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60 livres

créee il y a environ 10 ans · modifiée il y a 4 mois

Poésies complètes
8.5

Poésies complètes (1895)

Sortie : 1895 (France). Poésie

livre de Arthur Rimbaud

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

GENIE

Il est l'affection et le présent puisqu'il a fait la maison ouverte à l'hiver écumeux et à la rumeur de l'été — lui qui a purifié les boissons et les aliments — lui qui est le charme des lieux fuyant et le délice surhumain des stations. — Il est l'affection et l'avenir, la force et l'amour que nous, debout dans les rages et les ennuis, nous voyons passer dans le ciel de tempête et les drapeaux d'extase.
Il est l'amour, mesure parfaite et réinventée, raison merveilleuse et imprévue, et l'éternité : machine aimée des qualités fatales. Nous avons tous eu l'épouvante de sa concession et de la nôtre : ô jouissance de notre santé, élan de nos facultés, affection égoïste et passion pour lui, — lui qui nous aime pour sa vie infinie...
Et nous nous le rappelons et il voyage... Et si l'Adoration s'en va, sonne, sa Promesse, sonne : "Arrière ces superstitions, ces anciens corps, ces ménages et ces âges. C'est cette époque-ci qui a sombré !"
Il ne s'en ira pas, il ne redescendra pas d'un ciel, il n'accomplira pas la rédemption des colères de femmes et des gaîtés des hommes et de tout ce pêché : car c'est fait, lui étant, et étant aimé.
Ô ses souffles, ses têtes, ses courses ; la terrible célérité de la perfection des formes et de l'action.
Ô fécondité de l'esprit et immensité de l'univers !
Son corps ! Le dégagement rêvé, le brisement de la grâce croisée de violence nouvelle !
Sa vue, sa vue ! tous les agenouillages anciens et les peines relevés à sa suite.
Son jour ! l'abolition de toutes souffrances sonores et mouvantes dans la musique plus intense.
Son pas ! les migrations plus énormes que les anciennes invasions.
Ô Lui et nous ! l'orgueil plus bienveillant que les charités perdues.
Ô monde ! — et le chant clair des malheurs nouveaux !
Il nous a connus tous et nous a tous aimés, sachons, cette nuit d'hiver, de cap en cap, du pôle tumultueux au château, de la foule à la plage, de regards en regards, forces et sentiments las, le héler et le voir, et le renvoyer, et sous les marées et au haut des déserts de neige, suivre ses vues, — ses souffles — son corps, — son jour.

Les Chants de Maldoror
8.2

Les Chants de Maldoror (1869)

Sortie : 1869 (France). Poésie

livre de Comte de Lautréamont (Isidore Ducasse)

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

CHANT I, § 13

( ... ) Vieil océan, ta forme harmonieusement sphérique, qui réjouit la face grave de la géométrie, ne me rappelle que trop les petits yeux de l'homme, pareils à ceux du sanglier pour la petitesse, et à ceux des oiseaux de nuit pour la perfection circulaire du contour. Cependant, l'homme s'est cru beau dans tous les siècles. Moi, je suppose plutôt que l'homme ne croît à sa beauté que par amour-propre ; mais, qu'il n'est pas beau réellement et qu'il s'en doute ; car, pourquoi regarde-t-il la figure de son semblable avec tant de mépris ? Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, tu es le symbole de l'identité : toujours égal à toi-même. Tu ne varies pas d'une manière essentielle, et, si tes vagues sont quelque part en furie, plus loin, dans quelque autre zone, elles sont dans le calme le plus complet. Tu n'es pas comme l'homme, qui s'arrête dans la rue, pour voir deux bouledogues s'empoigner au cou, mais, qui ne s'arrête pas, quand un enterrement passe ; qui est ce matin accessible et ce soir de mauvaise humeur ; qui rit aujourd'hui et pleure demain. Je te salue, vieil océan !

Vieil océan, il n'y aurait rien d'impossible à ce que tu caches dans ton sein de futures utilités pour l'homme. Tu lui as déjà donné la baleine. Tu ne laisses pas facilement deviner aux yeux avides de sciences naturelles les mille secrets de ton intime organisation : tu es modeste. L'homme se vante sans cesse, et pour des minuties. Je te salue, vieil océan ! ( ... )

Vision et Prière
8

Vision et Prière

Sortie : mai 1991 (France). Poésie

livre de Dylan Thomas

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

N’entre pas docilement dans cette douce nuit,
Le vieil âge doit trembler, tempêter, au déclin du jour ;
Hurle, hurle, à l’agonie de la lumière.

Même si les sages, sentant la fin, savent que les ténèbres sont justes,
Car leurs mots n’ont pas forgé de foudre,
Ils n’entrent pas docilement dans cette douce nuit.

Les bons, près de la vague ultime, qui déplorent
Que leurs vies frêles eurent pu danser en verte baie,
Hurlent, hurlent, à l’agonie de la lumière.

Les fou qui prirent et chantèrent le soleil en plein vol,
Et conscients, trop tard, d’avoir bridé sa course,
N’entrent pas docilement dans cette douce nuit.

Les justes, agonisants, qui voient d’un œil aveugle
Qu’un œil aveugle peut briller, gai météore,
Hurlent, hurlent, à l’agonie de la lumière.

Et toi, mon père, là, sur ces tristes hauteurs,
Maudis-moi, bénis-moi de pleurs durs, je le veux !
N’entre pas docilement dans cette douce nuit,
Mais hurle, hurle, à l’agonie de la lumière.


(Trad. perso.)

Les Fleurs du mal
8.2

Les Fleurs du mal (1857)

Sortie : 25 juin 1857. Poésie

livre de Charles Baudelaire

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

LE VOYAGE

VII

Amer savoir, celui qu’on tire du voyage !
Le monde, monotone et petit, aujourd’hui,
Hier, demain, toujours, nous fait voir notre image :
Une oasis d’horreur dans un désert d’ennui !

Faut-il partir ? rester ? Si tu peux rester, reste ;
Pars, s’il le faut. L’un court, et l’autre se tapit
Pour tromper l’ennemi vigilant et funeste,
Le Temps ! Il est, hélas ! des coureurs sans répit,

Comme le Juif errant et comme les apôtres,
À qui rien ne suffit, ni wagon ni vaisseau,
Pour fuir ce rétiaire infâme : il en est d’autres
Qui savent le tuer sans quitter leur berceau.

