Titre de "critique" en majuscules, avec empâtement et souligné

Alors, j'ai fini ce jeu pour la deuxième fois ce soir, j'en ai fait deux routes dont la fameuse golden route. Il se passe beaucoup de choses dans ma tête au moment d'écrire cela, donc ça risque d'être un poil confus par-ci par-là, mais bon, soit vous faites le choix liberté et vous vous engagez dans cette lecture, soit le choix pragmatique et vous passez à autre chose. À ceux qui ont fait le premier choix, je me lance dans une longue logorrhée pas toujours très fluide.

Si on devait résumer de façon caricaturale le jeu, je le définirais comme un Final Fantasy Tactics au pays de Game of Thrones où vous seriez un peu le Georges R. R. Martin local. Pour placer le pitch, on incarne dans ce jeu Sérénor, jeune maître du clan Wolffort, destiné à protéger le roi de Glenbrook, son pays, qui se remet comme ses voisins de la Grande Guerre du Sel et du Fer qui a eu lieu 30 ans plus tôt. Rapidement, complots, racisme, corruption et cynisme vont vous sauter à la face, faisant de vous un genre de Premier Ministre qui devra prendre des décisions plus ou moins difficiles. Vous allez orienter votre aventure, ou plutôt, orienter vos compagnons pour qu'ils orientent votre aventure. Il existe pour cela une mécanique de choix : par exemple, on vous propose dans un embranchement scénaristique où on vous propose de visiter ville A ou ville B. Vous allez vous ranger derrière la décision de vos compagnons, généralement répartis en 3 d'un côté, 3 de l'autre, et un.e indécis.e. Et, à la fin du vote (que vous pouvez orienter, mais j'y reviendrai), vous serez obligé de suivre l'avis de la majorité, et pas de 49-3 possible (#ElisabethBorneEnSueur). Vous décidez de votre expérience dans cet univers intéressant d'un point de vue géopolitique. Je sors des 3-4 derniers Fire Emblem, et retrouver un TRPG où la bagarre est motivée par un historique, des intérêts contradictoires, des visions du monde différentes, des secrets et des idéaux, ben ça, ça m'a fait beaucoup de bien. Sur le papier, c'est très plaisant, rajoutez un peu de bonnes musiques par-dessus tout ça, et vous avez une œuvre plutôt honnête.

Honnête, mais pas sans accroc, et un peu niche. Enfin, plus que niche, je dirais chatière. C'est comme un jeu de niche, mais en encore plus réduit. Je m'explique, en faisant un peu la liste des défauts qui m'ont un peu rebuté (mais pas assez rebuté pour ne pas finir le jeu. Deux fois. Donc en vrai, ça vaaaaa).

Point de vue gameplay TRPG : ben c'est efficace comme un Final Fantasy Tactics, avec des obstacles à prendre en compte, des cases plus ou moins hautes que certaines unités pourront franchir, d'autres non, et où l'orientation d'un personnage par rapport à l'autre à son importance dans le taux d'esquive et des dégâts. Mais, il y a je dirais moins de profondeur que dans un FFT ou FFTA, sur plusieurs points. Il y a moins de personnalisation possible dans les unités que dans un FFT : c'est une classe, qui peut évoluer deux fois, et un arbre des armes qui permet de développer les caractéristiques, d'acquérir des compétences, et une compétence active. Ça ne va pas au-delà de ça. En soi, c'est assez restrictif quand on a l'habitude d'Ivalice, mais ici, ça a du sens : si les personnages n'ont pas de changement de classe, c'est aussi parce qu'ils sont tous clairement uniques dans leurs compétences. Deux archers seront différents : un sera très mobile quand l'autre le sera moins, mais aura des critiques létaux par exemple. Un mage A sera polyvalent quand un mage B spécialisé dans la magie du feu. Ce genre de petites choses qui ont beaucoup de sens, notamment pour l'écriture, mais qui mine de rien brident un peu l'expérience et la rejouabilité du soft sur l'aspect purement gameplay (le jeu a tout de même la bonne idée de brider le niveau max à 50). D'ailleurs, pour finir sur ce point, le leveling n'est pas un vrai système de leveling. Chaque action permet à une unité de gagner de l'expérience, et j'ai l'impression que la quantité d'expérience récoltée varie en fonction de la différence de niveau entre l'unité, et le niveau... conseillé de la carte. Alors, certes, c'est plutôt pas mal, parce que ça permet à toutes les unités d'être pertinentes, même si elles ont été mises de côté pour deux batailles. Mais je considère ça moins comme un système de leveling qu'un système de scaling inversé : au final, toutes les unités seront toujours plutôt pertinentes, donc on n'aura jamais de vrai choix à faire, et si jamais la difficulté est un peu élevée à votre goût, faire une séance de pexing n'aura pas d'impact réel sur votre expérience. Il faudra donc faire preuve d'esprit tactique.

