DENIS Claire - Critiques & Annotations

Annotation :

Avec "Chocolat", Claire Denis a d'abord voulu retranscrire les réminiscences de souvenirs intimes d'une femme retournant où elle a vécu lors de son enfance. Le récit se déroule au Cameroun, pendant la colonisation, endroit et époque où la cinéaste a elle-même vécu. C'est donc un regard de l'enfance sur la colonisation, comme l'indique le titre du film : Chocolat, qui veut dire « être marron » et plus précisément « se faire avoir », mais c’est une colonisation finissante, à l'aube de l'indépendance du pays. Cela, la cinéaste le filme sans jugement ni moralisation, car elle préfère que les images parlent d'elles-mêmes dans une mise en scène privilégiant les non-dits, les visages et l'abstraction.

La cinéaste ouvre déjà son territoire à l'Autre et ancre son récit dans une contrée lointaine en s'appliquant à capter les détails sensoriels des paysages qui défilent sous le regard de la petite fille tout en le liant avec la relation complice entre cette dernière et le boy de la maison, Protée. L'auteur montre l'amitié étrange mais réjouissante entre ces deux personnages : France est une fille malicieuse et curieuse, mais qui s'ennuie et qui est mise en dehors du regard historiquement dur de la colonisation. Protée est un homme placide, calme et ne se plaignant pas de son exploitation, même si la cinéaste fait ressentir ce manque d'horizon pour lui. On sait que quelque chose n'est pas normal dans tout ce quotidien, mais cela n'est jamais présenté avec un regard dirigé ou un doigt pointé. L'horizon est d'ailleurs défini dans le film comme une ligne n'existant pas car elle fuit toujours en avant à mesure qu'on essaie de l'atteindre, comme cet avion qui se perd dans un horizon bouché.

Ainsi, tout est très ouvert, comme la maison et la véranda, mais la cinéaste crée un paradoxe en exposant des personnages qui sont enfermés dans leur monde et cloisonnés dans leur territoire. À l'image également des relations étroitement proches des maîtres et des serviteurs, mais paradoxalement toujours séparés, créant des frustrations intérieures et des espoirs désenchantés. Dès lors, la réalisatrice interroge déjà ces rapports au corps où se secrète un désir langoureux (entre Protée et la mère de France notamment), mais contenu dans une œuvre dont la beauté hypnotique, la douceur mélancolique, la chaleur dynamique des couleurs et la réalisation à fleur de peau se connectent avec la prise de conscience d'un homme gardant sa dignité dans le silence.