Cover Saison théâtrale 2013/2014 (Toulouse)

Saison théâtrale 2013/2014 (Toulouse)

4e liste un peu égoïste mais qui ne vise pas à l'être cherchant à recenser les pièces vues (essentiellement sur Toulouse après avoir quitté la belle Strasbourg) pendant la saison afin d'en entretenir la mémoire des mises en scène et de proposer une petite note sur 10 et un commentaire. Exclusivement ...

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38 livres

créee il y a plus de 10 ans · modifiée il y a presque 10 ans

La Bonne Âme du Se-Tchouan
7.9

La Bonne Âme du Se-Tchouan (1938)

Der gute Mensch von Sezuan

Sortie : 1 mars 2004 (France). Théâtre

livre de Bertolt Brecht

Annotation :

TNT, le 11/10/13
Mise en scène de Jean Bellorini (8/10)
http://bit.ly/17z9kSH

Mise en scène audacieuse et élancée, rythmée avec brio, qui universalise ce conte ultra-brechtien sans appuyer idiotement sur les clichés de sa théorie théâtrale (ceux qui voient le théâtre de Brecht aussi univoque qu'il semble avoir traversé les siècles n'en feront que de mauvaises mises en scène à mon sens). Il y a de tout dans ce spectacle ; de la vie, de la dureté, de la musique, quelque chose de très beau et rarement simpliste, et les acteurs sont brillants.

L'art et la maniere d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation
7.1

L'art et la maniere d'aborder son chef de service pour lui demander une augmentation (1968)

Sortie : décembre 1968. Roman, Théâtre

livre de Georges Perec

Annotation :

Théâtre du Pavé, le 17/10/13
Mise en scène de Grégory Bourut (8/10)
http://bit.ly/HxOKGv

Si on me parle du théâtre de Perec, je n'ai aucun repère, et j'essaie d'imaginer ses romans. À vrai dire, la présentation et la médiation du spectacle se fit beaucoup plus sur le thème de la pièce que sur son auteur et la notice complétait la théorie des propositions d'une mise en scène sans cliché (le monde bureaucratique des années 60 délaissé pour un microcosme étrange et multiforme - boîte de nuit, église, salle des fêtes) pour se laisser aller en des inventions de déplacement et de jeu fantasques et parfois hilarantes. Du super boulot.

Et puis quand le jour s'est levé, je me suis endormie

Et puis quand le jour s'est levé, je me suis endormie

Sortie : 1998 (France). Théâtre

livre de Serge Valletti

Annotation :

Théâtre du Grand Rond, le 22/10/13
Mise en scène de Denis Rey (8/10)
http://bit.ly/1auF5wr

Performance de mémoire et de créativité extraordinaire, Denis Rey, acteur malicieux et vraisemblablement très présent sur Toulouse (Grand Rond, Pavé, Sorano...) déploie, seul, cette pièce très bien écrite de sa simplicité et de ses idées, de sa mise en abîme des coulisses du théâtre et d'une jeunesse pleine de rêves et de choses à raconter. Pantalon noir et chemise blanche, une valise à la main, un ou deux effets de lumière sous le coude, quelques repères de jeu sans cabotinage, il nous emporte très très loin et exalte notre imagination.

Dieu aboie-t-il ?

Dieu aboie-t-il ?

Sortie : 1969 (France). Théâtre

livre de François Boyer

Annotation :

Théâtre Le Fil à plomb, le 26/10/13
Mise en scène de Mathilde Ramade (4/10)
http://bit.ly/16VmNDL

Quel dommage qu'ils n'aient pas réussi à gommer des choses aussi ridicules que les scotches et les déplacements parasites ou, dans un registre plus délicat, à ne pas rendre les propositions aussi embarrassantes. Pourtant le lieu est chaleureux et donne envie d'y revenir, mais si ce ne sont que des choses amatrices sans plus d'ambition en dépit de supers choix de textes (Dieu aboie-t-il est souvent mis en scène et à l'écoute ça semblait plein de potentiel), ça n'aura plus rien d'intéressant.

Histoires extraordinaires
7.8

Histoires extraordinaires (1845)

Sortie : 1856 (France). Recueil de nouvelles

livre de Edgar Allan Poe

Aloysius l'a mis en envie.

