Cover Journal de Bord 2019 - Films

Journal de Bord 2019 - Films

Quatrième opus, que j'espère moins compliqué à boucler que l'an passé. Toujours intégralement annoté (risque que les textes soient plus courts, pour ne pas me faire à nouveau piéger par le temps).

2018 :
https://www.senscritique.com/liste/Journal_de_Bord_2018_Films/1961003
2017 ...

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Liste de

87 films

créee il y a plus de 5 ans · modifiée il y a plus de 4 ans

Asako I&II
7

Asako I&II (2018)

Netemo sametemo

1 h 55 min. Sortie : 2 janvier 2019 (France). Drame, Romance

Film de Ryusuke Hamaguchi

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 6 janvier ♦

J'étais très curieux de découvrir Hamaguchi, l'une des rares vraies révélations asiatiques de ces dernières années. J'ai manqué "Senses" et "Happy Hour", je ne vais donc pas tirer de jugement trop hâtif à son sujet mais "Asako I & II" est un vrai film de son temps, d'une nouvelle génération (même si Hamaguchi vient d'avoir 40 ans…) qui se plaît à s'aventurer courageusement dans des zones encore inexplorées par les aînés, quitte à y laisser des plumes. Grosso modo, j'ai perçu "Asako" comme une réponse à la question "et que serait-il arrivé si Pocahontas avait laissé tomber John Rolfe pour John Smith ?". Ainsi, toute la progression dramatique du film est sciemment déstabilisante, laisse se greffer au récit des mécanismes tragiques en rupture avec notre propre proximité à une histoire d'amour simple, légère et retenue. Au point qu'ils semblent tout droit surgir d'un rêve (Asako hésite : laquelle de ses deux aventures tient le plus du rêve ? Quand peut-elle s'être réveillée ?). La vraisemblance intéresse peu Hamaguchi. Simplement saisir par les moyens du cinéma la psychologie tumultueuse d'une fille qui, malgré les années passantes, n'a su trouver ce point d'équilibre sentimental, qu'elle appelle maturité, la faute à un grand premier amour, irréel, laissé inachevé, en suspens. J'y ai vu par instants un (inattendu) danger dolanien, mais aussi beaucoup de belles tentatives, de belles réussites, et un héritage kitanien (inattendu lui aussi) très bien digéré, qui laissent de belles promesses pour l'avenir.

[7/10]

Grass
6.9

Grass (2018)

Pulipdeul

1 h 06 min. Sortie : 19 décembre 2018 (France). Drame

Film de Hong Sang-Soo

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 7 janvier ♦

La première fois je crois que Hong Sang-soo tourne un grand film qui désire l'être. Voix off didactique qui explicite une vision des choses, de la vie et des êtres, morceaux de musique classique soutenant une émotion alors plus brillante, plus intense, une pompe formelle inédite, qui revitalise puissamment le cinéma de son auteur. Autant d'éléments qui laissent penser que le cinéaste souhaite à présent, après tout de même 5 films tournés avec sa muse, passer un nouveau cap. Convoque-t-il ainsi beaucoup plus de personnages qu'à l'accoutumée, défilant chacun devant (enfin, "à côté de" plutôt) une Kim Min-hee attentive, qui écoute chaque mot, scrute chacun de leurs gestes, et en tire des questions, puis des vérités, ses vérités. Les sentiments les plus mauvais éclatent : la jalousie, la rancœur, la hargne, la sournoiserie, l'égoïsme. Les exprimer et obtenir une réponse de leur destinataire, tel est le chemin à emprunter pour qu'éclatent à leur tour les sentiments plus vertueux : la bienveillance, le regret sincère, l'envie de reconstruire, l'amour, évidemment. Monter et descendre indéfiniment les marches d'un escalier, comme l'illustre une scène-pivôt du film. L'émotion humaine est naturellement naïve et franche, il ne faut surtout pas craindre de la libérer, c'est ainsi qu'on avance. Les doux panoramiques qui relient les personnages à Kim Min-hee (on croirait qu'ils viennent de son imagination, de son monde) sont parmi les plus beaux filmés par HSS.

[8/10]

Close-Up
7.9

Close-Up (1990)

Nema-ye Nazdik

1 h 38 min. Sortie : 30 octobre 1991 (France). Drame

Film de Abbas Kiarostami

Jurassix a mis 10/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

♦ Vu le 11 janvier ♦

Immense chef d'œuvre absolument essentiel qui donne ses lettres de noblesse à un art qui peut non seulement sauver des vies, mais aussi réconcilier et unifier les hommes. Fiction, documentaire, faux documentaire, "Close-Up" emprunte à diverses formes cinématographiques pour mieux en extraire une vérité fondamentale. Il aligne les mensonges, romance (retravaille plutôt) la réalité mais ne trompe pas. il annonce très vite la teneur hybride de son film, l'effort demandé au spectateur pour, non pas faire la part des choses entre le vrai et le faux, mais comprendre, à l'aide de toutes ces données, les pensées de l'homme, le sujet, qui a vécu pour, à partir de, et à travers le cinéma pendant ces quelques semaines qui ont changé à jamais son existence. La dernière séquence est bouleversante de vérité, décuplée par le mauvais fonctionnement de la bande-son, accident technique promu miracle dont seul le cinéma est capable. Il fallait filmer cette histoire, née du cinéma, consacrée par le cinéma.

[10/10]

An Elephant Sitting Still
7.9

An Elephant Sitting Still (2019)

Da xiang xi di er zuo

3 h 50 min. Sortie : 9 janvier 2019 (France). Drame

Film de Hu Bo

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 12 janvier ♦

Le suicide de Hu Bo à tout juste 29 ans est un drame terrible, il nous prive d'un grand talent chinois, mais aussi, et c'est le plus sordide, d'un point de vue neutre, sans éclairage contextuel sur son film. Impossible de ne pas y voir l'œuvre d'un homme qui a mis fin à ses jours tant elle est misanthrope, sans concessions. Quatre heures de film, et pas un sourire qui ne soit pas jaune, pas un geste de délicatesse, pas une amitié, un amour qui ne soient déçus, pas la trace d'un sentiment affectueux qui obtienne une réponse de son objet. Les quatre protagonistes existent seuls, n'ont personne à qui confier leurs peines et leurs souffrances. La société chinoise prive ses citoyens de tout épanouissement professionnel, les contraint à une réorientation non-désirée, les pousse à la frustration, au repli sur soi, au chacun-pour-soi, à la haine des autres. La communication entre les individus devient impossible, et même ceux qui jouent et maîtrisent le jeu de cette nouvelle Chine sous Xi Jinping se retrouvent dégoûtés par cette culture de la peur, de l'individualisme qui exacerbe toujours plus les rancœurs entre les uns et les autres. Innocents ou voyous, tous sont piégés par cette longue focale qui capture en gros plan leur visage zombique, floute l'environnement alentour qui leur est déphasé. Rien à sauver, mieux vaut quitter ce monde au plus vite. Ce sont cette absence de nuances dans le désespoir et la marche lancinante de la mise en scène qui vire à un système trop monochrome, trop pesant, qui freinent mon enthousiasme. Mais comment le reprocher à quelqu'un dont la souffrance sincère l'a mené au suicide ?

