On ne présente plus Undertale, ce jeu d’apparence modeste, fruit solitaire de l’esprit de Toby Fox, devenu en quelques années une pierre angulaire de la culture vidéoludique indépendante. Entre pastiche, hommage et subversion, l’œuvre déploie une tendresse étrange, presque désuète, à rebours de toutes les attentes modernes du médium.
Et pourtant, si Undertale mérite amplement sa place dans le panthéon du jeu narratif, une lecture honnête et nuancée impose de reconnaître qu’il n’atteint pas tout à fait l’universalité qu’il effleure. C’est une œuvre brillante, inventive, profondément touchante — mais aussi inégale, parfois bancale, prisonnière de ses propres références.
Une narration malicieuse, entre ironie et sincérité
Le cœur de Undertale, c’est son écriture. Un ton singulier, qui jongle entre blague méta, drame latent et émotion pure avec une agilité désarmante. Le jeu parle directement au joueur, le reconnaît, l’analyse, parfois le punit. Il détourne avec intelligence les codes des RPG classiques, jusqu’à les retourner contre nous. En cela, il est indéniablement subversif et brillant.
Mais cette malice constante, ce clin d’œil permanent, finit par devenir une double lame : elle fascine au début, mais peut fatiguer à la longue. À force de briser le quatrième mur, le jeu nous rappelle sans cesse que nous jouons, là où d'autres œuvres nous font oublier l’écran. L’émotion en sort parfois affaiblie, filtrée par le sarcasme ambiant.
Un univers de pixels et de cœur
Visuellement, Undertale opte pour une esthétique rétro minimaliste, pleinement assumée. Ce style rappelle l’âge d’or de la Super Nintendo, mais avec une sensibilité moderne. Les personnages sont marquants — de l’ineffable Papyrus à l’énigmatique Sans — et portent en eux une chaleur naïve, comme des croquis oubliés d’un carnet d’enfance.
Cependant, cette direction artistique, aussi charmante soit-elle, ne parvient pas toujours à soutenir la charge émotionnelle du récit. Là où des jeux comme OMORI transcendent leurs limites graphiques par une composition plus symbolique et une mise en scène plus nuancée, Undertale reste souvent plat, presque figé, comme si son monde manquait de souffle.
Un système de combat à double tranchant
La mécanique de combat, où l’on peut choisir d’épargner ses ennemis au lieu de les tuer, constitue l’un des piliers philosophiques du jeu. C’est une idée simple, mais porteuse d’une profonde humanité. Elle transforme chaque rencontre en dilemme moral, en appel à la compassion.
Pourtant, malgré son originalité, ce système souffre d’une certaine répétitivité, surtout dans les parties prolongées ou lors d’une deuxième run. Les mini-jeux de type bullet hell, bien qu’astucieux, deviennent redondants, et le gameplay ne se renouvelle que peu au fil du temps. L’intention est admirable, mais son exécution, parfois fastidieuse.
Une structure narrative brillante mais rigide
Ce que Undertale accomplit de fascinant, c’est de faire du choix une mémoire. Le jeu se souvient. Il sait ce que vous avez fait, ou tenté d’effacer. Il sait ce que vous auriez préféré oublier. La "route génocidaire", par exemple, est une expérience glaçante, non pas par ce qu’elle montre, mais par ce qu’elle nous révèle de nous-mêmes.
Mais ce système a un coût : il limite la liberté réelle du joueur au profit d’un discours sur la liberté. L’illusion du choix est parfois trop visible. Et si les routes pacifiste et génocidaire sont toutes deux fascinantes, la route dite “neutre” paraît bien terne en comparaison, presque accessoire.
Conclusion : Une œuvre essentielle, mais pas infaillible
Attribuer un 8/10 à Undertale, ce n’est pas lui retirer sa magie. C’est, au contraire, reconnaître sa grandeur sans l’idéaliser. C’est saluer un jeu qui a osé parler différemment, aimer ses joueurs, leur tendre la main, leur poser des questions que peu de jeux osent formuler : “As-tu de la peine pour ce monde ?” — “Et si tu pouvais recommencer, ferais-tu mieux ?”
Mais c’est aussi admettre que l’œuvre, parfois, se prend les pieds dans son ambition. Que son humour peut lasser. Que son système de jeu montre ses coutures. Que son monde, si riche dans l’imaginaire, manque parfois de densité dans la matière.
En somme, Undertale est un classique imparfait, un conte fragile, écrit avec un stylo d’enfant et l’âme d’un philosophe. Et c’est peut-être cela qui le rend si précieux : non pas sa perfection, mais son humanité maladroite et lumineuse.
Note : 8/10 – Important, marquant, inoubliable... mais inégal.