Annotation :

TNT, le 25/10/13
Adaptation d'Agathe Mélinand, mise en scène de Laurent Pelly (7/10)
http://bit.ly/17zfO3P

Pièce astucieuse pleine de fougue et de ressources qui se perd parfois dans des persistances de mise en scène pas toujours bienvenues - ces allers-retours entre les portes, bordel -, mais dont l'énergie et la jeunesse des comédiens (élément de vente à succès) rendent à ce texte une noirceur soulignée par Pelly, ses lumières et ses effets sonores, et une certaine fantaisie qui ne trompent ni Poe ni le public (jusqu'à provoquer une distanciation involontaire, c'est un peu dommage). On sort de ce voyage à des niveaux d'appréciation différents mais certains de ne pas avoir été pris pour des cons. Certaines scènes relevaient d'un vrai génie, mais chacun aura préféré les siennes, telle ou telle part de Poe dans telle ou telle personnalité d'acteur.

Premier amour
7.5

Premier amour (1945)

Sortie : 1945 (France). Récit

livre de Samuel Beckett

Annotation :

Théâtre du Grand Rond, le 30/10/13
Mise en scène de André le Hir (7/10)
http://bit.ly/19mBuOR

Spectacle très simple mais difficile et dérangeant où le choix d'André le Hir fut de faire de Premier Amour un récit d'apparence tout à fait normale en dépit de détails infimes - dans le jeu, des repères de déplacement - qui montrent dans cette histoire d'amour étrange et parfois malsaine le "truc qui cloche". Le comédien, seul, laisse des tics et des mouvements machinaux apparaître, les assume et les développe, tout en gardant une très forte rigueur et malice de jeu (sur ses placements sur scène, le côté "danse avortée" de ses gestes) et on sort de tout cela avec une fausse apathie... il s'est passé quelque chose.

Paroles de poilus
7.3

Paroles de poilus (1998)

Sortie : 1998 (France). Correspondance, Histoire

livre de Jean-Pierre Guéno et Yves Laplume

Annotation :

Théâtre Le Fil à plomb, le 12/11/13
Mise en scène de Morgane Tamboers (5/10)
http://bit.ly/17otfOm

Impossible ou presque de faire l'impasse sur le potentiel de certains acteurs de cette pièce mais, comme dans Dieu aboie-t-il, l'amateurisme était flagrant (en dépit de certains rares moments d'une réelle densité). Pourtant, la scène du "prologue" marchait complètement, joyeuse et bien amenée : elle nous retranscrivait toute la beauté rustique du début du XXe, des inventions techniques aux petits plaisirs d'époque au regard d'hommes et de femmes d'antan dans un café. Autres moments forts : les chants militaires (beau travail de chœur) et les rencontres surréalistes entre les poilus en écriture de leurs lettres et leurs femmes en lecture, très humaines et parfois presque émouvantes. Pour autant, bien trop de détails difficiles nous sortent de l'ambiance, des textes et de la période : une narratrice trop récurrente qui est là pour faire joli, un zèle malvenu de dire les textes des lettres en prononçant absolument toutes les syllabes (parfois, ils ne le faisaient pas, et ça redevait fluide et agréable), comme s'ils étaient obligés de le faire pour se faire comprendre (or justement non : dans le prologue, qui ressemblait presque à une impro en comparaison, il n'y avait pas de surplus, tout juste un vocabulaire "d'époque" dans les dialogues), et des pertes de rythme regrettables.

La Mélancolie des barbares
7.3

La Mélancolie des barbares

Sortie : 2009 (France). Théâtre

livre de Koffi Kwahulé

Annotation :

TNT, le 14/11/13
Mise en scène de Sébastien Bournac (7/10)
http://bit.ly/189Yzo4

On ne peut conseiller d'aller voir La Mélancolie au premier badaud croisé dans la rue, et pourtant on le souhaite au monde entier. Pièce irrémédiablement koltésienne, pleine de tirades immenses et condensées, elle ne fait aucun compromis au comédien et lui impose des phrases d'une dureté parfois effroyable. Les thèmes sont innombrables, sombres et rappellent aussi Koltès par la question de l'individu, de la mort, de la solitude, des rapports aux autres dans un univers parfois hostile - la cité... et en renouvelant l'esthétique et les thèmes (une "burka chrétienne", l'emploi, le "vrai amour", la pornographie, la fourmilière urbaine). Bournac ne nous laisse jamais tranquille, sinon dans les transitions de scène (toux violentes et bavardages de rattrapage au rendez-vous) et nous laisse à notre entière réflexion. Qui est juste ? Qui a raison ? Qui est le vrai fanatique, le vrai menteur, en sont-ils tous ? Philippe Girard est extraordinaire, Mireille Hertsmeyer haute et digne mais un peu effacée, et toutes les jeunes figures qui les accompagnent se débattent dans le sable humide et la saleté, leurs idéaux torturés et face à ce texte difficile dont on sort incertain de l'avoir "aimé", mais sur lequel on a certainement beaucoup réfléchi (et c'est bon).