[7/10]

La Mère
7.4

La Mère (1926)

Mat

1 h 29 min. Sortie : 11 octobre 1926 (Union Soviétique). Drame, Muet

Film de Vsevolod Poudovkine

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 13 janvier ♦

Presque aussi galvanisant dans l'épique qu'Eisenstein mais beaucoup moins ample pourtant. Focalisé sur la prise de conscience politique d'une mère tiraillée entre la fidélité pour son mari violent, corrompu par les puissants, et l'amour pour son fils, ouvrier engagé pour la révolution, Poudovkine fait de sa Mère un modèle d'identification pour le peuple russe. Un personnage d'abord neutre, sans position ni idées politiques, puis appelée à brandir fièrement le drapeau révolutionnaire par suite de l'accumulation des injustices sociales, des violences infligées aux classes populaires par le pouvoir en place. Comme tant d'œuvres de propagande soviétique, le propos est exprimé avec force et conviction, qui emportent largement notre adhésion. D'autant que son resserrement intime, rattaché davantage au mélodrame qu'aux grands opéras baroques, a plus de chances de convaincre un public plus apolitique. À noter aussi un découpage démentiel, brut et vif, qui a surement fait école chez nombre de stylistes du montage (impossible de ne pas penser à Leone lors de certaines "scènes de tension").

[8/10]

Kaili Blues
7.1

Kaili Blues (2015)

Lu bian ye can

1 h 50 min. Sortie : 23 mars 2016 (France). Drame

Film de Bì Gàn

Jurassix a mis 6/10.

Annotation :

♦ Vu le 14 janvier ♦

Je suis resté complètement en retrait sur toute la première heure du film. Il n'a eu sur moi aucun impact émotionnel, jusqu'au fameux plan-séquence, gratuit si l'on veut, sans grand intérêt de fond. Mais il est ludique, ne cherche pas la virtuosité à tout prix, ne cache pas son artificialité. Un stabilisateur optique qui déforme perspectives et proportions, une caméra embarquée trahie par de nombreux à-coups… Nous n'oublions jamais le caméraman derrière la caméra, d'où un rendu quasi-documentaire très intriguant, très étrange, complètement hypnotisant. Il doit beaucoup au décor, qui rappelle à quel point il reste beaucoup à filmer en Chine. Décor irréel, phantasmagorique, absolument envoûtant en cela que son traitement formel est somme toute relativement sobre. Mais j'ai baillé trop longtemps, lassé par une intrigue absconse de bout en bout, dont on comprend à peine les enjeux, les personnages… Lire après coup le résumé du film, c'est redécouvrir le film. Mais cinéaste à suivre, qui pourrait compter à l'avenir.

[6/10]

Rocky Balboa
6.6

Rocky Balboa (2006)

1 h 42 min. Sortie : 24 janvier 2007 (France). Drame, Sport

Film de Sylvester Stallone

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 17 janvier ♦

Le style a déjà beaucoup vieilli. C'est le prix à payer quand on cherche à s'adapter à tout prix aux mouvances esthétiques de son époque. Stallone puise autant chez Mann que chez Bay et Scott (plutôt Tony), sature ses couleurs à outrance, stylise son montage avec plus ou moins de bon goût (je pense aux surimpressions des flashbacks, des images empruntées aux anciens films)… Tout ceci ressemble à un melting-pot de ce qui se tournait à ce moment-là dans le cinéma américain mainstream. Mais chaque image a son idée de fond, ça compense. Et le fond transcende complètement les fautes de goût formelles. Le personnage de Rocky est toujours génial et complètement à part dans le cinéma hollywoodien. Nounours humaniste et bienveillant, naïf mais pas simplet, assez mature et lucide pour comprendre comment le monde marche (loin d d'être dupe quant aux retombées commerciales du match à venir, suffisamment intelligent pour savoir gérer la situation et ne pas s'égarer, capable quand il faut de remettre en place son fils, gagné petit à petit par la lâcheté, etc...), les talents de scénariste de Stallone élèvent complètement le film, humble épilogue simple et touchant à la série de films qui l'a accompagné, qui l'a construit toute sa carrière. Si "Rocky Balboa" n'invente rien, il sait ce qui est bon d'être raconté pour son personnage. Il y a un capitaine à la barre, qui connaît son monde mieux que quiconque.

[7/10]

L'Étrange Incident
8

L'Étrange Incident (1943)

The Ox-Bow Incident

1 h 15 min. Sortie : 8 septembre 1948 (France). Western, Drame

Film de William A. Wellman

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 20 janvier ♦

Mes seules (minuscules) réserves ont quand même été vite balayées par la puissance symbolique de la mise en scène (superbes travellings arrières, comme une prise de recul et une prise de conscience des enjeux sidérants de l'affaire, qui nous dépassent tous) et la force de l'interprétation. Fonda subtil et génial, personne ne sera surpris, mais surtout Dana Andrews, que je ne connaissais qu'en héros de film noir, bloc de charisme impassible et mutique, ici complètement démuni, bouleversant comme jamais. Rarement vu une telle justesse dans le jeu d'un homme qui voit, le temps d'une seule nuit, sa vie lui être arrachée, injustement. Le feu vacillant qui éclaire son visage sur chaque plan soutient admirablement l'intensité extraordinaire de sa performance. Mais une (minuscule) réserve : le désir un peu lourd d'incarner LA parabole de la nécessité indiscutable du respect la présomption d'innocence. L'épisode de la lettre est beau mais forcé, renferme une morale universelle plutôt impersonnelle sur la faiblesse de l'humanité toute entière devant l'idée de Justice, bien plus que les derniers adieux d'un homme à son épouse et ses enfants. Mais qu'importe, "L'Étrange Incident" est une merveille de narration, très singulier et très libre. On devine souvent la carte blanche de Wellman : un vieil amour "perdu", centre d'attention de la scène d'ouverture que l'on imagine être un enjeu important du film, débarque peu avant la découverte des trois suspects… pour aussitôt disparaître (après une scène magnifique de faces-à-faces silencieux) et ne plus jamais être abordé. Soit l'histoire d'un homme qui apprend à mettre ses petites histoires personnelles de côté devant un problème beaucoup plus grand. L'arc narratif de Rose Mapen est passionnant, car absolument inutile à l'intrigue principale, mais primordial dans la caractérisation d'un personnage dont l'échec amoureux va changer sa vision des choses. Mais si l'on sait le personnage transformé, aucune de ses décisions ne pèsera pourtant sur le déroulé du procès, il n'en sera qu'un acteur secondaire. Choix rare et antihollywoodien au possible. Classique indispensable à mes yeux.