Lorsque enfin il mettra le pied sur notre échine,
Nous pourrons espérer et crier : En avant !
De même qu’autrefois nous partions pour la Chine,
Les yeux fixés au large et les cheveux au vent,

Nous nous embarquerons sur la mer des Ténèbres
Avec le cœur joyeux d’un jeune passager.
Entendez-vous ces voix, charmantes et funèbres,
Qui chantent : « Par ici ! vous qui voulez manger

Le Lotus parfumé ! c’est ici qu’on vendange
Les fruits miraculeux dont votre cœur a faim ;
Venez vous enivrer de la douceur étrange
De cette après-midi qui n’a jamais de fin ! »

À l’accent familier nous devinons le spectre ;
Nos Pylades là-bas tendent leurs bras vers nous."
« Pour rafraîchir ton cœur nage vers ton Électre ! »
Dit celle dont jadis nous baisions les genoux.

VIII

Ô Mort, vieux capitaine, il est temps ! levons l’ancre !
Ce pays nous ennuie, ô Mort ! Appareillons !
Si le ciel et la mer sont noirs comme de l’encre,
Nos cœurs que tu connais sont remplis de rayons !

Verse-nous ton poison pour qu’il nous réconforte !
Nous voulons, tant ce feu nous brûle le cerveau,
Plonger au fond du gouffre, Enfer ou Ciel, qu’importe ?
Au fond de l’Inconnu pour trouver du nouveau !

Les Elégies de Duino suivi de Les Sonnets à Orphée
8.6

Les Elégies de Duino suivi de Les Sonnets à Orphée

Sortie : 2006 (France). Poésie

livre de Rainer Maria Rilke

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

SONNETS A ORPHÉE, V

N'érigez aucun monument. Laissez la rose
simplement chaque année éclore en sa faveur.
Car c'est cela, Orphée. Et sa métamorphose
en ci et ça. Ne nous donnons pas cette peine

de chercher d'autres noms. C'est qu'une fois pour toutes,
quand cela chante, c'est Orphée. Il va et vient.
N’est-ce donc pas déjà beaucoup, parfois, qu’il puisse
aux roses dans leur vase un jour ou deux survivre ?

Ô qu’il lui faut partir, puissiez-vous le comprendre !
Et partir serait-il pour lui-même une angoisse.
Être ici, sa parole en prend mesure encore

qu’il est déjà là-bas, où vous ne pouvez suivre.
Aux grilles de la lyre il n’a pas les mains liées.
Et c’est ainsi qu’il obéit, en passant outre.

De la mort sans exagérer
7.7

De la mort sans exagérer

O śmierci bez przesady

Sortie : 1996 (France). Poésie

livre de Wislawa Szymborska

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

PROLOGUE POUR UNE COMEDIE

Il se fabriqua un violon en verre car il voulait voir la musique. Il tira son canot jusqu’au sommet de la montagne, et attendit que la mer vienne à lui. La nuit, il plongeait dans l’itinéraire des chemins de fer ; les terminus le faisaient pleurer d’émotion. Il cultivait des roses avec un z. Il écrivit un poème pour la repousse des cheveux, et un autre idem. Il brisa l’horloge du beffroi pour stopper à jamais la chute des feuilles. Dans un pot de géranium il voulut fonder une cité. Il avance, la Terre au pied, souriant, pas à pas, comme deux et deux font deux –heureux. On lui dit qu’il n’existait pas et, ne pouvant mourir de chagrin, il lui fallut naître. Il doit bien vivre quelque part, battre des paupières et grandir. A la bonne heure ! Il était temps ! Notre Maîtresse Miséricordieuse, la Machine Douce et Sapiente, pour son pieux divertissement et sa candide consolation bientôt d’un bouffon besoin aura.

Épreuves, exorcismes
8.1

Épreuves, exorcismes (1946)

1940-1944

Sortie : 1946 (France). Poésie

livre de Henri Michaux

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

LA MER

Ce que je sais, ce qui est mien, c'est la mer indéfinie.
A vingt et un an, je m'évadai de la vie des villes, m'engageai, fus marin. Il y avait des travaux à bord. J'étais étonné. J'avais pensé que sur un bateau on regardait la mer, qu'on regardait sans fin la mer.
Les bateaux furent désarmés. C'était le chômage des gens de mer qui commençait.
Tournant le dos, je partis, je ne dis rien, j'avais la mer en moi, la mer éternellement autour de moi.
Quelle mer ? Voilà ce que je serais bien empêché de préciser.

La terre nous est étroite
7.9

La terre nous est étroite

et autres poèmes

Poésie

livre de Mahmoud Darwich

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

ÉTAT DE SIÈGE

Ici, aux pentes des collines, face au crépuscule et au canon du temps
Près des jardins aux ombres brisées,
Nous faisons ce que font les prisonniers,
Ce que font les chômeurs :
Nous cultivons l’espoir.
* * *
Un pays qui s’apprête à l’aube. Nous devenons moins intelligents
Car nous épions l’heure de la victoire :
Pas de nuit dans notre nuit illuminée par le pilonnage.
Nos ennemis veillent et nos ennemis allument pour nous la lumière
Dans l’obscurité des caves.
* * *
Ici, nul « moi ».
Ici, Adam se souvient de la poussière de son argile.
* * *
Au bord de la mort, il dit :
Il ne me reste plus de trace à perdre :
Libre je suis tout près de ma liberté. Mon futur est dans ma main.
Bientôt je pénètrerai ma vie,
Je naîtrai libre, sans parents,
Et je choisirai pour mon nom des lettres d’azur...
* * *
Ici, aux montées de la fumée, sur les marches de la maison,
Pas de temps pour le temps.
Nous faisons comme ceux qui s’élèvent vers Dieu :
Nous oublions la douleur.
* * *
Rien ici n’a d’écho homérique.
Les mythes frappent à nos portes, au besoin.
Rien n’a d’écho homérique. Ici, un général
Fouille à la recherche d’un Etat endormi
Sous les ruines d’une Troie à venir.
* * *
Vous qui vous dressez sur les seuils, entrez,
Buvez avec nous le café arabe
Vous ressentiriez que vous êtes hommes comme nous
Vous qui vous dressez sur les seuils des maisons
Sortez de nos matins,
Nous serons rassurés d’être
Des hommes comme vous !
* * *
Quand disparaissent les avions, s’envolent les colombes
Blanches blanches, elles lavent la joue du ciel
Avec des ailes libres, elles reprennent l’éclat et la possession
De l’éther et du jeu. Plus haut, plus haut s’envolent
Les colombes, blanches blanches. Ah si le ciel
Etait réel [m’a dit un homme passant entre deux bombes]
* * *
Les cyprès, derrière les soldats, des minarets protégeant
Le ciel de l’affaissement. Derrière la haie de fer
Des soldats pissent - sous la garde d’un char -
Et le jour automnal achève sa promenade d’or dans
Une rue vaste telle une église après la messe dominicale...
* * *
[A un tueur] Si tu avais contemplé le visage de la victime
Et réfléchi, tu te serais souvenu de ta mère dans la chambre
A gaz, tu te serais libéré de la raison du fusil
Et tu aurais changé d’avis : ce n’est pas ainsi qu’on retrouve une identité.
* * *
Le brouillard est ténèbres, ténèbres denses blanches
Epluchées par l’orange et la femme pleine de promesses.
* * *
Le siège est attente
Attente sur une échelle inclinée au milieu de la tempête.
(...)