Macbeth
8

Macbeth (1606)

(traduction Jean-Michel Desprats)

Sortie : 2002 (France). Théâtre

livre de William Shakespeare

Aloysius l'a mis en envie.

Annotation :

TNT, le 15/11/13
Mise en scène de Laurent Pelly (5/10)
http://bit.ly/I66EiW

Je n'ai pas lu tout Macbeth au moment de mon entrée dans la salle - quelques extraits, un visionnage du Château de l'Araignée - et n'ai, hélas, que trop eu vent de l'apparente suffisance des mises en scène de Laurent Pelly (aucun éloge de personne !). Il y a dans ce Shakespeare de grands efforts très vains, chez les acteurs avant tout, même dans la scénographie. Le texte nous apparaît d'une extrême difficulté et n'est pas assez soutenu (on ne comprend vraiment pas tout, à chaque tableau on "plisse les oreilles"). Je reproche à certaines pièces leur apparent amateurisme, et ce Macbeth suinte le professionnalisme de partout, mais stérilement. il y a des propositions intéressantes (même chez la détestable Marie-Sophie Ferdane - oui, je n'ai pas de respect), Thierry Hancisse, Macbeth, est parfois remarquable mais encore une fois on le voit plus que le texte sous la tartine d'émotions... Les lumières nous cachent trop souvent les visages et on a parfois l'impression de rater cette moitié-là même du spectacle, on ne reconnaît vraiment que quelques rares personnages, les propositions de mise en scène ne mènent pas à grand-chose, Pelly s'imagine que le monde entier a lu la pièce... On saluera cependant Emmanuel Daumas, impressionnant Malcolm (tiens, chez lui on entend tous les mots et on voit toutes les images, tout en se payant le luxe de laisser une place à sa sensibilité et à sa propre vision du rôle !), le choix de mettre en avant le jeu des acteurs était intéressant (comme dans le Poe) mais on ressort de tout ça profondément mitigé, n'ayant que trop rarement accordé d'intérêt au récit et d'attention aux figures. Pelly n'est pas Chéreau et il semble juste en train de remplir sa "collection de Shakespeare"... J'espère, du coup, tomber au plus vite sur une bien meilleure mise en scène de lui et d'une autre de Macbeth pour me "soigner" de celle-ci (le film de Welles/Polanski/Tarr ?).

Hamlet-machine
7.8

Hamlet-machine (1977)

Sortie : septembre 1985 (France). Théâtre

livre de Heiner Müller

Annotation :

Diptyque avec Médée-Matériau (tous deux d'après Heiner Müller)
Théâtre du Pont-Neuf, le 16/11/13
Mise en scène de Nathalie Vidal et Jacques Merle (7/10)
http://bit.ly/1gUHvab

Pesant travail d'interprétation à l'investissement total des deux comédiens/metteurs en scène, mêlant Living Theatre (dont pourtant je n'aime pas les théories), décors simples mais essentiels, propositions cycliques impressionnantes et humilité. Les pauvres spectateurs que nous étions furent conviés à monter sur scène et à s'installer sur de fragiles tabourets enveloppés dans des sacs poubelle, en plein milieu de la scène, ne laissant entre nous qu'un couloir étroit reliant la partie de la scène de Médée et celle d'Hamlet. Nathalie Vidal interprète la première, plus abominable que jamais, d'autant plus effrayante qu'elle brise sans remords le 4e mur et en piétine les miettes, le tout dans un long et douloureux monologue, exulté, asséné, nous prenant effroyablement à parti ; Jacques Merle interprète le second, fou furieux, en sueur, cabotin, grimaçant, puis soudain calme, sincère, et humain. On nous surprend, on nous touche physiquement (!), on nous parle, on ne sait pas si le spectacle s'arrête, si Jacques Merle va revenir après avoir quitté la scène sur "Je ne joue plus", si la chorégraphie de jeu de départ puis de fin de Nathalie Vidal est improvisée, si celle de mouvements puis de jeu en "crescendo" des séquences du texte de Jacques Merle l'est également, et on ne peut que s'incliner devant la force et le courage de ces deux comédiens qui ne s'autorisent aucune concession et qui ne nous en accordent aucune. La musique de fond, hollywoodio-classico-opéra, est parfois génialement placée, parfois un peu malvenue. Aussi, peut-être que le choix de vraiment séparer la plupart des mots pour Médée ou de bien indiquer la folie de départ pour Hamlet n'était pas obligatoire, ce qui a eu de l'effet sur le rythme de la séquence de la première et sur la crédibilité du second, mais peut-être n'aurions-nous pas eu cette vague d'émotions d'un côté et (surtout) de l'autre (le texte d'Hamlet-Machine, qui réactualise le personnage, le mythe et les questionnements tout en respectant et en parodiant juste comme il faut Shakespeare, était vraiment extraordinaire, plus que Médée-Matériau qui avait néanmoins ses qualités propres). Le choix de mise en scène était excellent, l'idée de diptyque aussi, et le travail d'une rigueur indéniable. S'il repasse, foncez.