[8,5/10]

Glass
6.3

Glass (2019)

2 h 09 min. Sortie : 16 janvier 2019. Thriller

Film de M. Night Shyamalan

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 25 janvier ♦

"Glass" est à laisser décanter, il donne à la fois tout ce qu'on pouvait espérer et craindre d'un Shyamalan à nouveau en pleine possession de ses moyens, c'est-à-dire autorisé à apposer sa signature si caractéristique sur l'intégralité du film. Film de paradoxes, d'oxymores qui n'en seraient pas, c'est un récit d'allers-retours, de déviations qui se révèlent être des raccourcis. Un film anti-hollywoodien au possible (un peu taquin d'ailleurs, en témoigne cette "Marvel Osaka Tower", vendu comme décor de "l'affrontement final", auquel est préféré le parking d'un l'hôpital, déjà bien connu depuis une bonne heure de film) et complètement conforme à une narration de comics, démonstrations d'Elijah à l'appui (non sans lourdeurs). Le défi d'écriture, assez arrogant, de Shyamalan est celui-ci : légitimer les traits les plus bâtards et moqués d'une "superhero story" (réunion improbable de tous les protagonistes, coups de théâtre invraisemblables etc...) en leur donnant une profondeur théorique inédite. En effet, chez Shyamalan, tout doit être là, à sa place, il faut croire à l'impossible, croire en son potentiel surnaturel, garder la foi en ce qui dépasse la raison. Tout fait partie d'un plan. Le geste est beau, mais réchauffé et l'exécution nettement moins virtuose que par le passé. Mais le positif domine : des acteurs impeccables, McAvoy sur la corde raide, complètement grotesque et immensément touchant, Willis mutique au regard bleu déchirant de mélancolie, de superbes idées de mise en scène, de beaux moments de tendresse et d'émotion jonglant comme souvent en une même scène voire un même plan entre un mélo déconcertant de premier degré et un humour sciemment ridicule désarçonnant, magnifiquement pathétique. Pas conquis mais convaincu que Shyamalan fut il y a quelques années, enterré bien trop vite.

[7/10]

La Mule
6.7

La Mule (2018)

The Mule

1 h 56 min. Sortie : 23 janvier 2019 (France). Drame, Gangster, Thriller

Film de Clint Eastwood

Jurassix a mis 8/10 et l'a mis dans ses coups de cœur.

Annotation :

♦ Vu le 26 janvier ♦

Eastwood géant, 88 ans et toujours à l'heure, encore. Film parfait, carré et sans accrocs, qui bénéficie du savoir-faire de conteur rodé qu'est devenu Eastwood aujourd'hui, ainsi que du regard juste et modeste qu'il porte sur l'évolution de son pays. Son personnage a toute sa vie derrière lui, il est dépassé, le temps l'a doublé. Ce temps si précieux, il n'a pas su le saisir pour sa famille, il ne l'a pas vu balayer les beaux endroits de son passé, il ne l'a pas vu s'emparer de sa maison. La beauté qui compte aux yeux de Stone, c'est celle de cette fleur, magnifique un jour, qui se fane le lendemain. Autant dire qu'il n'est plus vraiment de ce monde. Alors, pourquoi ne pas, une fois dans sa vie, céder à la facilité, entraver la loi et, non pas chercher à rattraper le temps perdu, mais retrouver du temps, sauver ce qui peut encore être sauvé. L'illusion d'acheter du temps. Il fallait évidemment le corps maintenant frêle et vieilli d'Eastwood pour donner toute sa fraicheur à un film loin d'être anodin, qui ne donne aucune leçon sur l'Amérique mais montre les choses, avec l'humour gentiment taquin (et nuancé, précisons-le) du cow-boy Clint, plus que vital de nos jours, où le politiquement correct règne en maître dans le cinéma américain mainstream. Un vrai film de retraité, l'œuvre d'un artisan qui n'a plus besoin de filmer, mais qui filme encore, par amour pour son travail, pour ses histoires. Et qui, parce qu'il est seul, parce que sa situation est unique dans l'Histoire du cinéma, invente, film après film.

[8/10]

P.S. : Très ému également par ce dialogue au bar entre Eastwood et Cooper, le père et le fils cinéastes, qui m'a rappelé instantanément la scène du bar d'"Un frisson dans la Nuit", premier film de Clint, où il donnait la réplique à... Don Siegel, son père cinématographique. Beau passage de flambeau symbolique qui pourrait presque attiser ma curiosité pour "A Star is Born".

Climax
6.8

Climax (2018)

1 h 35 min. Sortie : 19 septembre 2018. Drame, Thriller

Film de Gaspar Noé

Jurassix a mis 5/10.

Annotation :

♦ Vu le 26 janvier ♦

J'essaie de rattraper l'année ciné 2018 que j'ai plutôt négligée l'an passé. Pas surpris de ressortir mitigé du dernier Noé, cinéaste qu'il vaut mieux découvrir très tôt, en début de cinéphilie, pour ne pas rejeter en bloc la complaisance pédante et puérile de ses films. Pour autant, je suis convaincu que son cinéma vaut un peu plus que ce qu'on en dit généralement. Si cynisme facile et cruauté gratuite sont de la partie, Noé ne cherche ni notre empathie ni notre indignation. La caméra n'épouse le point de vue d'aucun personnage, la mise en scène ne compte un seul instant rendre ses héros sympathiques/antipathiques ou un minimum proche de nous. Il y a toujours la distance de l'ivresse, d'un cinéma raide défoncé, qui fait relativiser l'atrocité des péripéties. Fusils de Tchekhov comiquement omniprésents, amenant toujours le pire (un gamin enfermé à clé dans un local électrique… donc clés perdues et bambin électrocuté, une femme enceinte vulnérable, anxieuse… donc frappée au ventre, puis insultée, humiliée par tous ses amis etc etc etc...), mouvements de caméra acrobatiques n'ayant d'autre but que le vertige, la nausée, l'enivrement, la transe. Cinéma sans beauté, sans noblesse, qui n'a que faire des critères de valeur cinématographique "classiques". Tant mieux quelque part, nous avons besoin de ces films qui font bouger les lignes, mais il ne me raconte rien, ne me dit rien, ne produit d'autre effet que celui d'un léger bad trip.

