Whitestone
Whitestone

Jeu de Hailstorm Games (2023PlayStation 5)

Vous rêviez d'aventure ? De terres lointaines ? De luxe et de caviar ?

Bienvenue à bord du Sunchaser.

Aux côtés de notre équipage, vous vous apprêtez à vivre le plus fabuleux voyage de votre vie, qui vous conduira du ciel de votre Amérique natale aux étendues glacées du Pôle et aux vestiges énigmatiques qui y sont enfouis. Vous n'avez pas les moyens de vous offrir le billet ? Aucun problème ! Rejoignez les rangs de notre section archéologie, et gagnez votre place parmi nous en étudiant les artefacts collectés lors de nos précédentes expéditions. Remplissez vos missions professionnelles le jour, faites connaissances avec notre staff, détendez-vous, liez-vous d'amitié, tombez même amoureux si le cœur vous en dit. Vous êtes ici chez vous ! A votre disposition : une chambre individuelle avec vue sur les nuages, une infirmerie pour les petits bobos, un lounge, une salle de bal, une salle de gym, une bibliothèque encyclopédique, un tramway, une chapelle et bien d'autres : comme tous les aéronefs de standing, le nôtre est plus grand à l'intérieur.

Et attendez !

Ce n'est pas tout !

Plutôt que de dormir la nuit, menez l'enquête, rampez dans les conduits d'aération, combattez des boursouflures rampantes et des chevaliers en armure, explorez des lieux exotiques tels que la chaufferie ou les réservoirs d'eaux usées, tirez au revolver, donnez des coups d'épée, bloquez-vous dans les murs ou passez à travers, à votre convenance ! Mais pensez au passage à remercier votre meilleur ami pour vous avoir décroché ce job en or. Si toutefois vous le retrouvez. Car il semble n'être nulle part dans les parages et personne ne paraît se souvenir de lui, pas même la jeune femme qu'il courtise. Est-ce une raison pour lui faire les yeux doux ? A vous de voir, en votre âme et conscience. Toujours est-il que les trente prochains jours ne s'annoncent pas de tout repos.

Intrigant ?

Je confirme.

Sur le papier, Whitestone a tout pour plaire : il reprend la formule iconique qui a fait le succès des Persona depuis l'épisode 3, l'adultise (ouf !) (ne cherchez pas, ce n'est pas un vrai verbe, mais sur internet on n'est plus à ça près), la condense sur un mois (re-ouf !), la nourrit de référence illustres telles que Baccano, Full Metal Alchemist et Lovecraft (si t'as pas ta référence à Lovecraft, en 2023, t'as raté ton jeu/livre/film/couscous/tartiflette), y ajoute un système de crafting alchimique, un arbre de compétences (passives ET actives !), remplace les phases de RPG au tour par tour par du survival horror en vue de dessus, implémente une roulade à la Dark Souls pour les esquives, s'assure que les choix du joueur auront un réel impact sur le scénario en intégrant des embranchements scénaristiques susceptibles de conduire à (au moins) six fins différentes, et en garde même un peu sous le coude pour son new game +.

Une ambition folle, dont on ne peut que louer les excès, tant elle aurait pu conduire à la conception d'un jeu parfait.

Sauf que les programmeurs de Whitestone ne sont ni mille, ni cent, ni dix. Mais deux. Oui, oui. Deux. Vous avez bien lu. Allez, trois, si on compte le compositeur. Le générique tient sur un écran fixe. Or il aurait fallu au moins dix fois plus de monde sur le pont pour éviter l'iceberg.

Je veux dire... quand tu es deux, tu programmes un Pac Man, un Candy Crush. Allez, un petit truc sous RPG Maker. Un Signalis, si VRAIMENT tu es surdoué. Pas un melting pot de genres si hétéroclites, et aussi audacieux. Enfin, ok, tu t'es mis la barre très très haut, c'est tout à ton honneur, mais à vouloir voler trop près du soleil (ou dans le cas présent : lui courir après, en anglais dans le texte), on se brûle les ailes. Les créateurs de Bleak Faith et Lost Souls Aside en savent quelque chose. Certains de tes personnages également. Le mieux a cela de commun avec les forces du mal qu'il est l'ennemi du bien.