Baltiques
7.2

Baltiques

Baltiques. Œuvres complètes 1954-2004

Sortie : juillet 1985 (France). Poésie

livre de Tomas Tranströmer

Clément Nosferalis a mis 10/10 et a écrit une critique.

Annotation :

FACE À FACE

En février, la vie était à l’arrêt.
Les oiseaux volaient à contrecœur et l’âme
raclait le paysage comme un bateau
se frotte au ponton où on l’a amarré.

Les arbres avaient tourné le dos de ce côté.
L’épaisseur de la neige se mesurait aux herbes mortes.
Les traces de pas vieillissaient sur les congères.
Et sous une bâche, le verbe s’étiolait.

Un jour, quelque chose s’approcha de la fenêtre.
Le travail s’arrêta, je levai le regard.
Les couleurs irradiaient. Tout se retournait.
Nous bondîmes l’un vers l’autre, le sol et moi.

Sonnets et stances de la mort
9.3

Sonnets et stances de la mort (1588)

Essai de quelques poèmes chrétiens

Sortie : 1588 (France). Poésie

livre de Jean de Sponde

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

XII Tout s'enfle contre moy

Tout s'enfle contre moy, tout m'assaut, tout me tente,
Et le Monde, et la Chair, et l'Ange révolté,
Dont l'onde, dont l'effort, dont le charme inventé
Et m'abisme, Seigneur, et m'esbranle, et m'enchante.

Quelle nef, quel appuy, quelle oreille dormante,
Sans péril, sans tomber, et sans estre enchanté,
Me donras-tu? Ton Temple où vit ta Saincteté,
Ton invincible main, et ta voix si constante ?

Et quoy ? Mon Dieu, je sens combattre maintesfois
Encor avec ton Temple, et ta main, et ta voix,
Cest Ange revolté, ceste Chair, et ce Monde.

Mais ton Temple pourtant, ta main, ta voix sera
La nef, l'appuy, l'oreille, où ce charme perdra,
Où mourra cest effort, où se rompra ceste onde.

Sable mouvant
7.8

Sable mouvant (1966)

Sortie : 1966 (France). Poésie

livre de Pierre Reverdy

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

SABLE MOUVANT

Cheval perdu dans l'air
Après la cavalcade
Mirages du désert
Oasis ou cascade

Je suis sorti du port
Par un étroit passage
Et je rentre a la mort
Démuni de bagage

D'un regard clair et sec
J'observe la dislocation de la parade
La débâcle
La débandade
des troupeaux fauves dans les bois

Je m'étais engagé beaucoup trop loin déjà
Dans les méandres de ce sinistre labyrinthe
Plein de broussailles et d'épines
D'arêtes de poissons
De débris de cantines
D'écailles de chansons

De fabuleux décombres
Et plus que tout
Au delà des cloisons
Après le tremblement de terre
Pour pouvoir espérer retirer mon épingle du jeu

Ce n'était pas un jeu

(...)

Alors
Je prie le ciel
Que nul ne me regarde
Si ce n’est au travers d’un verre d’illusion
Retenant seulement
Sur l’écran glacé d’un horizon qui boude
Ce fin profil de fil de fer amer
Si délicatement délavé
Par l’eau qui coule
Les larmes de rosée
Les gouttes de soleil
Les embruns de la mer

Poésies
8

Poésies (1899)

Sortie : 1899 (France). Poésie

livre de Stéphane Mallarmé

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

OUVERTURE ANCIENNE D'HERODIADE

Abolie, et son aile affreuse dans les larmes
Du bassin, aboli, qui mire les alarmes,
Des ors nus fustigeant l’espace cramoisi,
Une Aurore a, plumage héraldique, choisi
Notre tour cinéraire et sacrificatrice,
Lourde tombe qu’a fuie un bel oiseau, caprice
Solitaire d’aurore au vain plumage noir…
Ah ! des pays déchus et tristes le manoir !
Pas de clapotement ! L’eau morne se résigne,
Que ne visite plus la plume ni le cygne
Inoubliable : l’eau reflète l’abandon
De l’automne éteignant en elle son brandon :
Du cygne quand parmi le pâle mausolée
Ou la plume plongea la tête, désolée
Par le diamant pur de quelque étoile, mais
Antérieure, qui ne scintilla jamais.

Crime ! bûcher ! aurore ancienne ! supplice !
Pourpre d’un ciel ! Étang de la pourpre complice !
Et sur les incarnats, grand ouvert, ce vitrail.

La chambre singulière en un cadre, attirail
De siècles belliqueux, orfèvrerie éteinte,
À le neigeux jadis pour ancienne teinte,
Et sa tapisserie, au lustre nacré, plis
Inutiles avec les yeux ensevelis
De sibylles offrant leur ongle vieil aux Mages.
Une d’elles, avec un passé de ramages
Sur ma robe blanchie en l’ivoire fermé
Au ciel d’oiseaux parmi l’argent noir parsemé,
Semble, de vols partis costumée et fantôme,
Un arôme qui porte, ô roses ! un arôme,
Loin du lit vide qu’un cierge soufflé cachait,
Un arôme d’ors froids rôdant sur le sachet,
Une touffe de fleurs parjures à la lune
(À la cire expirée encor s’effeuille l’une),
De qui le long regret et les tiges de qui
Trempent en un seul verre à l’éclat alangui…
Une Aurore traînait ses ailes dans les larmes !

(...)