Gouttes dans l'océan - Anarchie en Bavière
7.7

Gouttes dans l'océan - Anarchie en Bavière

Tropfen auf heiße Steine

Sortie : 1987 (France). Théâtre

livre de Rainer Werner Fassbinder

Annotation :

Gouttes dans l'océan :
Théâtre Garonne, le 19/11/13
Mise en scène de Gwenaël Morin (6/10)
http://bit.ly/1aPccIZ

Il y a dans cette curieuse pièce de jeunesse quelque chose de sordide, d'avorté, d'incomplet, - sa fin suffit à le prouver. Morin et sa troupe s'en emparent, font le pari de la répéter en 10 jours maximum et nous servent un travail d'acteur et de mise en scène étrange et épuré qui nous met dans une situation totalement inhabituelle, même sur le plan de la scène contemporaine expérimentale (qui parfois à force de vouloir tout défaire se perd dans certaines conventions de refus de logique continuelles très critiquées et intellos - exemple notable de cette saison, dans la même salle : Fauna). Je me suis senti un peu entre une sorte de confort gêné et d'inconfort agréable. On ressent beaucoup l'idée d'urgence dans la préparation, le texte leur échappe parfois, leurs propositions sont joyeusement incohérentes, mais dans l'ensemble, ça roule assez bien et toute la pièce finit dans le n'importe quoi sans en être ridicule et surfaite. On nous prévient d'emblée avec un jeu déconstruit, peut-être conceptuel, aucunement prétentieux, toujours simple et direct, mais ça ne nuit pas au texte ni à la pièce qui semblait écrite comme ça. On s'emmerde un peu parfois, mais globalement le "bon dérangement" opère (un comme comme chez Beckett, Jon Fosse et tous ces bonshommes) et on n'est pas "insatisfait" de leur travail. Sauf si, peut-être, on a payé sa place au prix fort, ce qui n'était pas mon cas. On peut pour autant critiquer un nombre interminable d'aspects : la proposition de contact avec le public un peu stérile, les quelques bafouillages, l'impudeur des corps pas toujours utile, les moments d'ennui, la conceptualisation... Mais contrairement à Ground and Floor bien trop long et faiblard, ce projet casse-gueule là a eu, théâtralement, un peu de force, et l'humour noir et absurde, comme indispensable, n'était pas foireux. On nous prend à revers sans arrêt et le rythme est bon ; le pari Fassbinder est relevé, du point de vue du spectateur qui ne sait pas vraiment qui a été Fassbinder en tout cas.

Liberté à Brême
7.5

Liberté à Brême

Sortie : 25 janvier 2012 (France). Théâtre

livre de Rainer Werner Fassbinder

Annotation :

Diptyque Anarchie en Bavière / Liberté à Brême :
Théâtre Garonne, le 22/11/13
Mise en scène de Gwenaël Morin (7/10)
http://bit.ly/1ee9zkC