[5/10]

Tempête sur l'Asie
6.8

Tempête sur l'Asie (1928)

Potomok Chingis-Khana

2 h 07 min. Sortie : 10 novembre 1928 (Union Soviétique). Drame, Guerre, Muet

Film de Vsevolod Poudovkine

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 27 janvier ♦

Vu la version d'un peu plus de deux heures sur Wikipédia (!). De trois films les plus connus de Poudovkine, "Tempête sur l'Asie" est probablement le plus ambitieux mais aussi paradoxalement le plus minimaliste, calme, posé. Peut-être est-ce l'influence asiatique qui a tempéré le style du réalisateur. Mais il prend goût à passer du temps dans ses décors naturels, laisser la nature imprégner chaque scène. Et puisqu'il est une exception dans le paysage cinématographique soviétique, puisque que ce qu'il filme ne pourrait être filmé par personne d'autre, il fait durer ses séquences. En témoigne cette longue scène, fameuse, de cérémonie traditionnelle dans un temple bouddhiste, tournée avec l'accord du dalaï-lama. L'atmosphère mystique qui plane sur tout le film en est décuplée. "Tempête sur l'Asie" est donc très différent des deux films précédents du cinéaste, plus fantaisiste (le héros reconnu comme héritier légitime de Genghis Khan) mais tout aussi enragé contre le pouvoir tsariste, dont sont décrites les coulisses ici (il trompe son peuple, manipule et corrompt). Des problèmes de rythme et quelques longueurs toutefois mais film important.

[7/10]

Convoi de femmes
7.8

Convoi de femmes (1951)

Westward the Women

1 h 55 min. Sortie : 30 janvier 1953 (France). Western, Drame, Aventure

Film de William A. Wellman

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 2 février ♦

Western très à part, sans penser forcément à son féminisme. En fait, l'originalité suprême du film de Wellman se situe, pour moi, à ce niveau-là : c'est un western "de femmes", mais il étonne par sa rudesse, son âpreté, sa violence, d'un degré très largement supérieur à bien des westerns masculins. Un caractère sans concessions qui détonne d'autant plus qu'à l'inverse de "L'Étrange Incident" par exemple, il se fond plus aisément dans une tradition hollywoodienne du western de série B. On n'y retrouve pas cette solennité cérémonieuse, cette ambition narrative qui mettait ce dernier à l'écart de la production mainstream. Il se démarque plus discrètement, pas moins brillamment. Entre autres, rares sont ces films qui rendent aussi bien à l'écran une telle galerie de personnages (un convoi de 150 femmes, vite réduit toutefois) sans donner ce sentiment d'être noyé dans une foule anonyme. Toutes ces femmes sont joliment caractérisées. Et mises en scène "à leur juste valeur", au travail, battantes, courageuses, jamais masculinisées, coquettes comme le sont les femmes, dignes comme le sont les femmes. De quoi oublier un argument de départ qui peut laisser dubitatif.

[8/10]

Une étoile est née
6.8

Une étoile est née (1937)

A Star Is Born

1 h 51 min. Sortie : 3 septembre 1937 (France). Drame

Film de William A. Wellman et Jack Conway

Jurassix a mis 6/10.

Annotation :

♦ Vu le 3 février ♦

Déçu par ce film matriciel, certes essentiel dans la construction d'une mythologie hollywoodienne, mais très convenu. Que son sujet ait été repris cinquante mille fois par la suite n'excuse pas tous les égarements d'un récit qui sacrifie la quasi-totalité de ses personnages secondaires, à peine introduits, sur l'autel d'une histoire alors beaucoup trop centrée sur son couple vedette. Chaque nouvelle étape que franchit Janet Gaynor semble annuler toutes les rencontres, tout ce qu'elle a appris des autres, qui ont permis son ascension. Sa famille ne tiendra plus aucune place dans le film une fois arrivée à Los Angeles (elle semble ne jamais penser à sa famille, ne jamais la regretter dans les moments difficiles), l'ami assistant réalisateur sans qui elle n'aurait jamais rencontré Norman Maine, est complètement mis en retrait dès ses premiers succès. Il est parfois à l'écran, mais n'accomplit rien, ne sert à rien, il est un parfait faire-valoir sans épaisseur. Un défaut qui s'applique à tout le film, plat et sans subtilités, sans profondeur. Restent de belles interprétations (Janet Gaynor dans un parlant en couleurs !) et le charme des productions de l'époque mais tout ceci est bien moindre face à l'aura du film aujourd'hui. À moins que ce ne soit plutôt le Cukor qui serve de référence absolue. À vérifier !

[6/10]

Une étoile est née
7.2

Une étoile est née (1954)

A Star Is Born

2 h 48 min. Sortie : 26 avril 1955 (France). Comédie musicale, Drame, Romance

Film de George Cukor

Jurassix a mis 6/10.

Annotation :

♦ Vu le 9 février ♦

Grand film raté car il échoue selon moi à s'émanciper du film original de Wellman (que je ne porte pas dans mon cœur). Tout était là pourtant et la première heure tient de belles promesses. Technicolor sublime, mise en scène fastueuse et lyrique comme le goûtent tant de grandes sagas mélodramatiques hollywoodiennes, interprétations de Mason et Garland très supérieures à leurs prédécesseurs March et Gaynor… et quelques (très) grandes scènes touchées par la grâce, profondément irréelles, car minutieusement sophistiquées, chorégraphiées, théâtralisées, et profondément justes dans l'émotion, vraie et pure à en pleurer, propre aux grands cinéastes. La scène de répétition au cabaret, la demande en mariage en deux temps, puis plus loin dans le film, Esther en coulisses qui pleure d'aimer son époux jusqu'à le haïr. Ces grands moments sont perdus dans un autre film, très professionnel et appliqué, mais qui décide inexplicablement à mi-parcours de littéralement calquer le film original de Wellman, (très) souvent à l'image, au rythme, et au dialogue près. La dernière heure en devient embarrassante, tant elle se résigne à tout emprunter froidement à un film déjà à mes yeux fort bancal. Et il souffre donc logiquement des mêmes défauts de narration. À croire que la version la plus achevée d'"A Star is Born" serait "Mulholland Drive", qui annule le récit classique avant l'accès à la gloire, le "rêve plus grand" de son étoile. Elle avait déjà tout perdu, le poids de ce qu'elle laissait derrière elle ne pouvait cette fois plus être éludé par un détour lâche de scénario.