Poésies
7.6

Poésies (1929)

Sortie : 1929 (France). Poésie

livre de Paul Valéry

Clément Nosferalis a mis 5/10.

Annotation :

AIR DE SEMIRAMIS

(...)

... « Existe !... Sois enfin toi-même ! dit l’Aurore,
Ô grande âme, il est temps que tu formes un corps !
Hâte-toi de choisir un jour digne d’éclore,
Parmi tant d’autres feux, les immortels trésors !

Déjà, contre la nuit lutte l’âpre trompette !
Une lèvre vivante attaque l’air glacé ;
L’or pur, de tout en tour, éclate et se répète,
Rappelant tout l’espace aux splendeurs du passé !

Remonte aux vrais regards ! Tire-toi de tes ombres,
Et comme du nageur, dans le plein de la mer,
Le talon tout-puissant l’expulse des eaux sombres,
Toi, frappe au fond de l’être ! Interpelle ta chair,

Traverse sans retard ses invisibles trames,
Épuise l’infini de l’effort impuissant,
Et débarasse-toi d’un désordre de drames
Qu’engendrent sur ton lit les monstres de ton sang !

J’accours de l’Orient suffire à ton caprice !
Et je te viens offrir mes plus purs aliments ;
Que d’espcae et de vent ta flamme se nourrisse !
Viens te joindee à l’éclat de mes pressentiments ! »

(...)

Insomnie
8.2

Insomnie

et autres poèmes

Sortie : 27 mai 2011 (France). Poésie

livre de Marina Tsvétaïeva

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

INSOMNIE

(...)

J'aime embrasser
les mains, et j'aime
distribuer des noms,
les portes,
- toutes grandes - sur la nuit sombre

La tête entre les mains,
écouter un pas lourd
quelque part diminuer,
et le vent balancer
la forêt
en sommeil, sans sommeil.

Ah, nuit !
Quelque part des sources courent,
je glisse vers le sommeil.
Je dors presque.

Quelque part dans la nuit
Un homme se noie

(...)

Ah les mains toutes les mains je les baise
les noms je les sème partout
Les portes, les portes immenses
je leur fais rendre gorges ouvertes
sur le sombre de la nuit

Un pas inquiétant et lourd
passe dans ma tête entre mes mains,
il s’en va ailleurs de plus en plus lointain,
le vent qui bascule la forêt
je l’entends
sommeil trouvé, sommeil perdu.

Ah la nuit !
Bien au loin des sources s’éparpillent,
je coule doucement vers le sommeil.
Presque dans le sommeil.
Bien au loin au fond de la nuit
Un homme se noie.

(...)

Requiem · Poème sans héros
7.7

Requiem · Poème sans héros

et autres poèmes

Sortie : janvier 2007 (France). Poésie

livre de Anna Akhmatova

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

REQUIEM

5
Depuis dix-huit mois je hurle : reviens !
reviens à la maison.
Je rampe aux pieds des assassins,
mon effroi, mon garçon.
Tout s'embrouille sans rémission
et je ne sais plus trop
qui est un fauve qui est un homme,
Quand viendra le bourreau.
Il n'y a que des fleurs qui fanent,
l'odeur d'encens, des pas qui mènent ailleurs,
vers le néant.
Et sans répit me dévisage,
et de mort brandit le présage
une étoile géante.
(1939)

8 LA MORT
Tôt ou tard tu viendras- pourquoi pas maintenant ?
Je suis en grand malheur et je t'appelle.
ma lumière est éteinte, mon portrait est béant
- Pour toi si simple et si belle.
Tu peux prendre la forme qui te convient :
flèche empoisonnée, trouant le vide,
bandit, assomme-moi sur le chemin.
Emporte-moi fièvre typhoïde.
Ou bien encore - ta belle invention,
pour tous, à en vomir, banale ;
Qu'un képi bleu entre dans ma maison,
guidé par le concierge pâle.
A Tout m'est égal. Ienisseï bouillonnant,
L'étoile polaire brille sur moi.
Et l'éclat bleu des yeux que j'aime tant
se voile d'un ultime effroi. (19 août 1939 Leningrad)

ÉPILOGUE
Et j'ai appris l'affaissement des visages,
la crainte qui sous les paupières danse,
les signes cunéiformes des pages
que dans les joues burine la souffrance ;
les boucles brunes, les boucles dorées
soudain devenir boucles d'argent grises,
faner le sourire aux lèvres soumises,
et dans le rire sec la peur trembler.
Et ma prière n'est pas pour moi seule,
Mais pour tous ceux qui attendaient comme moi
dans la nuit froide et dans la chaleur
sous le mur rouge, sous le mur d'effroi. (1940)

Amers
8.2

Amers (1957)

Sortie : 1957 (France). Poésie

livre de Saint-John Perse

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

ÉTROITS SONT LES VAISSEAUX

" ... Mes dents sont pures sous ta langue. Tu pèses sur mon cœur et gouvernes mes membres. Maître du lit, ô mon amour, comme le Maître du navire. Douce la barre à la pression du Maître, douce la vague en sa puissance. Et c'est une autre, en moi, qui geint avec le gréement... Une même vague par le monde, une même vague jusqu'à nous, au très lointain du monde et de son âge... Et tant de houle, et de partout, qui monte et fraye jusqu'en nous...

" Ah! ne me soyez pas un maître dur par le silence et par l'absence : pilote très habile, trop soucieux amant Ayez, ayez de moi plus que don de vous-même. Aimant, n'aimerez-vous aussi d'être l'aimé ?... J'ai crainte, et l'inquiétude habite sous mon sein. Parfois, le cœur de l'homme au loin s'égare, et sous l'arc de son oeil il y a, comme aux grandes arches solitaires, ce très grand pan de Mer debout aux portes du Désert...

" Ô toi hanté, comme la mer, de choses lointaines et majeures, j'ai vu tes sourcils joints tendre plus loin que femme. La nuit où tu navigues n'aura-t-elle point son île, son rivage ? Qui donc en toi toujours s'aliène et se renie ? - Mais non, tu as souri, c'est toi, tu viens à mon visage, avec toute cette grande clarté d'ombrage comme d'un grand destin en marche sur les eaux (ô mer soudain frappée d'éclat entre ses grandes emblavures de limon jaune et vert!). Et moi, couchée sur mon flanc droit, j'entends battre ton sang nomade contre ma gorge de femme nue.