Volontairement jouées à la suite lors de soirées-diptyques et d'une soirée-intégrale de 4 pièces, Anarchie en Bavière et Liberté à Brême ont beaucoup et peu à voir entre elles. Elles transmettent en tout cas les mêmes idées du metteur en scène : entrer en contact avec le public et se mettre à distance de la pièce en lisant toutes les didascalies à voix haute en représentation comme s'il s'agissait d'une répétition... Il y avait des idées très chouettes, d'autres un peu poussives mais plus rares, mais globalement, sans entracte, le tout tient très bien la durée. Les acteurs sont pleins de vie. Ils nous accueillent à notre entrée, jouent les ouvreurs et les huissiers, et puis ça commence sans prévenir, d'un coup de tambour et d'une annonce directe du titre de la première pièce. On nous renvoie constamment notre propre image de spectateur (la lumière-salle ne s'éteint pas vraiment), plongés dans une répétition de luxe dans laquelle nous avons un vrai rôle (malgré le 4e mur en plastique), parfois hélés, touchés, rapprochés d'un personnage. Le principe reste surprenant, assez indescriptible et (étrangement) très peu m'as-tu-vu (même dans le nu, tourné en dérision et tant mieux), même pas démagogue ou séducteur, encore moins d'une quelconque prétention conceptuelle ; il y a concept, c'est sûr, mais il n'est que prétexte à un théâtre de plaisir et de rigueur (une grosse pression donnée par la narratrice-maîtresse de répétition omniprésente, texte en main, dans sa lecture incisive des didascalies et sa correction des fautes de texte - il n'y en a eu qu'une, on se demande même si elle était voulue). Le principe est fructueux, peut-être pas tout neuf, mais joyeux et toujours bienvenu (et il y a une vraie part de drame dans Liberté à Brême qui n'est pas oubliée, un cynisme d'écriture tout à fait respecté et qui, en se dégageant du détachement et de leur Anarchie en Bavière clownesque, réussit à nous toucher, et c'est la preuve de la qualité de ce théâtre qui sait se prendre au sérieux et faire face au plus difficile). Il manque néanmoins un petit quelque chose, indicible, le petit truc qui nous glisse entre les doigts et qu'on regrette. Je n'arriverais pas à le décrire.

L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge

L'Histoire terrible mais inachevée de Norodom Sihanouk, roi du Cambodge

Sortie : 1985 (France). Théâtre

livre de Hélène Cixous

Annotation :

TNT, le 23/11/13
Mise en scène de Georges Bigot et Delphine Cottu (7/10)
http://bit.ly/Ic283n

7h de spectacle, 3 entractes, une trentaine de comédiens cambodgiens dans cette reprise de la mise en scène d'Ariane Mnouchkine de 1985. Le texte est traduit en khmer et soutenu en grande partie par de jeunes acteurs pleins de verve et de force. Le tout est d'une rigueur intangible : la scénographie ne bouge pas, épurée, limitée à un rideau orange, un chemin de sortie de planches de bois vernies à jardin, un large plateau du même genre. À cour, des musiciens accompagnent l'entièreté du spectacle, avec des cordes et des percussions orientales (je ne m'y connais vraiment pas sur le sujet). C'est un point fort du spectacle : ils offrent une vraie intensité à certaines scènes, et parfois des pléonasmes de "distanciation" à la limite du clownesque, vraiment efficaces une fois sur deux (coup de tambour pour appuyer une surprise, très - trop - fréquent). L'ensemble est très résistant, le rythme tient le coup, on ne s'ennuie jamais vraiment, la jeune actrice d'1m50 qui joue le rôle principal est bluffante même si un peu fatigante au bout de huit actes... Curieusement, j'ai été sorti du travail par des persistances de jeu inexplicables (d'un théâtre d'ailleurs ? indéniablement typé ici en tout cas), comme une façon de se tourner machinalement vers nous à chaque prise de parole, quasiment chaque réplique. Parfois, c'était génial, comme la plupart des mimiques ou le père de Sihanouk, mais les meilleurs moments de la pièce étaient ceux où on sublimait les coups de génie du texte (shakespearien). Mais pourquoi tant de rigidité ? Le pari de faire tenir toute la structure par les acteurs seuls avait de quoi séduire, mais c'est un vrai château de cartes tremblant au bout de quelques heures, qui heureusement ne tombe jamais. Même si c'est un peu toujours la même chose : Sihanouk, le peuple, les américains, les ennemis de Sihanouk, et ça recommence avec un sujet, des costumes et certains personnages différents (les passages du peuple étaient les plus mal rythmés, et ça ne pardonne pas dans la gageure que fut cette pièce). Cependant, une fois le tout bien achevé, on se lève comme tout le monde dans la salle pour saluer ce monstrueux travail, et on s'en veut à soi plus qu'aux artistes d'avoir été aussi ronchon alors qu'ils se démenaient dans un texte immense et difficile (quelle mémoire ! je n'ai pas vu de telle performance dans ce domaine depuis Maître Puntila un an plus tôt).