[6,5/10]

A Star Is Born
6.5

A Star Is Born (2018)

2 h 15 min. Sortie : 3 octobre 2018. Drame, Romance, Musique

Film de Bradley Cooper

Jurassix a mis 5/10.

Annotation :

♦ Vu le 10 février ♦

En dehors des scènes de concert et quelques plans bien sentis (la première demi-heure de rencontre est très bien tournée), "A Star is Born" version Cooper manque de mise en scène, mais je pardonne pour une sobriété bienvenue dans l'écriture et l'interprétation des personnages. Autant, je doute de l'intérêt de jouer un Jackson Maine ivre H24 (vraiment), tant cela peine à rendre crédible les prémices de la relation amoureuse, mais Cooper n'insiste pas lourdement sur les travers de son addiction (les mauvaises langues parleront d'aseptisation). Contrairement aux versions Wellman et Cukor, Maine n'a qu'un seul visage, ivrogne, et les effets de l'alcoolisme ne modifient pas sa façon d'être avec ses proches. Ils le détruisent physiquement "seulement". Il en découle des relations de personnages assez intéressantes, entre Maine et son frère notamment (son manager, fusion entre le directeur de studio et le garde du corps des deux premiers films), qui donne les meilleurs passages du film, les plus beaux et inattendus. Une épaisseur qui manque au personnage de Lady Gaga, que je trouve plus commun et superflu, dans le parcours narratif. La dimension méta est curieuse mais le discours post-La La Land sur la dénaturation des talents musicaux par le système pop manque d'approfondissement pour vraiment convaincre. En fait, je trouve que Cooper élève l'actrice plus que l'inverse, contrairement à ce que laisse entendre l'avis général. Mais comme premier essai, c'est pas si mal, il y a des idées, j'attendrai son prochain film.

[5,5/10]

La Fin de Saint-Pétersbourg
7

La Fin de Saint-Pétersbourg (1927)

Koniets Santk-Petersbourga

1 h 25 min. Sortie : 13 décembre 1927 (Union Soviétique). Drame, Muet

Film de Vsevolod Poudovkine

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 16 février ♦

Je me suis dit que le film doit être très instructif pour quelqu'un (comme moi) qui connaît peu le cinéma soviétique, dans la mesure où il combine trois sujets phares de la production propagandiste des années 20. Les grèves dans les usines, les campagnes négligées par le pouvoir, la Révolution d'Octobre. Poudovkine envisageait sûrement son film sous cet angle éducatif d'ailleurs, sa sortie coïncidant avec le dixième anniversaire de la Révolution. Et comme "La Mère", il retrace le parcours mouvementé d'un jeune homme "comme les autres", sans idées et convictions politiques affirmées, amené à se réveiller, à réfléchir à sa condition, puis à celle du pays tout entier. L'atout des grands muets soviétiques est que l'idéologie défendue par les personnages est toujours soutenue par une mise en scène convaincue, qui s'applique à elle-même les principes vertueux transmis aux personnages. Une bienveillance sans limite envers les défavorisés, un soin de ne jamais isoler l'individu du collectif (quand bien même il n'y ait qu'un unique héros réellement traité), une foi inébranlable en la légitimité du combat. Les montages coup de poing qui mettent en parallèle l'impuissance des soldats envoyés au casse-pipe et les cours des actions de l'usine Lebedev sont redoutables d'efficacité.

[7/10]

Les Plus belles années de notre vie
7.8

Les Plus belles années de notre vie (1946)

The Best Years of Our Lives

2 h 52 min. Sortie : 3 octobre 1947 (France). Drame, Romance

Film de William Wyler

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 17 février ♦

Superbe film qui tient miraculeusement les trois heures sans tomber une seconde dans le pathos. On se demande comment il les tient d'ailleurs les trois heures. Un scénario compact, relativement classique et sans détours, sans étirement… On jurerait que le film atteint cette durée "par accident" tant rien ne l'annonce. Ou par nécessité plutôt, d'être fidèle aux personnages, de les accompagner au mieux dans leur réinsertion sociale. En s'appuyant sur trois personnages aux destins très différents (un sergent d'infanterie, père de famille bien rangé reprenant ses activités de banquier, un simple vendeur de limonades promu lieutenant pendant la guerre, un marin qui perdit ses deux mains au cours d'une bataille), le film met le doigt sur des choses très justes à propos de la réintégration difficile des vétérans américains. Des valeurs et un sens de la camaraderie, de l'entraide acquis sur le champ de bataille en décalage avec la froideur du monde professionnel, un rang, une certaine fierté du grade qui n'a plus cours une fois de retour au pays, un regard des autres sur les victimes psychologiques et physiques de la guerre profondément altéré… Un grand nombre de sujets traités avec subtilité et finesse, où jamais n'est omise la part de responsabilité des anciens combattants dans leur propre malheur. Scénario remarquable d'intelligence donc, bien servi par des acteurs merveilleux et une belle mise en scène.

[8/10]

Alita: Battle Angel
6.3

Alita: Battle Angel (2019)

2 h 02 min. Sortie : 13 février 2019 (France). Action, Science-fiction

Film de Robert Rodriguez

Jurassix a mis 6/10.