" Tu es là, mon amour, et je n'ai lieu qu'en toi. J'élèverai vers toi la source de mon être, et t'ouvrirai ma nuit de femme, plus claire que ta nuit d'homme; et la grandeur en moi d'aimer t'enseignera peut-être la grâce d'être aimé. Licence alors aux jeux du corps! Offrande, offrande, et faveur d'être! La nuit t'ouvre une femme : son corps, ses havres, son rivage; et sa nuit antérieure où gît toute mémoire. L'amour en fasse son repaire!

" ... Etroite ma tête entre tes mains, étroit mon front cerclé de fer. Et mon visage à consommer comme fruit d'outre-mer : la mangue ovale et jaune, rose feu, que les coureurs d'Asie sur les dalles d'empire déposent un soir, avant minuit, au pied du Trône taciturne... Ta langue est dans ma bouche comme sauvagerie de mer, le goût de cuivre est dans ma bouche. Et notre nourriture dans la nuit n'est point nourriture de ténèbres, ni notre breuvage, dans la nuit, n'est boisson de citerne.

(...)

Vents
8

Vents (1946)

Sortie : 1946 (France). Poésie

livre de Saint-John Perse

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

VENTS

C'étaient de très grands vents sur toutes faces de ce monde,
De très grands vents en liesse par le monde, qui n'avaient d'aire ni de
gîte,
Qui n'avaient garde ni mesure, et nous laissaient, hommes de paille,
En l'an de paille sur leur erre. Ah ! oui, de très grands vents sur toutes
faces de vivants !
Flairant la pourpre, le cilice , flairant l'ivoire et le tesson, flairant le monde entier des choses,
Et qui couraient à leur office sur nos plus grands versets d'athlètes, de poètes,
C'étaient de très grands vents en quête sur toutes pistes de ce monde,
Sur toutes choses périssables, sur toutes choses saisissables, parmi le monde entier des choses ...
Et d'éventer l'usure et la sécheresse au coeur des hommes investis,
Voici qu'ils produisaient ce goût de paille et d'aromates, sur toutes places de nos villes,
Comme au soulèvement des grandes dalles publiques. Et le coeur nous levait
Aux bouches mortes des Offices . Et le dieu refluait des grands ouvrages de l'esprit.
Car tout un siècle s'ébruitait dans la sécheresse de sa paille, parmi d'étranges désinences : à bout de cosses, de siliques, à bout de choses frémissantes,
Comme un grand arbre sous ses hardes et ses haillons de l'autre hiver, portant livrée de l'année morte;
Comme un grand arbre tressaillant dans ses crécelles de bois mort et ses corolles de terre cuite - Très grand arbre mendiant qui a fripé son patrimoine, face
brûlée d'amour et de violence où le désir encore va chanter. "Ô toi désir qui vas chanter…" Et ne voilà-t-il pas déjà toute ma page elle-même bruissante,
Comme ce grand arbre de magie sous sa pouillerie d'hiver:
vain de son lot d'icônes, de fétiches, Berçant dépouilles et spectres de locustes ; léguant,
liant au vent du ciel filiales d'ailes et d'essaims, lais et relais du plus haut verbe -Ha! très grand arbre du langage peuplé d'oracles, de maximes et murmurant murmure d'aveugle-né dans les quinconces du savoir ...

Éloges
7.7

Éloges (1911)

La Gloire des rois - Anabase - Exil

Sortie : 1911 (France). Poésie

livre de Saint-John Perse

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

ANABASE VIII

Lois sur la vente des juments. Lois errantes. Et nous-mêmes.(Couleur d’hommes)
Nos compagnons ces hautes trombes en voyage, clepsydres en marche sur la terre,
et les averses solennelles, d’une substance merveilleuse, tissés de poudres et d’insectes, qui poursuivaient nos peuples dans les sables comme l’impôt de capitation.
(A la mesure de nos cœurs fut tant d’absence consommée!)

Non que l’étape fût stérile: au pas des bêtes sans alliances (nos chevaux purs aux yeux d’aînés), beaucoup de choses entreprises sur les ténèbres de l’esprit – grandes histoires séleucides au sifflement des frondes et la terre livrée aux explications...

Autre chose: ces ombres – les prévarications du ciel contre la terre ...
Cavaliers au travers de telles familles humaines, où les haines parfois chantaient comme des mésanges, lèverons-nous le fouet sur les mots hongres du bonheur? – Homme, pèse ton poids calculé en froment. Un pays-ci n’est point le mien. Que m’a donné le monde que ce mouvement d’herbes? ...

(...)

Les Yeux d'Elsa
7.8

Les Yeux d'Elsa (1942)

Sortie : 1942 (France). Poésie

livre de Louis Aragon

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

Tes yeux sont si profonds qu'en me penchant pour boire
J'ai vu tous les soleils y venir se mirer
S'y jeter à mourir tous les désespérés
Tes yeux sont si profonds que j'y perds la mémoire

À l'ombre des oiseaux c'est l'océan troublé
Puis le beau temps soudain se lève et tes yeux changent
L'été taille la nue au tablier des anges
Le ciel n'est jamais bleu comme il l'est sur les blés

Les vents chassent en vain les chagrins de l'azur
Tes yeux plus clairs que lui lorsqu'une larme y luit
Tes yeux rendent jaloux le ciel d'après la pluie
Le verre n'est jamais si bleu qu'à sa brisure

Mère des Sept douleurs ô lumière mouillée
Sept glaives ont percé le prisme des couleurs
Le jour est plus poignant qui point entre les pleurs
L'iris troué de noir plus bleu d'être endeuillé

Tes yeux dans le malheur ouvrent la double brèche
Par où se reproduit le miracle des Rois
Lorsque le coeur battant ils virent tous les trois
Le manteau de Marie accroché dans la crèche

Une bouche suffit au mois de Mai des mots
Pour toutes les chansons et pour tous les hélas
Trop peu d'un firmament pour des millions d'astres
Il leur fallait tes yeux et leurs secrets gémeaux

L'enfant accaparé par les belles images
Écarquille les siens moins démesurément
Quand tu fais les grands yeux je ne sais si tu mens
On dirait que l'averse ouvre des fleurs sauvages

Cachent-ils des éclairs dans cette lavande où
Des insectes défont leurs amours violentes
Je suis pris au filet des étoiles filantes
Comme un marin qui meurt en mer en plein mois d'août

J'ai retiré ce radium de la pechblende
Et j'ai brûlé mes doigts à ce feu défendu
Ô paradis cent fois retrouvé reperdu
Tes yeux sont mon Pérou ma Golconde mes Indes

Il advint qu'un beau soir l'univers se brisa
Sur des récifs que les naufrageurs enflammèrent
Moi je voyais briller au-dessus de la mer
Les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa les yeux d'Elsa.

