Tsugunohi
Tsugunohi

Jeu de Vaka Game Magazine et ImCyan (2021PC)

Debout les campeurs et haut les cœurs, n'oubliez pas vos bottes parce que ça caille aujourd'hui. Ça caille tous les jours par ici, on n'est pas à Miami.

Ben non, on est au Japon. ça se voit tout de suite aux uniformes, aux devantures de caractère et aux caractères sur les devantures, aux gens polis, aux libellules et aux silhouettes spectrales aux yeux exorbités qui vous fixent de derrière les panneaux de signalisation en faisant agreuu agreuuu avec la bouche (cherchez pas, c'est du japonais, ça veut dire "okaeri" en patois de la quatrième dimension).

Véritable phénomène de mode sur son PC et dans son Japon d'origine, où il est d'ores et déjà considéré comme culte, Tsugunohi a pourtant tout de la mauvaise blague sur le papier, et un peu à l'écran aussi.

Si vous êtes du genre à pester parce que vous ne vous y retrouvez pas dans les quarante gâchettes de votre manette custom de la Nasa à deux cent boules, réjouissez-vous : Tsugunohi se joue à deux boutons. Direction gauche pour faire avancer le protagoniste, et croix pour faire passer les textes (oui j'ai menti à Sens Critique, j'y ai joué sur PS5, mais si j'en crois le site, la version console n'existe pas ; ce qui est raccord avec le sujet, finalement, bientôt je vais retourner sur le PS store pour me rendre compte qu'il n'y a jamais figuré). Deux boutons en tout, donc. ça va ? Vous arriverez à vous y retrouver ou pas ?

Oui, vous avez bien lu, le jeu ne s'en cache pas, il en fait même un argument de vente à part entière : dans Tsugunohi comme à la NUPES, le but, c'est d'aller à gauche ; et même : à l'extrême gauche (du décor), pour repartir à droite le lendemain. Une allégorie politique involontaire autant que savoureuse qu'on se gardera bien de commenter ici. Sauf qu'il n'y sera pas question de revendiquer davantage de droits (ni de gauches) pour les minorités opprimées, à moins que vous ne comptiez les ectoplasmes au nombre de celles-ci, auquel cas vous serez ravi de les voir prendre leur revanche sur les diktats normatifs aliénants de la société des vivants, en leur criant très fort dans les oreilles des machins à l'envers. Et ouais ! Je veux vivre dans un puits et avoir les cheveux gras ! Et alors ? ça dérange qui, sérieux ?!

Le principe est donc aussi simple qu'il y paraît : vous avancez à la vitesse d'un épisode filler de Dragon Ball Z dans un décor en 2D avec un joli scrolling différentiel de dans le temps, jusqu'à atteindre l'autre bout et entamer le jour suivant, dans le même décor, sur le même trajet, à la même allure, comme dans la vraie vie. Une différence toutefois : à chaque journée qui passe, le personnage que vous contrôlez (si l'on peut dire) s'enfonce à son insu de plus en plus profondément dans les méandres d'un monde creepy pasta nippo nippon jusqu'à atteindre le point de non retour à la cinquième itération de la boucle de "gameplay". A l'issue de laquelle il se fera bouffer par un machin pâle aux yeux rouges qui fait whouhouhouuuuuu par intermittence (du spectacle).

Une proposition narrative audacieuse, il faut le reconnaitre, doublée d'un OVNI ludique mais pas trop, divisé sur console en une dizaine de chapitres indépendants de qualité inégale.

Cependant est-il nécessaire de développer davantage quand la seule question qu'on se pose tous à la lecture du pitch est "est ce que ça fonctionne ?". Autant vous épargner tout le blabla et sauter directement à la conclusion : "non, ça ne fonctionne pas".

A son meilleur, on n'en est pas loin, mais il manque toujours quelque chose.