Annotation :

♦ Vu le 20 février ♦

Je pense le film assez raté en soi mais, présence de Cameron au scénario et à la production oblige, j'y trouve beaucoup de choses qui ont construit mes goûts cinéphiles. J'ai un rapport assez naïf voire insouciant à ce type de films, je suis très indulgent et je ne boude pas les quelques plaisirs que je peux en tirer. Parmi eux, le plaisir d'un récit pétri de (mauvais) clichés mais dont le premier degré indestructible, l'affection sincère pour ses personnages et la croyance sans failles en l'importance des enjeux arrivent à prendre en haleine. Pourtant, on le voit bien, Rodriguez n'a rien d'un grand cinéaste et se retrouve souvent dépassé par une "grande" histoire qu'il ne sait mettre en scène autrement qu'en "faisant comme". Une scène de baston dans un bar est tournée comme une simili-parodie de western, un match de motorball revient forcément à "Star Wars : Épisode I", une course-poursuite nocturne en ville entre cyborg et humain, hors-la-loi et chasseur de primes, convoque immédiatement "Blade Runner". Le systématisme référentiel s'associe à une série de réflexes dramatiques très simplistes (nette distinction entre scènes d'action et "scènes d'émotion"), qui rendent le film assez ronflant. Mais j'aime ces histoires un peu cucul, j'aime les "défauts" de la bouche d'Alita, qui donnent enfin un peu de naturel à la lisseur habituelle de la performance capture, j'aime le naturel désarmant avec lequel un humain peut aujourd'hui tomber amoureux d'une androïde, et l'embrasser sous la pluie. Ça me rappelle un autre classique, où l'histoire d'amour était moins évidente, et on se dit alors que du chemin a été parcouru depuis, qu'on continue de construire sur ses fondations, solides comme du béton armé.

[6/10]

Sur la piste des Mohawks
6.9

Sur la piste des Mohawks (1939)

Drums Along the Mohawk

1 h 44 min. Sortie : 30 novembre 1944 (France). Drame, Historique, Romance

Film de John Ford

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 22 février ♦

Pas aussi génial que les trois autres chefs d'œuvre fordiens tournés la même année ("Vers sa Destinée", "Le Chevauchée Fantastique" et "Les Raisins de la Colère", excusez du peu) mais passionnant car bourré d'imagination, jusque dans ses maladresses. D'une, je crois qu'il n'existait encore aucun western définitif ayant pour toile de fond la guerre d'indépendance américaine, de deux, il s'agit de la première expérience en couleurs du cinéma de John Ford. Largement de quoi stimuler l'imagination d'un des auteurs les plus féconds du cinéma américain. Si toutes les recherches de "Sur la piste des Mohawks" n'aboutissent pas, son ingéniosité paie. Ainsi, une bataille traumatisante est intégralement ellipsée et narrée par Henry Fonda en un très long plan fixe. La scène est un peu trop longue, Fonda est bon sans transcender, mais les idées inondent l'écran. Il en va de même pour ces étranges écarts comiques cassant gauchement le sérieux de quelques scènes tragiques (les guerriers indiens embêtés par la caractérielle Mrs McKlennar) ainsi que des moments mélodramatiques un poil boursouflés (Colbert ne convainc qu'à moitié). Mais sont à compter de très grands moments de mise en scène (le prêtre qui tue son ami pour abréger ses souffrances, la course-poursuite à pied de Fonda par trois Indiens) et un beau Technicolor.

[7/10]

Massacre à la tronçonneuse
7.2

Massacre à la tronçonneuse (1974)

The Texas Chain Saw Massacre

1 h 23 min. Sortie : 5 mai 1982 (France). Épouvante-Horreur

Film de Tobe Hooper

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 24 février ♦

Très largement au-dessus de sa réputation auprès du grand public, et très loin des slashers qui s'en inspireront par la suite. Le film m'a glacé le sang, ça faisait belle lurette que je n'avais pas redouté le moment d'éteindre les lumières, et me mettre au lit !... Bref, l'effroi provient du fait qu'on croit dur comme fer à une histoire pareille, aussi tarée soit-elle. Y est dépeint ce versant dégénéré de l'Amérique, celui qui a vu naître les Manson & Consort, celui qui est mis à l'écart, caché, terré quelque part dans l'immensité du territoire américain. Les psychopathes ont un travail, ils sont bouchers ou dirigent une station-service. Ce ne sont ni des monstres qui ont trait au genre fantastique, ni des êtres diaboliquement intelligents, mais de grands malades, gauches, balourds (la démarche bête et bourrine de Leatherface est effroyable), ignorés de la société car isolés, oubliés dans un trou perdu au beau milieu du Texas. Leur situation n'est pas exceptionnelle, chaque jour, à la radio, de nouvelles horreurs inexpliquées défilent, froidement, les unes après les autres. Et il faut un courage certain pour oser filmer ça, cette folie épouvantable, dont on entend tous parler mais qu'on ose un seul instant imaginer. Immense classique, excellemment réalisé de surcroit.

[8,5/10]

La Graine et le Mulet
7.1

La Graine et le Mulet (2007)

2 h 31 min. Sortie : 12 décembre 2007 (France). Drame

Film de Abdellatif Kechiche

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 25 février ♦

J’ai beaucoup aimé le film, pour son originalité, ses grandes scènes, le besoin qu’un cinéma comme celui-ci existe en France. Un cinéma qui donne la parole à une population marginalisée qu’on aurait tendance à regarder avec condescendance (en tout cas, je me sens concerné par les problématiques sociales que posent le film), qui les montre sans les juger, dans leurs (énormes) défauts comme dans leurs (énormes) qualités. Des qualités humaines principalement, les seules qui comptent. Il y a des personnages qu’on aime et d’autres qu’on déteste, mais d’aucuns ne pourraient leur reprocher de ne pas être eux-mêmes. C’est à mon avis aussi la limite du film. Le film est incarné, peut-être l’un des plus incarnés qui soit mais souffre aussi de baisses de rythme considérables du fait de notre désintéressement pour certaines séquences, certains personnages (les scènes de repas de la première heure m’ont un peu ennuyé). Il y a des scènes où je me sens très investi, d’autres qui me laissent complètement en retrait. Je me suis alors posé la question s’il n’y avait pas un problème à voir le Vrai absolu comme une fin en soi au cinéma, ce qui m’a tout l’air d’être une ligne de conduite de l’œuvre de Kechiche. Comme d’habitude, j’ai beaucoup de mal à parler d’un de ses films. Ils me font réfléchir mais impossible de mettre en mots ce que j’en pense, je me perds complètement. Passionnant au demeurant.