Du monde entier au coeur du monde
7.6

Du monde entier au coeur du monde (1957)

Sortie : 1957 (France). Poésie

livre de Blaise Cendrars

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

LA PROSE DU TRANSSIBÉRIEN

En ce temps-là j’étais en mon adolescence
J’avais à peine seize ans et je ne me souvenais déjà plus de mon enfance
J’étais à 16.000 lieues du lieu de ma naissance
J’étais à Moscou, dans la ville des mille et trois clochers et des sept gares
Et je n’avais pas assez des sept gares et des mille et trois tours
Car mon adolescence était si ardente et si folle
Que mon cœur, tour à tour, brûlait comme le temple
d’Éphèse ou comme la Place Rouge de Moscou
Quand le soleil se couche.
Et mes yeux éclairaient des voies anciennes.
Et j’étais déjà si mauvais poète
Que je ne savais pas aller jusqu’au bout.

Le Kremlin était comme un immense gâteau tartare
Croustillé d’or,
Avec les grandes amandes des cathédrales toutes blanches
Et l’or mielleux des cloches…

Un vieux moine me lisait la légende de Novgorode
J’avais soif
Et je déchiffrais des caractères cunéiformes
Puis, tout à coup, les pigeons du Saint-Esprit s’envolaient sur la place
Et mes mains s’envolaient aussi, avec des bruissements d’albatros
Et ceci, c’était les dernières réminiscences du dernier jour
Du tout dernier voyage
Et de la mer.

Pourtant, j’étais fort mauvais poète.
Je ne savais pas aller jusqu’au bout.
J’avais faim
Et tous les jours et toutes les femmes dans les cafés et tous les verres
J’aurais voulu les boire et les casser
Et toutes les vitrines et toutes les rues
Et toutes les maisons et toutes les vies
Et toutes les roues des fiacres qui tournaient en tourbillon sur les mauvais pavés
J’aurais voulu les plonger dans une fournaise de glaives
Et j’aurais voulu broyer tous les os
Et arracher toutes les langues
Et liquéfier tous ces grands corps étranges et nus sous les vêtements qui m’affolent…
Je pressentais la venue du grand Christ rouge de la révolution russe…
Et le soleil était une mauvaise plaie
Qui s’ouvrait comme un brasier.

(...)

Alcools
7.6

Alcools (1913)

Sortie : 1913 (France). Poésie

livre de Guillaume Apollinaire

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

ZONE

A la fin tu es las de ce monde ancien

Bergère ô tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin

Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine

Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes
La religion seule est restée toute neuve la religion
Est restée simple comme les hangars de Port-Aviation

Seul en Europe tu n'es pas antique ô Christianisme
L'Européen le plus moderne c'est vous Pape Pie X
Et toi que les fenêtres observent la honte te retient
D'entrer dans une église et de t'y confesser ce matin
Tu lis les prospectus les catalogues les affiches qui chantent tout haut
Voilà la poésie ce matin et pour la prose il y a les journaux
Il y a les livraisons à 25 centimes pleines d'aventure policières
Portraits des grands hommes et mille titres divers

J'ai vu ce matin une jolie rue dont j'ai oublié le nom
Neuve et propre du soleil elle était le clairon
Les directeurs les ouvriers et les belles sténo-dactylographes
Du lundi matin au samedi soir quatre fois par jour y passent
Le matin par trois fois la sirène y gémit
Une cloche rageuse y aboie vers midi
Les inscriptions des enseignes et des murailles
Les plaques les avis à la façon des perroquets criaillent
J'aime la grâce de cette rue industrielle
Située à Paris entre la rue Aumont-Thieville et l'avenue des Ternes

(...)

Tristia
7.5

Tristia

Et autres poèmes

Tristia et autres poèmes

Sortie : mars 1994 (France). Poésie

livre de Ossip Mandelstam

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

LE SIÈCLE

Siècle mien, bête mienne, qui saura
Plonger les yeux dans tes prunelles
Et coller de son sang
Les vertèbres de deux époques ?
Le sang-bâtisseur à flots
Dégorge des choses terrestres.
Le vertébreur frémit à peine
Au seuil des jours nouveaux.

Tant qu'elle vit la créature
Doit s'échiner jusqu'au bout
Et la vague joue
De l'invisible vertébration.
Comme le tendre cartilage d'un enfant
Est le siècle dernier-né de la terre.
En sacrifice une fois encore, comme l'agneau,
Est offert le sinciput de la vie.

Pour arracher le siècle à sa prison.
Pour commencer un monde nouveau,
Les genoux des jours noueux
Il faut que la flûte les unisse.
C'est le siècle sinon qui agite la vague
Selon la tristesse humaine,
Et dans l'herbe respire la vipère
Au rythme d'or du siècle.

Une fois encore les bourgeons vont gonfler
La pousse verte va jaillir,
Mais ta vertèbre est brisée,
Mon pauvre et beau siècle !
Et avec un sourire insensé
Tu regardes en arrière, cruel et faible,
Comme agile autrefois une bête
Les traces de ses propres pas.

Le Roman inachevé
8.1

Le Roman inachevé (1956)

Sortie : 1956 (France). Poésie

livre de Louis Aragon

Clément Nosferalis a mis 7/10.