Pourtant des choses à louer, il y en a, dans Tsugunohi : la beauté des décors, la richesse de leurs déclinaisons, l'inventivité des altérations qui les distordent, les quelques frissons gentillets qu'il sait nous arracher parfois, dès lors qu'on joue le jeu, l'efficacité de ses récits qui, s'ils n'ont rien de très original, composent élégamment avec les limites formelles inhérentes à la formule ; et puis le folklore japonais y est mis à l'honneur, l'horreur, à deux lettres près, quelle différence, non sans dépoussiérer un peu ses mythes (jusqu'au manichéisme, hélas) (les fantômes sont mauvais, tenez-vous le pour dit ! Un bon fantôme est un fantôme mo... oui, non, pardon, aux temps pour moi, faites comme si je n'avais rien écrit).

Une curiosité qu'il faut découvrir, au moins partiellement, pour la culture, et pas seulement en vidéo même si au final, ça revient au même, car aussi surprenant que cela paraisse, le simple fait de garder une touche enfoncée crée une connexion minimale entre le jeu et le joueur, comme on avait déjà pu le constater avec les Assassin's Creed ou Final Fantasy XVI (ho ho ho).

Pour autant, comme annoncé plus haut, l'ensemble ne fonctionne pas (ou disons : pas assez) parce que beaucoup, beaucoup trop cheap. Que ce soit par sa technique rudimentaire et ses assets qu'on dirait souvent découpés dans du carton, ses sons issus de bibliothèques de ressources gratuites et pas toujours raccord ou de bon goût, ou ses effets horrifiques trop classiques et redondants, qui pourront tirer quelques cris aux préados impressionnables et à quelques streamers surjouant l'émotion (pléonasme), mais prêteront à sourire plus qu'à se faire dessus. Mais attention, un gentil sourire, hein. Un sourire tendre, un sourire complice, entendu. Oui, oui, j'ai bien vu le visage bizarre dans le reflet de la vitre, oui, oui, ça fait peur, allez, c'est bien. Visage suivant !

Car Tsugunohi est un train fantôme de fête foraine, ni plus, ni moins : des trucs s'allument, des trucs s'éteignent, des trucs font du bruit, des trucs tombent du ciel ou viennent s'écraser sur l'écran en faisant grou grou, certaines poupées vous suivent du regard, les gens qui vous entourent ont les yeux rouges sans que ce soit de la conjonctivite ou une nuit sur Netflix à bindge watcher toute la misère du monde, bref, l'ambiance y est, c'est sympatoche, les codes sont respectés, certains segments se montrent même relativement inventifs dans leur approche de ces mécanismes, et le créateur (unique) de la licence a coeur de sans cesse essayer de la renouveler, c'est tout à son crédit, on sera admiratif de ses efforts dans ce sens mais au final, ben on se retrouve néanmoins à toujours faire la même chose, de la même façon, avec les mêmes effets et le même dénouement, encore et encore et encore.

Ha tiens.

Une pluie de visages déformés qui font HAAAAAAAAAAAAAA.

J'aurais dû prendre un k-way.

Difficile de ne pas voir dans la hype qui l'entoure une conséquence du stream system, en cela qu'il correspond très opportunément à son business model : pas cher, pas compliqué à commenter (pas besoin de se concentrer sur la manette), riche en tentatives de jump scare, court (chaque chapitre se boucle en une vingtaine de minutes en moyenne), le parfait candidat à la viralité, pas nécessairement pour de bonnes raisons (même s'il y en a).

Il n'empêche que pour l'originalité du principe, la patte graphique des chapitres les plus réussis (Call from Showa et the Ethereal railroad Crossing ; si vous devez n'en faire que deux, que ce soit ceux-là), Tsugunohi mérite qu'on embarque dans son petit train-train fantôme et qu'on en fasse un ou deux tours avec des cris un peu forcés, un peu hilares, juste pour la blague de se faire peur comme quand on était gosse, avec une casquette sur la tête et beaucoup de barbe à papa.

Liehd
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le 21 févr. 2024

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