[8/10]

Green Book - Sur les routes du Sud
7.5

Green Book - Sur les routes du Sud (2018)

Green Book

2 h 10 min. Sortie : 23 janvier 2019 (France). Drame, Biopic, Road movie

Film de Peter Farrelly

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 26 février ♦

Très beau film qui s'attend à se faire taper dessus et qui s'en fiche. Farrelly n'entend pas réinventer le buddy movie antiraciste (si tant est qu'on puisse en parler comme un genre) comme Don Shirley n'entendait pas changer par sa seule action les mentalités ségrégationnistes du Sud profond américain. Nat King Cole était le pionnier, Shirley marche sur ses pas, sans aucune intention rebelle. Il apporte sa pierre à l'édifice, rappelle qu'un combat civique est à mener, dans le respect total de la législation américaine. L'humilité de l'approche, du projet, dédouane d'emblée le film de toute accusation d'être moralisateur, sermonneur, enfonceur de portes ouvertes, SJW etc... Tout un tas de reproches faciles qui de nos jours, sont tellement rabattus pour tout et n'importe quoi, à tort ou à raison, qu'ils ne veulent plus rien dire. "Green Book" fait ce qu'il a à faire, et il le fait bien, c'est-à-dire qu'il respecte fièrement un certain modèle capraesque très hollywoodien avec ce qu'il faut de valeur ajoutée pour ne pas en être prisonnier, pour ne pas sombrer dans l'académisme qui lui tendait si gentiment les bras. La valeur ajoutée, c'est ce duo d'acteurs formidable qui s'en donne à cœur joie (et les seconds rôles, j'adore la bonne bouille de Linda Cardellini), l'efficacité comique toute simple et pleine d'assurance de Farrelly, une écriture certes déjà vue depuis très longtemps, mais qui sait faire écho à notre présent sans ne jamais tomber dans la lourdeur démonstrative. Un film pour tout le monde, Oscar mérité.

[8/10]

Miracle en Alabama
7.9

Miracle en Alabama (1962)

The Miracle Worker

1 h 46 min. Sortie : 10 octobre 1962 (France). Biopic, Drame

Film de Arthur Penn

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 1er mars ♦

Rien d'étonnant à ce que "Miracle en Alabama" fut d'abord adapté par Arthur Penn, avec le même duo d'actrices pour le théâtre, tant le cloisonnement des personnages, la liberté d'action dans tout l'espace scénique, et l'assurance exceptionnelle des interprètes dans des rôles aussi compliqués (Patty Duke, la petite fille en particulier), trahissent un passif théâtral. En revanche, le film n'a rien du théâtre filmé, et gagne le spectateur à sa cause par des parti-pris de découpage radicaux et inattendus. On aurait tendance à fustiger de prime abord la quête de performance de mise en scène clairement affichée par le film mais elle se trouve ici pleinement appropriée au sujet, au travail acharné et surhumain auquel s'adonne corps et âme Anne Bancroft. Comptent en effet parmi les séquences les plus marquantes (il y en a beaucoup) ces très longs combats entre la "professeur" et son "élève" sourde-muette, incroyables d'intensité, de violence physique et psychologique, parfaitement rendus par un réalisateur qui ne craint pas d'aller trop loin, de faire trop long. Le courage et la persévérance du personnage d'Anne Bancroft n'auraient su être mieux traduits à l'écran. Et si je ne les avais pas retenues, le souffle mélodramatique sublimement hollywoodien du final auraient très bien pu me voler quelques larmes.

[8/10]

Péché mortel
7.4

Péché mortel (1945)

Leave Her to Heaven

1 h 50 min. Sortie : 9 juin 1947 (France). Drame

Film de John M. Stahl

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 3 mars ♦

Ce ne doit pas être le premier dans l’Histoire du cinéma mais j’ai été extrêmement surpris par le traitement jusqu’au-boutiste du personnage de la pourtant vedette Gene Tierney, anti-héroïne totale dont l’ambiguité ne cessera de croitre tout au long des deux heures de film. Hollywood n’entend pas sauver l’image angélique de son actrice, tout juste auréolée du succès de « Laura ». Au contraire, c’est tout le potentiel ensorcelant du visage froid et figé de Tierney qui inspire les créateurs. Pour elle, nous ferions tout. Nous avons tous succombé à ses charmes à la vue d’un simple tableau. Que serait-il advenu si Laura eût été mauvaise ? La question a du inspirer Stahl, qui s’efforce à rendre Tierney plus belle que jamais (yeux d’un bleu glacé, rouge à lèvres pétant, même après une matinée de natation). Pour autant, si Ellen est un monstre, elle l’est par faute d’aimer trop. C’est la tragédie d’un personnage écorché vif, à fleur de peau, jaloux et possessif, pitoyable plus que haïssable, comme le lui dit sa sœur. La scène de noyade est fantastique. Et on s’amusera à plaindre Vincent Price, second rôle largué une deuxième fois par Gene Tierney en deux ans.

[8/10]

Un grand voyage vers la nuit
7

Un grand voyage vers la nuit (2018)

Di qiu zui hou de ye wan

2 h 18 min. Sortie : 30 janvier 2019 (France). Drame, Film noir

Film de Bì Gàn

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 5 mars ♦

Film très brillant, trop diront certains, complètement fascinant et quelque part effrayant quant à la suite de la carrière de son très jeune réalisateur. Ce n'est que son deuxième film, il y répète la structure, nombre de thèmes, nombre de techniques déjà employés dans son premier film "Kaili Blues". Réalisateur très jeune et gourmand qui aimerait déjà, j'en suis persuadé, siéger aux côtés des grands cinéastes obsessionnels auxquels il se réfère abondamment : Tarkovski, WKW, Lynch, Hitchcock (Vertigo omniprésent ces dernières années en Asie, le film est un puits référentiel sans fond, qui traverse les générations comme aucun autre). Je reste prudent sur le cas Bi Gan, mais il est dur pour moi de résister au film, qui pousse très loin l'idée de rêve filmé. La première partie en forme de film noir retravaillé en souvenirs tarkovskiens intriguait, par la force de ses atmosphères, la beauté sulfureuse des lieux, des personnages mais la solennité des dialogues, la langueur lancinante d'un rythme un peu monotone pouvaient laisser songeur. Mais la deuxième partie est un rêve fantastique, l'une des représentations les plus pertinentes et hypnotisantes du rêve au cinéma, bien plus qu'un tour de force technique. On y revit des souvenirs douloureux sous de nouvelles formes, on perd du temps de manière absurde (une partie de ping-pong, une partie de billard), on effectue moult allers-retours, on maîtrise de bout en bout la marche et le rythme du récit (les obstacles peuvent être franchis en volant), on passe par tous les sentiments. Un plaisir du jeu, la terreur du revécu, la curiosité mêlée d'inquiétude d'errer en territoire inconnu, un amour enfin retrouvé, rendu possible par la tricherie pathétique du rêve. Belle partition de Lim Giong et grand rôle pour Tang Wei.

[8/10]

Les Éternels
6.8

Les Éternels (2018)

Jiang Hu Er Nu

2 h 15 min. Sortie : 27 février 2019 (France). Drame, Romance, Film noir

Film de Jiǎ Zhāng-Kē

Jurassix a mis 8/10.