Annotation :

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
D’où sort cette chanson lointaine
D’une péniche mal ancrée
Ou du métro Samaritaine

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Sans chien sans canne sans pancarte
Pitié pour les désespérés
Devant qui la foule s’écarte

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
L’ancienne image de moi-même
Qui n’avait d’yeux que pour pleurer
De bouche que pour le blasphème

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Cette pitoyable apparence
Ce mendiant accaparé
Du seul souci de sa souffrance

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Fumée aujourd’hui comme alors
Celui que je fus à l’orée
Celui que je fus à l’aurore

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Semblance d’avant que je naisse
Cet enfant toujours effaré
Le fantôme de ma jeunesse

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Vingt ans l’empire des mensonges
L’espace d’un miséréré
Ce gamin qui n’était que songes

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce jeune homme et ses bras déserts
Ses lèvres de vent dévorées
Disant les airs qui le grisèrent

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Baladin du ciel et du coeur
Son front pur et ses goûts outrés
Dans le cri noir des remorqueurs

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Le joueur qui joua son âme
Comme une colombe égarée
Entre les tours de Notre-Dame

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce spectre de moi qui commence
La ville à l’aval est dorée
A l’amont se meurt la romance

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Ce pauvre petit mon pareil
Il m’a sur la Seine montré
Au loin les taches de soleil

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Mon autre au loin ma mascarade
Et dans le jour décoloré
Il m’a dit tout bas Camarade

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Mon double ignorant et crédule
Et je suis longtemps demeuré
Dans ma propre ombre qui recule

Sur le Pont Neuf j’ai rencontré
Assis à l’usure des pierres
Le refrain que j’ai murmuré
Le reve qui fut ma lumière

Aveugle aveugle rencontré
Passant avec tes regards veufs
Ô mon passé désemparé
Sur le Pont Neuf

Le Fou d'Elsa
8

Le Fou d'Elsa (1963)

Sortie : 1963 (France). Poésie

livre de Louis Aragon

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

(...)

Il y a des choses que je ne dis a Personne Alors
Elles ne font de mal à personne Mais
Le malheur c'est
Que moi
Le malheur le malheur c'est
Que moi ces choses je les sais

Il y a des choses qui me rongent La nuit
Par exemple des choses comme
Comment dire comment des choses comme des songes
Et le malheur c'est que ce ne sont pas du tout des songes

Il y a des choses qui me sont tout à fait
Mais tout à fait insupportables même si
Je n'en dis rien même si je n'en
Dis rien comprenez comprenez moi bien

Alors ça vous parfois ça vous étouffe
Regardez regardez moi bien
Regardez ma bouche
Qui s'ouvre et ferme et ne dit rien

Penser seulement d'autre chose
Songer à voix haute et de moi
Mots sortent de quoi je m'étonne
Qui ne font de mal à personne

Au lieu de quoi j'ai peur de moi
De cette chose en moi qui parle

Je sais bien qu'il ne le faut pas
Mais que voulez-vous que j'y fasse
Ma bouche s'ouvre et l'âme est là
Qui palpite oiseau sur ma lèvre

O tout ce que je ne dis pas
Ce que je ne dis à personne
Le malheur c'est que cela sonne
Et cogne obstinément en moi
Le malheur c'est que c'est en moi
Même si n'en sait rien personne
Non laissez moi non laissez moi
Parfois je me le dis parfois
Il vaut mieux parler que se taire

Et puis je sens se dessécher
Ces mots de moi dans ma salive
C'est là le malheur pas le mien
Le malheur qui nous est commun
Épouvantes des autres hommes
Et qui donc t'eut donné la main
Étant donné ce que nous sommes

Pour peu pour peu que tu l'aies dit
Cela qui ne peut prendre forme
Cela qui t'habite et prend forme
Tout au moins qui est sur le point
Qu'écrase ton poing
Et les gens Que voulez-vous dire
Tu te sens comme tu te sens
Bête en face des gens Qu'étais-je
Qu'étais-je à dire Ah oui peut-être
Qu'il fait beau qu'il va pleuvoir qu'il faut qu'on aille
Où donc Même cela c'est trop
Et je les garde dans les dents
Ces mots de peur qu'ils signifient

Ne me regardez pas dedans
Qu'il fait beau cela vous suffit
Je peux bien dire qu'il fait beau
Même s'il pleut sur mon visage
Croire au soleil quand tombe l'eau
Les mots dans moi meurent si fort
Qui si fortement me meurtrissent
Les mots que je ne forme pas
Est-ce leur mort en moi qui mord

Le malheur c'est savoir de quoi
Je ne parle pas à la fois
Et de quoi cependant je parle

C'est en nous qu'il nous faut nous taire

Les Champs magnétiques
7.6

Les Champs magnétiques (1920)

Sortie : 1920 (France). Poésie

livre de Philippe Soupault et André Breton

Clément Nosferalis a mis 6/10.

Annotation :

LA GLACE SANS TAIN

Prisonniers des gouttes d'eau, nous ne sommes que des animaux perpétuels. Nous courons dans les villes sans bruits et les affiches enchantées ne nous touchent plus. À quoi bon ces grands enthousiasmes fragiles, ces sauts de joie desséchés ? Nous ne savons plus rien que les astres morts ; nous regardons les visages ; et nous soupirons de plaisirs. Notre bouche est plus sèche que les pages perdues ; nos yeux tournent sans but, sans espoir. Il n'y a plus que ces cafés où nous nous réunissons pour boire ces boissons fraîches, ces alcools délayés et les tables sont plus poisseuses que ces trottoirs où sont tombées nos ombres mortes de la veille. Quelquefois, le vent nous entoure de ses grandes mains froides et nous attache aux arbres découpés par le soleil. Tous, nous rions, nous chantons, mais personne ne sent plus son cœur battre. La fièvre nous abandonne. Les gares merveilleuses ne nous abritent plus jamais : les longs couloirs nous effraient. Il faut donc étouffer encore pour vivre ces minutes plates, ces siècles en lambeaux. Nous aimions autrefois les soleils de fin d'année, les plaines étroites où nos regards coulaient comme ces fleuves impétueux de notre enfance. Il n'y a plus que des reflets dans ces bois repeuplés d'animaux absurdes, de plantes connues.
Les villes que nous ne voulons plus aimer sont mortes. Regardez autour de vous : il n'y a plus que le ciel et ces grands terrains vagues que nous finirons bien par détester. Nous touchons du doigt ces étoiles tendres qui peuplaient nos rêves. Là-bas, on nous a dit qu'il y avait des vallées prodigieuses : chevauchées perdues pour toujours dans ce Far West aussi ennuyeux qu'un musée

Au rendez-vous allemand
7.6

Au rendez-vous allemand (1945)

Sortie : 1945 (France). Poésie

livre de Paul Éluard

Clément Nosferalis a mis 6/10.

Annotation :

LIBERTÉ

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable de neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Sur la jungle et le désert
Sur les nids sur les genêts
Sur l’écho de mon enfance
J’écris ton nom

Sur les merveilles des nuits
Sur le pain blanc des journées
Sur les saisons fiancées
J’écris ton nom

(...)

Sur mes refuges détruits
Sur mes phares écroulés
Sur les murs de mon ennui
J’écris ton nom

Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom

Sur la santé revenue
Sur le risque disparu
Sur l’espoir sans souvenir
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer

Liberté

Fureur et Mystère
7.6

Fureur et Mystère (1948)

Sortie : 1948 (France). Poésie

livre de René Char

Clément Nosferalis a mis 10/10.

