Wrath est un jeu qui s’est fait attendre longtemps. Annoncé d’abord en 2019 pour une sortie en 2020, il a connu plusieurs reports avant d’arriver enfin en ce début 2024. Inutile d’énumérer tous les rebondissements qui ont ponctué sa communication, on peut retenir au moins une chose, c’est qu’ironiquement un jeu qui s’appelle COLERE en a suscité lui-même beaucoup auprès de ceux qui l’attendaient. Les commentaires sous les post-steam des devs en attestent : les joueurs n’y croyaient plus, crachaient leur bile en pagaille, se sentaient floués. On ne sait pas trop pourquoi le jeu a mis tant d’années à sortir, probable que la restructuration violente d’Embracer y est pour quelque chose, puisque l’éditeur 3D Realms qui soutenait le jeu a lui-même été touché par des licenciements. Bref, le développement de Wrath a été difficile pour le studio Killpixel.

Moi si j’attendais ce jeu, c’est pour une raison bien précise. La team derrière son développement compte parmi elle une poignée de mappeurs réputés dans le monde du modding. En cherchant un peu, j’ai trouvé les noms suivants. Shamblernaut, Skacky, Mukor, ou encore Killpixel (qui a donné son nom au studio). La plupart ont bossé pour des maps de Quake, d’autres pour Thief, ou encore pour le bien réputé Dark Mod (qui transforme Doom 3 en un nouveau Thief) mais tous ont surtout travaillé sur l’excellent Arcane Dimensions.

Arcane Dimensions c’était quoi ?

C’était un mod sorti en 2016 qui boostait Quake en proposant des niveaux gigantesques, longs, aux architectures démentes, à travers lesquels on circulait dans l’ordre souhaité via deux hubs et des portails dimensionnels. Chaque création avait une patte différente avec ses propres concepts, ambiances, ennemis, level design. Bref, c’était un mod qui réunissait la dream team des mappeurs en leur laissant totale liberté. Un de mes gros coups de cœur de ces dernières années, bien résumé par l’ami Karadras, et que je vous invite naturellement à essayer.

Wrath apparait donc comme une envie de renouveler la formule en profitant de l’engouement du doom-like qui bat son plein depuis quelques années. Seulement voilà, n’étant pas un mod, mais bien un jeu à part entière, Wrath a dû faire des choix qui l’éloignent un peu d’Arcane Dimensions.

Car oui, en grande partie j’ai trouvé dans Wrath ce que j’avais aimé dans AD, et que j’attendais avec espoir : des niveaux longs et très TRES ambitieux - c’est peu de le dire, puisque chacun dure au moins 50 minutes, mais souvent bien plus, dépassant facilement les une heure. Puis aussi, des grands hubs plaisants à explorer. La liberté d’aborder les niveaux dans l’ordre que l’on veut. Un sens du labyrinthe poussé assez loin. Et une nervosité qui s’inspire directement de Quake en la poussant un peu plus.


(On notera d’ailleurs que Wrath tourne sur le moteur Darkplaces, un source port de Quake utilisé par les mappeurs, et non pas, comme je l’ai lu un peu partout, sur le moteur d’origine).


Le jeu nous fait ainsi traverser trois hubs avec cinq niveaux chacun. Tous répondent à des thématiques communes. Par exemple le premier hub appelé Val Mouroir réunit des niveaux autour des décors médiévaux en nous faisant traverser d’immenses forteresses, des cryptes profondes et des marécages labyrinthiques. Après avoir bouclé les niveaux, et avant de basculer au prochain hub, on devra affronter un boss, dont le combat repose toujours sur un petit puzzle qui permet d’apporter un peu de réflexion à l’action. (ça c’est assez rare dans le genre).


Tout cela fait que j’ai d’abord envie d’aborder Wrath par le positif en disant que presque tout y est réussi. Je trouve que les combats ont énormément de punch. Les ennemis ont des patterns bien identifiables qui imposent des réactions adaptées à chacun. Les niveaux sont grands comme je les aime. Et le jeu propose même pas mal d’idées bien à lui que j’ai envie de souligner. Par exemple j’aime beaucoup les items à activer qui ouvrent à des stratégies de combat vraiment funs – mon préféré : la fiole qui rend les ennemis fous et les fait s’entretuer. Je trouve aussi les tirs secondaires de chaque arme vraiment bien pensés, et notamment l’idée de pouvoir dasher avec notre lame, ce qui est autant une attaque ravageuse qu’une manière de se déplacer, souvent sollicitée pour bien explorer les nombreux recoins des niveaux.