Annotation :

♦ Vu le 9 mars ♦

J'étais déjà vendu au générique d'ouverture. Jia et moi partageons une cinéphilie très proche et le voir systématiquement réengager les mêmes citations de films que je chéris, quel que soit le sujet, m'enchante au plus haut point. C'est la quatrième fois que la bande-son de "The Killer" revient dans son cinéma. Autrefois, c'était à la radio, et à distance, parmi tous les bruits parasites d'une ville grouillante, empressée, qui ne prend le temps de tendre l'oreille et d'écouter. Aujourd'hui, le cinéma de Jia Zhangke a pris un virage résolument mélodramatique, au plus près de ses personnages sacrifiés, ambigus mais droits et loyaux en toutes circonstances, en décalage avec leur époque. C'est donc naturellement que la chanson de Sally Yeh devient extradiégétique, lumière à la fois sur le sujet du film, la nature de son héroïne, l'héritage cinématographique mis en jeu, et l'évolution d'une œuvre littéralement vivante, dans la mesure où décors, personnages, objets et musiques y ont leur vie propre. On y revisite les Trois Gorges, on y recroise des OVNIs, on y retrouve une architecture narrative bien connue (les ellipses de "Au-delà des Montagnes" qui permettaient de basculer d'un genre à l'autre)... C'est un cinéma en mutation, où tout bouge autour des personnages, tout se reconfigure. Et un cinéma qui je crois, n'a jamais été aussi juste et aussi beau. Convaincu à présent de l'importance de Jia aujourd'hui.

[8/10]

Le Village du péché
6.8

Le Village du péché (1927)

Baby ryazanskie

1 h 28 min. Sortie : 13 décembre 1927 (Union Soviétique). Drame, Muet

Film de Olga Preobrazhenskaya et Ivan Pravov

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 17 mars ♦

Pas le grand film attendu, la faute à un pathos, lui, attendu, à un récit qui coche toutes les cases du mélodrame "de martyrs". La mécanique risque souvent de s'enrayer mais résiste grâce à la fraicheur du cadre, la fougue de quelques montages importants (les scènes de fête, le suicide, les ellipses...) qui rappelle qu'on n'a probablement jamais autant expérimenté les formes du cinéma qu'à la fin des années 20. Des audaces qui apportent un lyrisme original. La bande-son pèse également beaucoup dans mon appréciation, des chants féminins traditionnels du village Ryazan ont en effet été intégrés bien après la sortie du film. Ils intensifient un peu plus le trait le plus mémorable de l'œuvre, son charme rural, qui ne trompe pas, ne triche pas. On voit les paysans au travail, on voit les acteurs et actrices au travail, bêche à la main, retournant la terre, attendant la moisson. Le témoignage d'une population, d'un mode de vie à part et peu filmé. Idée plus importante aux yeux de la réalisatrice (et son partenaire) je crois, que le féminisme qu'on lui attribue le plus souvent.

[7/10]

Tendres passions
6.9

Tendres passions (1983)

Terms of Endearment

2 h 12 min. Sortie : 4 avril 1984 (France). Comédie dramatique

Film de James L. Brooks

Jurassix a mis 6/10.

Annotation :

♦ Vu le 24 mars ♦

Très franchement, j'aurais été bien plus indulgent sans la bande originale mielleuse, insipide et la lumière chromée, complètement soap. C'est un leurre pourtant, "Tendres Passions" n'a du feuilleton télévisé américain que les atours. C'est du mélo, aux airs sirupeux certes, mais infiniment plus subtil et fin, juste dans l'écriture et la mise en scène. Brooks croit suffisamment en l'intelligence du public pour ne pas lui dire quoi penser. Les personnages, tous (ou presque) plus ou moins pécheurs aux yeux de la bienpensance hollywoodienne, ne sont pas seulement dispensés du procès que leur ferait n'importe quel autre cinéaste plus "traditionnel", mais aussi et surtout déchargés du devoir d'avoir à justifier leurs fautes. Ils n'ont pas besoin d'être pardonnés du public, ils sont tels qu'ils sont, ils sont tels que nous sommes, ou pouvons être, tous. Ils ne nous doivent rien. Le geste de Brooks est malheureusement quelque peu amoindri par des maladresses à d'autres niveaux. Beaucoup trop prompt à rompre avec un mélodrame plus académique, son film, embarrassé d'aucun tabou, parle très naturellement de sexe, de sexe et de sexe. Envahissant, ce naturel, toujours approprié à la scène prise individuellement, finit immanquablement par se retourner contre lui. Le dommage collatéral d'un récit en (très grosses) ellipses qui revient toujours aux mêmes sujets, au point de lasser franchement. Acteurs fabuleux et film loin d'être insignifiant toutefois.

[6,5/10]

L'Enfer blanc du Piz Palü
7.5

L'Enfer blanc du Piz Palü (1929)

Die weiße Hölle vom Piz Palü

2 h 30 min. Sortie : 2 décembre 1929 (France). Action, Aventure, Drame

Film de Arnold Fanck et Georg Wilhelm Pabst

Jurassix a mis 7/10.

Annotation :

♦ Vu le 28 mars ♦

L'histoire ne m'a pas passionné, et traîne même un peu. Disons que le scénario, à mon avis, tient difficilement les deux heures. Mais le tout est réhaussé par cette mise en images incroyable du Piz Palu, organique comme y parviennent peu de films encore aujourd'hui. La montagne vit, elle expire quand il vente, elle transpire par la fonte des stalactites, elle s'anime quand les avalanches remodèlent le paysage. Et elle mange, avale les créatures qui l'approchent de trop près. Les images d'Arnold Franck ont cette qualité exceptionnelle de donner vie à la montagne sans ne rien maquiller. Tout est authentique. À l'exception notable de ce superbe plan où l'épouse du docteur Krafft, décédée des suites d'une chute dans une crevasse, se fond avec l'environnement par le "gel" du photogramme. Dommage que le film prenne un virage spectaculaire certes saisissant, mais qui s'intéresse peu aux personnages, ne les fait plus évoluer (avant le final). De là vient cette impression d'un film en pleine ascension qui, comme les trois protagonistes, se retrouve bloqué, piégé par la montagne, incapable d'avancer. La séquence nocturne des sauveteurs arpentant le Piz Palu à la recherche de nos héros, est elle aussi inoubliable. Mais j'aurais aimé être plus impliqué émotionnellement.

[7/10]

Jurassix

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