des monstres, du dégoût pour des meurtriers aux douces apparences, son talent pour représenter les gens simples, voire les idiots du village, avec une certaine compassion, ou à rappeler que la malveillance guette, même chez le nain ou l'elfe oppressé. Même les intrigues politiques sont plutôt bien amenées, même si la représentation de l'inquisition ou de Radovid n'ont rien pour rendre l'altérité attirante.


Mais pour revenir à l'intrigue principale... j'ai été plutôt déçu. La structure est simple, presque calée sur un vieux jeu Bioware (Va chercher des indices à Velen, Novigrad et Skellige, à opposer au voyage sur Kashyyyk, Tatooine et Manaan ; et c'est la même chose pour Dragon Age, Mass Effect...). La narration est plutôt réussie, mais le contenu secondaire est tellement dense que j'avais l'impression qu'une éternité s'était écoulée entre chaque apparition de Ciri.


Difficile aussi de ne pas faire le parallèle avec Joel et Ellie. Cela dit, même si la relation entre père et fille (ou entre célibataire maladroit et héroïne pour Skjall) est faite pour toucher la corde sensible, certains passages demeurent puissants. Je pense notamment au passage avec les sept nains et les retrouvailles. Les deux quasi nuits blanches successives n'avaient pas dû aider mais ce n'étais pas la fatigue qui me gardait tendu à ce moment-là :)


Mais... tout cela se termine beaucoup trop bien, pour un univers qui, comme l'a dit le Père Fidalbion dans sa rétrospective, est crépusculaire dès le premier volet : la misère règne, les sorceleurs sont quasiment éteints, leur forteresse est en ruines, ils n'ont aucun espoir de prospérer, les abominations pululent et l'apocalypse est en marche, représentée d'abord par des cavaliers qui en mériteraient le nom, puis par une force destructrice abstraite et implacable. Servir une fin joyeuse et anéantir toute tension dramatique, alors que mon personnage était au bord de l'effondrement, ressemble davantage à une volonté d'exploiter un personnage qu'à priori tout le monde va apprécier incarner.


Je pense en tout cas que The Witcher 3 offre toujours une expérience extraordinaire. Ses qualités artistiques sont indéniables, ses forêts frémissent et ses couchers de soleil sont toujours magnifiques, et même si un ou deux thèmes sont moins réussis que d'autres, la bande son est entraînante dans l'esnemble et recèle quelques merveilles de mélancholie, de rythme et de malsanité.


Mais Seigneur, qu'il est long.

Makks
8
Écrit par

Cet utilisateur l'a également mis dans ses coups de cœur et l'a ajouté à ses listes VF extra (ça arrive, parfois), Ma liste de jeux à faire (ou à (re-)terminer) et Les meilleurs jeux vidéo des années 2010

Créée

le 19 déc. 2020

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Makks

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