Et je profite de parler des personnages pour aborder la question de l'écriture. Elle est plus ou moins inégale. Les situations géopolitiques sont pertinentes : les preneurs de décision sont globalement rationnels et, pour m'impliquer un peu plus dans l'univers, j'ai réellement lu les petits livres annexes qui dévoilent un peu le lore propre au jeu. J'ai rarement vu un univers aussi cohérent, dans lequel j'avais envie de m'investir... mais, puisqu'il y a un mais, cela se fait un peu au détriment des personnages... Pour faire simple, il y a les 8 personnages principaux, les quelques antagonistes, et des alliés qu'on recrute et qui auront globalement 3 scènes pour se définir tout au long du jeu. Et, à titre personnel, je n'ai pas pu m'investir dans ces personnages à cause du côté "Game of thronesque" du récit. On aura beaucoup de choix difficiles à faire, et ça a nui à mon expérience. Rapidement, les décisions que nous prendrons seront quelque chose comme "choisis entre une mauvaise possibilité et une autre". Et, après le chapitre 6, il y a un motif assez systématique dans ce genre de décision, toujours assez grave. Et c'est assez embêtant, au bout du chapitre 12, j'étais dans un état d'esprit assez négatif, puisque je n'étais pas investi dans les personnages, et chaque décision n'offre que peu de sentiment de réussite... Et ce peu de sentiment de réussite, je pense que c'est un aspect assez fondamental de mon blocage vis-à-vis de ce jeu.

J'ai vécu un moment de dissonance ludo-narrative. Il y a quelque chose à savoir à propos de ce jeu, que j'ai tu jusqu'ici, c'est qu'il y a environ 50% de dialogues, d'exposition, de plot et 50% de gameplay TRPG. Et je me suis retrouvé avec une dissonance assez étrange, que j'ai cherchée à m'expliquer. Allez, je vais faire mon petit instant Carl von Clausewitz en mode Leader Price. Les éléments reliés à la partie Visual Novel (pour simplifier) sont l'aspect politique de la guerre. La plus grande échelle, le moment où on pense aux intérêts de la nation, et au déroulement du conflit dans sa généralité. Systématiquement, on se retrouve avec le bec dans l'eau, et on en tire aucun sentiment de réussite, même quand on estime avoir pris la moins mauvaise décision. Les éléments reliés au TRPG relèvent de la tactique, du moment de la bataille, de la gestion des ressources pour un conflit court dans une guerre. Et on nous impose la réussite de nos missions. Et là, j'ai eu dissonance : on réussit chaque bataille que l'on livre, et finalement, le scénario nous récompense peu, voire pas, voire nous punit carrément. Il n'y a qu'au moment de la fin de la Golden Route où je me suis dit "Ben punaise, cette guerre méritait d'être menée, même s'il y a eu des moments difficiles." J'écris une petite phrase supplémentaire pour bien clarifier ma position : je n'ai pas de problème quant au fait de prendre des décisions difficiles, mais j'ai un problème quant au fait que les décisions sont présentées comme systématiquement difficile (même si, souvent, deux décisions aboutiront quasiment au même résultat à la fin, ce qui rend le NG+ parfois assez frustrant).

Je finis en ajoutant deux trois petites choses qui m'ont fait tiquer au début, et que je mets seulement tard pour les encadrer en spoilers. J'ai un problème avec certains objectifs de carte, toujours dans cet esprit de dissonance ludo-narrative.

Je déteste qu'un objectif soit "Annihiler l'armée adverse en protégeant personnage A" et, une fois la mission achevée, personnage A meurt dans la cut scene suivante. Non seulement ça rend l'objectif caduc, mais en plus, ça nous sape en tant que joueur et tacticien ("Pourquoi j'ai fait ça et le jeu me punit ?"). Aussi, et c'est un plothole que vous pouvez lire dès la fin du chapitre 6 : je ne comprends pas comment Glenbrooke se laisse envahir si rapidement, sans résistance, comme si le pays n'avait aucune armée alors que... Ben les chefs d’État adverses étaient venus récemment, donc le roi aurait dû se dire "Ils connaissent l'architecture de la ville maintenant. Ça serait idéal pour une attaque. On va bien surveiller les mouvements de troupes, la dernière guerre s'est finie il y a 30 ans et tout n'est pas vraiment apaisé..." - et personne n'a vu l'autre pays débarquer, aucune résistance n'a été opposée - ou alors tous les soldats ont été tués comme s'ils avaient été des épis de blé sur le chemin d'une moissonneuse. Bref, c'est assez frustrant que l'élément déclencheur repose au final sur une grosse faille dans l'univers, alors que tout le reste se tient rudement bien.

En conclusion : si vous aimez les TRPG, et que Fire Emblem vous a récemment frustré parce que c'est trop de dating sim, et pas assez de cohérence dans l'explication de ce qu'est une guerre, le jeu vous accordera au moins une trentaine d'heures de plaisir. Si par contre, vous n'êtes pas gameplay tactique, si vous n'aimez pas lire quand même beaucoup d'informations, où si les personnages occupent une place clé dans votre appréciation d'une œuvre, je vous le recommanderais moins chaleureusement. Je pense avoir fait le tour du plus important (et j'ai réussi à ne pas râler sur la 2D-HD et à ne presque pas râler sur la police d'écriture du titre du jeu assez impersonnelle de "l'univers étendu Octopath et ses amis") ; je vous souhaite bon jeu, peu importe le jeu dont il est question !

(Et la guerre c'est mal)

(Mais le sel c'est bon)

(Gloire à la déesse du sel !)

ElJordano
7
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le 10 juil. 2023

Critique lue 12 fois

ElJordano

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