Le Testament de Vanda

Le Testament de Vanda

Sortie : 2008 (France). Théâtre

livre de Jean-Pierre Siméon

Annotation :

Théâtre du Grand Rond, le 27/11/13
Mise en scène de Franck Garric (7/10)
http://bit.ly/1cOvf5z

Texte difficile et amer sur les femmes migrantes et sans abri, depuis le point de vue d'une femme qui se parle à moitié à elle-même, à moitié à son bébé qu'elle nomme "Belette". Céline Pique, seule sur scène, tient le coup ; rythme, clarté et maîtrise permettent à cette nouvelle pièce-monologue du Grand Rond de tenir la durée et notre attention en dépit du côté "arte povera", tout du moins très épuré du spectacle - le texte, la voix, le corps, le nécessaire et rien de plus -, qui semble pouvoir être joué tout simplement n'importe où avec la même force. Au final, personne n'est épargné : toute la crasse, la saleté, la dureté, l'horreur qu'a connues cette femme qui n'en peut plus est étalé sans concession ni facilité, presque sans pathos. La rigueur est réelle : pas de proposition univoque, aucun surjeu, une émotion des tripes, et le texte, en dépit d'un sujet très actuel qui pouvait amener à des facilités, se paie le luxe de se remplir d'une poésie coulante et violente qui nous atteint vraiment. On sort de tout ça très ennuyé, impuissant, tiraillé, touché sans aucun doute. Peut-être était-ce vain : le texte le sait lui-même...

Les Ogres anonymes
6.9

Les Ogres anonymes

Sortie : 1998 (France).

livre de Pascal Bruckner

Annotation :

"Ogres !"
Théâtre du Grand Rond, le 03/12/13
Adaptation de Frédéric David, mise en scène de Frédéric David et Rémy Boiron (6/10)
http://bit.ly/1gJzCBK

Conte théâtral un rien cru en ses heures perdues dont on ne peut, en dépit de la bonne humeur, du travail, des propositions, des guitares du musicien sur scène bien gérées et inventives, ne pas se sentir lésé. L'ensemble manque d'une rigueur rythmique (extraordinaire comme le rythme est essentiel au théâtre, il ne faut jamais lâcher la bride et/ou inventer sans cesse), même légère, qui nous aurait permis de ne pas complètement sortir du récit. Les leitmotivs ne tiennent pas toujours le coup (le bruit de succion quand Balthus se laisse aller à sa voracité, laid et récurrent, heureusement assumé et pas central), et c'est réellement dommage, car on avait là une belle idée et une énergie généreuse qui peut souvent nous tenir en haleine.

Poil de carotte
6.6

Poil de carotte (1894)

Sortie : 1894 (France). Roman

livre de Jules Renard

Annotation :

Théâtre du Pavé, les 28/11/13 et 04/12/13
Mise en scène de Francis Azéma (7/10)
http://bit.ly/18a8cQ0

"La pièce la plus courte du monde", nous prévient le metteur en scène qui n'a pas tort : une heure qui semble faire dix minutes (et ils ont pris leur temps pourtant !). La suite du roman ultra-célèbre s'est faite au théâtre par Jules Renard : et même sans connaître en détails l'histoire, on est pris par cette situation très simple et pourtant violente, les relations familiales houleuses ou lacunaires, l'arrivée d'un personnage très simple - lui aussi, mais pourquoi inutilement complexifier ? - qui veut rétablir une certaine vérité. Un acteur de 14 ans joue le rôle-titre avec un certain talent (en dépit de faiblesses que nous lui excusons, comme la diction ou les bafouillages), plein de belles intentions (on a envie d'aider ce pauvre Poil de carotte humble et sensible). La mère est terrible, très drôle à sa manière, typée mais originale (depuis quand est-ce contradictoire ?), et en vérité ce Poil de carotte est avant tout une comédie, ses plus grandes qualités sont comiques, grâce au talent de ses interprètes notamment (la discussion entre le père et le fils est matière à des moments d'humour subtils extraordinaires, beaucoup moins drôles la deuxième fois cependant). L'ensemble reste simple mais concret et touchant ; on notera aussi une très belle scénographie et sa proposition (une maison champêtre douce mais désaxée). La fin, brusque, est bien gérée et ne nous laisse pas sur un vieux manichéisme un peu facile. On a envie de croire au rétablissement et à la bonté, ou au tragique le plus impitoyable.

Fauna

Fauna

Sortie : 2012 (France). Théâtre

livre de Romina Paula

Annotation :

Théâtre Garonne, le 29/11/13
Mise en scène de Romina Paula (4/10)
http://bit.ly/1b4AwXv