Car si la direction artistique du titre fait illusion, allant jusqu'à réinventer le style de Soejima à l'Américaine (pour un résultat plutôt convaincant, contre toutes attentes), le joueur téméraire ne tardera pas à revoir son enthousiasme à la baisse. Avec beaucoup d'indulgence, d'abord, en s'efforçant de fermer les yeux sur les petites choses : le manque d'étapes intermédiaires dans l'animation du sémillant Jack (dont vous tiendrez la destinée entre vos mains), certaines transitions de caméras beaucoup trop brutales, trop d'allers et retours entre les différentes sections du Sunchaser, l'absence de tutoriels dignes de ce nom (rédhibitoire, compte tenu du nombre de mécaniques associées, et de leur caractère abscons), un manque d'équilibre dans l'alternance entre visual novel et survival horror (la mise en place de l'intrigue à elle seule aura raison des moins flegmatiques). Puis plus le temps passera et moins on sera enclin à la bienveillance, à mesure que les défauts du titre prendront de l'ampleur : les hitbox approximatives, le level design trop alambiqué, l'absence de map, les vagues d'ennemis sans fin, tantôt trop faciles à défaire, tantôt plus résistants qu'un boss de fin de niveau. Mais surtout, les bugs en pagaille à la Deadly Premonition. Comme suggéré plus haut : tantôt, vous vous retrouverez bloqué dans un mur, tantôt vous passerez à travers le sol, vous voudrez crafter des potions avant un affrontement serré mais le menu freezera sur la page d'équipement, vous ferez une chute de dix kilomètres sans prendre un seul point de dégât, vous looterez des box invisibles, vous serez bloqué dans votre progression à cause d'un dénivelé de quelques millimètres entre deux plate-formes, votre personnage flottera au-dessus du sol en grand écart américain, votre manette confondra le haut et la gauche, le bas et la droite, la cinématique crashera votre partie en boucle, entre autres joyeusetés de version béta en early access (sur console Sony, du moins. Peut-être le jeu tourne-t-il mieux sur Steam ? C'est tout le mal qu'on lui souhaite). Autant d'écueils récurrents qui émailleront votre parcours, sans pour autant le rendre totalement injouable, mais de façon suffisamment fréquente pour vous gâcher peu à peu le plaisir. De sorte que faute d'avoir été pris par la main par les développeurs en amont, vous ferez sans doute l'impasse sur les mécaniques secondaires, arbres de compétence, pouvoirs alchimiques, slalomerez entre les mobs sans vous arrêter pour leur rectifier la face et rusherez le boss à la barbare pour mettre un terme prématuré à votre galère. Tout en prenant a contrario votre temps pour courtiser la waïfu de vos rêves et vous assurer de quitter le Sunchaser à son bras. Ça fonctionne à tous les coups.

En l'état, l'ensemble reste fonctionnel dans ses grandes lignes et se boucle en une quinzaine d'heures, au terme desquelles vous obtiendrez le fin mot d'une histoire dont le mystère tient en haleine, en dépit de son classicisme, mais dont la mise en scène petit budget tend à désamorcer les grandes révélations. Hélas, passé les premiers donjons, on s'usera la patience à essayer de jouer correctement à un titre qui ne fait aucun effort pour nous rendre la politesse.

Et si l'équipe (de deux, rappelons-le !) ne ménage pas sa peine pour corriger les problèmes portés à son attention, il faudrait plus d'un an de travail non stop à une équipe expérimentée pour remettre le navire à flots.

Ils y ont investi beaucoup de passion, d'efforts. D'argent, sans doute, aussi.

La prouesse est réelle, le défi relevé. S'ils n'ont pas réussi à transformer l'aplomb en or, ils peuvent être fiers du résultat, compte tenu des contraintes qu'ils ont dû surmonter.

Mais on ne le conseillera pas pour autant. Ni ne le déconseillera pas, du reste. ça nous crèverait le cœur et ce serait injuste.

Peut-être alors serait-il judicieux d'attendre, les soldes ou un état plus avancé du jeu, les deux se valent.

Investir dans l'idée, plutôt que dans le produit fini ?!

On en aurait pour son argent, alors.

Pour son plomb également.

Il n'y aurait plus qu'à trouver à notre tour la pierre philosophale.

Liehd
5
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Créée

le 13 nov. 2023

Critique lue 5 fois

Liehd

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