Annotation :

Feuillets d'Hypnos

1
Autant que ce peut, enseigne à devenir efficace, pour le but à atteindre mais pas au-delà. Au-delà est fumée. Où il y a fumée il y a changement.

3
Conduire le réel jusqu'à l'action comme une fleur glissée dans la bouche acide des petits enfants. Connaissance ineffable du diamant désespéré (la vie).

23
Présent crénelé...

31
J'écris brièvement. Je ne puis guère m'absenter longtemps. S'étaler conduirait à l'obsession. L'adoration des bergers n'est plus utile à la planète.

46
L'acte est vierge, même répété.

54
Etoiles du mois de mai...
Chaque fois que je lève les yeux vers le ciel, la nausée écroule ma mâchoire. Je n'entends plus, montant de la fraîcheur de mes souterrains le gémir du plaisir, murmure de la femme entrouverte. Une cendre de cactus préhistorique fait voler mon désert en éclat ! Je ne suis plus capable de mourir...
Cyclone, cyclone, cyclone ...

62
Notre héritage n'est précédé d'aucun testament.

130
J'ai confectionné avec les déchets de montagnes des hommes qui embaumeront quelque temps les glaciers.

Elégie de Marienbad et autres poèmes
7.5

Elégie de Marienbad et autres poèmes

Poésie

livre de Johann Wolfgang von Goethe

Clément Nosferalis a mis 9/10.

Annotation :

LE ROI DES AULNES

Qui chevauche si tard dans la nuit dans le vent ?
C'est le père avec son enfant,
Il serre le garçon dans ses bras,
Il le tient fermement, il le garde au chaud

Mon fils, pourquoi caches-tu ton visage d'effroi ?
Père, ne vois-tu pas le Roi des Aulnes ?
Le roi des Aulnes avec couronne et traîne ?
Mon fils, c'est une traînée de brouillard.

Toi cher enfant, viens, pars avec moi !
Je jouerai à de bien jolis jeux avec toi,
Il y a tant de fleurs multicolores sur le rivage
Et ma mère possède tant d'habits d'or

Mon père, mon père, n'entends-tu pas
Ce que le Roi des Aulnes me promet doucement ?
Calme-toi, reste calme, mon enfant,
Le vent murmure dans les feuilles mortes

Veux-tu, gentil garçon, venir avec moi ?
Mes filles doivent d'attendre déjà
Mes filles mènent la ronde nocturne,
Elles te bercent, dansent et chantent

Mon père, mon père, ne vois-tu pas là-bas
Les filles du Roi des Aulnes cachées dans l'ombre ?
Mon fils, mon fils, je le vois bien,
Les saules de la forêt semblent si gris.

Je t'aime, ton joli visage me touche,
Et si tu n'es pas obéissant, alors j'utiliserai la force !
Mon père, mon père, maintenant il me saisit
Le Roi des Aulnes me fait mal.

Le père frissonne d'horreur, il chevauche promptement,
Il tient dans ses bras l'enfant gémissant
Il parvient au village à grand effort
Dans ses bras l'enfant était mort.

Chronique des branches
8.1

Chronique des branches

Sortie : mars 1991 (France).

livre de Adonis

Clément Nosferalis a mis 8/10.

Annotation :

MIROIR DE LA LUGE NOIRE

Tu as dit : Mon visage est navire, mon corps est une île,
et l’eau, organes désirants.
Tu as dit : Ta poitrine est une vague,
nuit qui déferle sous mes seins.

Le soleil est ma prison ancienne,
Le soleil est ma nouvelle prison,
La mort est fête et chant.

M’as-tu entendu ? Je suis autre que cette nuit, autre
Que son lit souple et lumineux.
Mon corps est ma couverture, tissu
Dont j’ai cousu les fils avec mon sang.
Je me suis égaré et dans mon corps était mon errance…

J’ai donné les vents aux feuilles,
J’ai laissé derrière moi mes cils,
De rage j’ai joué l’énigme avec la divinité
Et j’ai habité l’évangile de l’allaitement
Pour découvrir dans mes vêtements
la pierre itinérante

M’as-tu reconnu ? Mon corps est ma couverture,
La mort est mon chant et palais de mes cahiers,
L’encre m’est tombe et antichambre,
Mappemonde clivée par la désolation
En laquelle le ciel a vieilli,
Luge noire que traînent les pleurs et la souffrance.

Me suivras-tu ? Mon corps est mon ciel,
J’ai ouvert tout grand les couloirs de l’espace
J’ai dessiné derrière moi mes cils,
Routes menant vers une idole antique.

Me suivras-tu ? Mon corps est mon chemin.

Œuvres, tome 1
8.1

Œuvres, tome 1 (1957)

Sortie : 27 décembre 1957. Poésie

livre de Paul Valéry

Annotation :

LE CIMETIÈRE MARIN

(...)

Amour, peut-être, ou de moi-même haine?
Sa dent secrète est de moi si prochaine
Que tous les noms lui peuvent convenir!
Qu'importe! Il voit, il veut, il songe, il touche!
Ma chair lui plaît, et jusque sur ma couche,
À ce vivant je vis d'appartenir!

Zénon! Cruel Zénon! Zénon d'Elée!
M'as-tu percé de cette flèche ailée
Qui vibre, vole, et qui ne vole pas!
Le son m'enfante et la flèche me tue!
Ah! le soleil... Quelle ombre de tortue
Pour l'âme, Achille immobile à grands pas!

Non, non!... Debout! Dans l'ère successive
Brisez, mon corps, cette forme pensive!
Buvez, mon sein, la naissance du vent!
Une fraîcheur, de la mer exhalée,
Me rend mon âme... O puissance salée!
Courons à l'onde en rejaillir vivant.

Oui! Grande mer de délires douée,
Peau de panthère et chlamyde trouée,
De mille et mille idoles du soleil,
Hydre absolue, ivre de ta chair bleue,
Qui te remords l'étincelante queue
Dans un tumulte au silence pareil,

Le vent se lève!... Il faut tenter de vivre!
L'air immense ouvre et referme mon livre,
La vague en poudre ose jaillir des rocs!
Envolez-vous, pages tout éblouies!
Rompez, vagues! Rompez d'eaux réjouies
Ce toit tranquille où picoraient des focs!

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