La pièce de Romina Paula veut nous embrouiller et y parvient. Pour autant, elle apparaît plus comme un gros pétard mouillé promettant la réflexion mais se concluant sur l'exaspération. Du talent, les acteurs en ont, de la rigueur et des propositions également, mais ça ne suffit pas : le texte sonne creux, se perd, se mélange, ne va concrètement nulle part. On déconstruit la narration, les rapports fiction-réalité, et on se fiche un peu du sens de tout ça (en dépit de l'inspiration d'Après la répétition de Bergman). Quel est le but ? Mener à une réflexion sur le traitement d'une oeuvre et ses conséquences ? L'esthétique, l'acteur ? Paula et sa troupe y parviennent mais la pensée ne féconde rien de durable, un peu engluée dans une mécanique de retournements faciles, vidée d'émotion et de densité. Des repères thématiques étranges comme le cheval y trouvent leur place (on peut encore en chercher le sens approprié), de l'humour se case là-dedans, une violence, des performances d'acteur (une belle entrée pleine de promesses, un long monologue), mais ça tourne en rond, et l'espagnol dont je ne comprends pas un mot n'y est pour rien. Il aurait fallu sans doute casser la convention paradoxale (car anti-conventionnelle) donnée par la pièce, surprendre, ou aller encore plus loin, creuser l'abîme (ou le résoudre). Il me faudrait les commentaires bienveillants des appréciateurs pour comprendre un peu mieux.

Le Songe d'une nuit d'été
7.8

Le Songe d'une nuit d'été (1600)

(traduction Jean-Michel Déprats)

A Midsummer Night's Dream

Sortie : 27 mars 2003 (France). Théâtre

livre de William Shakespeare

Aloysius l'a mis en envie.

Annotation :

Théâtre Sorano, le 06/12/13
Mise en scène de David Gauchard (8/10)
http://bit.ly/18e2Atu
Rythmé à souhait, très bien construit, ce Songe traduit en alexandrins par son metteur en scène (?) est un coup de poing dans les conventions et la prudence. Une musique excellente et une technique numérique kitsch, psyché et soignée en parodie à peine cachée des séries B de fantasy nous plongent dans un trip au LSD de 2h en crescendo ; on nous prend à revers, on se ridiculise, on ose la déconne en gardant la rigueur du texte (magnifique), la scéno se fait désirer dans sa proposition (au final, ça reste vague et ça n'est pas très gênant) mais est entièrement exploitée, le délire est mené à bout, et on nous offre une comédie en or énergique et déjantée même si quelquefois un peu grossière, ce qui semblait presque inévitable dans le parti pris, ce que l'on pardonne volontiers. Un délice.


TNT, le 04/04/14
Mise en scène de Laurent Pelly (8/10)
http://bit.ly/1kkK5n9
À la surprise générale, une pièce jouissive et maîtrisée, véritable tour de force de Pelly-roi-de-l'opéra, portée par de splendides comédiens (Charlotte Dumartheray et les jeunes de l'Atelier Volant avant tout) une créativité esthétique hollywoodienne à couper le souffle - en dépit de faiblesses : Ferdane-reine-du-bal toujours aussi traînante et fausse, des grues métalliques pas forcément pertinente (reliées à Ferdane justement)... Mais après, des lumières, des idées, une alchimie, énormément de rires frais et de voyage ; dommage que Shakespeare en lui-même s'échappe toujours un peu (des métaphores sur l'Orient ? je veux mieux les entendre, bordel !).

Les serments indiscrets
7.3

Les serments indiscrets

Sortie : 8 juin 1732 (France). Théâtre

livre de Marivaux

Annotation :

TNT, les 10/12/13 et 20/12/13
Mise en scène de Christophe Rauck (8/10)
http://bit.ly/1cDeTyP

Rauck monte ses classiques et le fait à merveille. Les Serments indiscrets est une pièce riche, rigoureuse et inventive (réussir à monter Marivaux comme ça mérite le dithyrambe). Des acteurs pour la plupart prodigieux nous emportent dans cette histoire d'amour propre au dramaturge et s'offrent beaucoup de petites choses modernes qui rendent la portée comique du texte (ça rappelle le Songe de Gauchard, mais que ces deux pièces sont différentes !), d'une jolie façon (un jeu de sincérité et de simplicité, qui permet d'entendre une grande part du texte - Dieu qu'il est important aujourd'hui d'entendre les textes ! Pelly, les Toulousains te dévisagent avec colère - et de garder de l'audace, dans tous les personnages : Lucile, fragile, en vêtements de répétition, qui se dévoile doucement, Ergaste, complètement dingo dans le bon sens, Phénice en jean et caméscope à la main, Damis très simple et juste, jusque dans la colère, Lisette et Frontin facétieux et denses, Orgon bien soutenu.) Brassens s'infiltre génialement là-dedans ; et que dire de plus sinon que nous comprenons la pièce ? On regrettera juste l'une ou l'autre perte du texte (monologue sur le coeur incompréhensible), pardonnée parce que Marivaux est impitoyable, mais le jeu de rideaux et de chandeliers rauckiens propose quelque chose de très esthétique, bourré de symboles. Courez-y !