Bref, dans l’ensemble Wrath coche les cases que j’espérais. Bons ennemis, bonnes armes, bon feeling. C’est un bon Quake-like que j’aurais pu facilement placer en top list du genre. Mais malheureusement ce n’est pas le cas, car il y a en fait deux choses que j’identifie comme des défauts apparents.

Le premier, pas très grave, c’est le système de sauvegarde du jeu. En fait, de système, il y en a trois : d’abord des saves automatiques à chaque début de niveau (ça ok), ensuite des items disséminés dans les niveaux – les ancres spirituelles – qu’on cumule et qu’on active quand on le souhaite pour sauvegarder. Enfin, des sanctuaires placés au sein des niveaux qui sont des sortes de checkpoint qui nous soignent par la même occasion. J’imagine bien que le but de tout cela est de nous obliger à penser nos sauvegardes en nous retirant la liberté que nous offre généralement les doom-like. En théorie oui, ça aurait pu fonctionner. J’aime l’idée, mais j’aime moins son exécution.

Ça aurait pu fonctionner à condition de filer au joueur trois ou quatre ancres maximum, et placer dans chaque niveau pas plus d’un sanctuaire, histoire de ne pas trop lui en donner, l’obligeant à la jouer serré et à prendre des risques. En réalité, on se retrouve rapidement en surnombre d’ancres spirituelles, si bien que les sanctuaires eux-mêmes ne servent plus à rien. Pourtant le jeu n’est pas facile. Face aux nombreuses embuscades qu’on traverse, nos vies fondent rapidement, mais on n’a pourtant jamais peur car on pourra beaucoup sauvegarder. En fin de compte, ce système qui se voulait original n’a que peu d’impact sur la manière de jouer. Il aurait pu être intéressant, mais on sent que les développeurs n’ont pas osé être radicaux et proposer une sorte de Quake darksoulisé, alors que des items à usage unique + des checkpoints visaient une telle expérience. Bon, c’est ainsi…

Le deuxième défaut en revanche est plus dommageable. J’évoquais plus haut les choix qui éloignent Wrath d’Arcane Dimensions. Ces choix ce sont des souhaits de cohérence. En gros, là où AC savait rythmer ses niveaux par une variété foisonnante et bordélique tout à fait acceptable dans un mod (ennemis sans cesse variés, level designs très différents d’un niveau à l’autre, pathwork d’idées), Wrath choisi d’être plus cohérent et donc moins varié, à tel point que sa formule finit par en pâtir. Ou pour dire les choses simplement : les niveaux très longs ça ne fonctionne qu’à condition d’avoir de quoi renouveler les surprises faites au joueur.

Wrath a pourtant 15 ennemis (15 ! c’est énorme pour un doom-like) mais ses niveaux sont si longs, si démesurément grands, que ces 15 ennemis finissent par devenir trop peu nombreux. Mais le problème étant surtout un manque de variété dans les scénarios de combat. Très vite le jeu épuise ses idées et ne sait plus trop comment nous étonner. Il finit alors par multiplier les embuscades surprises un peu faciles : on avance au centre d’une pièce, et pouf ! les ennemis apparaissent autour de nous. Même Doom qui date pourtant de 1993 arrivait à construire des situations plus variées avec moins d’outils en main. C’est assez regrettable à relever, mais c’est LE gros défaut de Wrath. J’ai adoré parcourir ses niveaux, je voulais découvrir chaque nouvelle architecture, mais j’ai vite compris que les situations de combat ne m’étonneraient guère.

Voilà donc ce je retiens de Wrath. Un doom-like dont les niveaux très ambitieux finissent par devenir longuets uniquement parce que le jeu peine à renouveler leur rythme. Je ne suis pas le seul à avoir ressenti cela, car j’ai vu que Civvie11 (l’unique, le grandiose) en arrivait aux mêmes conclusions. Il le dit juste plus simplement : Wrath aurait gagné à être plus court.

C’est dommage oui, mais en même temps j’ai quand même envie de recommander ce jeu pour ce qu’il réussit.

C’est-à-dire tout le reste. Ses armes, ses pouvoirs, ses hubs, le placement de ses secrets, ses ennemis réussis - j'adore les « veuves », ces vieilles folles monstrueuses qui nous coursent en gueulant (aka le monstre gagnant du concours des jumpscare le plus efficaces) - et puis bon, c’est un jeu dans lequel on peut quand même désactiver les animations d’interpolation pour obtenir un rendu saccadé et crado à la Quake, et ça c’est vraiment le must.

-Alive-
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le 23 mars 2024

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