L’Inconnue de la Seine

L’Inconnue de la Seine

Die Unbekannte aus der Seine

Sortie : 1933 (France). Théâtre

livre de Ödön von Horváth

Annotation :

"La Double mort de l'horloger" ; Meurtre dans la rue des Maures, L'Inconnue de la Seine
TNT, le 14/12/13
Mise en scène d'André Engel (6/10)
http://bit.ly/JtBuTP

En y allant, je me suis dit que le TNT ne pouvait se payer que des rebuts de la saison de Chaillot à défaut d'en inviter les points forts, et cette aura négative du spectacle ne s'est que peu estompée après être passée - la salle s'est remplie mais le public indifféré. La Double mort de l'horloger est une pièce d'acteurs, qui repose sur le tout petit, l'infime, et où les éclats en deviennent d'autant plus éclatants et l'ambiance d'autant plus indigeste et pesante. Horváth décrit deux villes de post-1GM similaires, à l'éthique disloquée, et Engel les rend "réalistes" avec sa scénographie spectaculaire venue de Chaillot qui matérialiste les rues, puis plonge ses acteurs, qui semblent comprendre le texte et son étrangeté, dans ces constructions monumentales souvent déplacées (on applaudit autant acteurs que régisseurs au salut). Yann Collette semblait taillé pour ce texte, avec ses jeux de symétrie, son corps, sa voix, son humour et son regard, Jérôme Kircher est d'autant plus fiévreux et tourmenté mais irrémédiablement bon et donne des repères aux spectateurs (il souffre). Tout y est étrange, le mobile des meurtres, l'amour (excellente scène de chambre dans L'Inconnue de la Seine entre Kircher et la jeune Julie-Marie Parmentier), la solitude, et ce décalage inclassable de thèmes théâtraux plus que récurrents en devient très intéressant pour le spectateur averti (s'il doit être averti, il y a un souci, et c'est le principal défaut de la mise en scène ; elle est, j'ai l'impression, un peu trop difficile d'accès et en devient parfois ennuyeuse ou pompeuse, ce que je ne lui ai pas trouvé, sans me prendre pour un savant). On y montre une part malsaine des relations humaines, parfois avec un humour fin, où les marginaux ne sont pas ceux qu'on pense et où la joie elle-même semble un peu mensongère.

Feu la mère de Madame
6.7

Feu la mère de Madame

Sortie : 15 novembre 1908 (France). Théâtre

livre de Georges Feydeau

Aloysius a mis 7/10.

Annotation :

Théâtre du Pavé, le 18/12/13
Mise en scène de Francis Azéma (troupe amatrice du Pavé)
http://bit.ly/1a0dhRH

L'esprit magique et populaire (dans la droite lignée de Vilar) du Pavé réside dans la façon dont ils s'emparent des œuvres, en l’occurrence de Feu la mère de Madame, joué entre deux représentations d'un cabaret, "Y'a d'la joie". Le spectacle total de la soirée semble ne pas payer de mine, mais au final respecte énormément l'écriture de Feydeau (ces "amateurs" jouent tous vraiment bien) et le monde du théâtre en général. C'est festif, joyeux, travaillé, tout sauf prétentieux, et Noël ou Nouvel an ne peuvent mieux se fêter à mon sens. On rit, on paye la somme que l'on veut, on offre le vin chaud, on donne d'un côté comme de l'autre du plateau, on fête la vie, on rit des mœurs et des fats (le metteur en scène, loin d'être un fat, qui rit de lui-même !), on satirise les idioties du quotidien pour célébrer la serveuse oubliée et mélancolique, le pianiste assidu frustré, l'aviateur d'intérieur, etc... et ça fait du bien.

Ménélas Rapsodie
7

Ménélas Rapsodie

Sortie : 2013 (France). Poésie, Théâtre

livre de Simon Abkarian

Aloysius l'a mis en envie.

Annotation :

"Ménélas Rébétiko Rapsodie"
TNT, le 17/01/14
Mise en scène de Simon Abkarian (8/10)
http://bit.ly/1ateKOi

Simon Abkarian remonte sur les planches et reprend deux personnages-clés de la mythologie grecque afin d'écrire le long monologue poétique de Ménélas, général souvent réduit à son image de guerrier balourd et sanguinaire. Il l'humanise, ne lui retire pas sa trivialité et l'élève aussi haut que les plus grandes figures de la tragédie helléniste. Son texte est brillant et il en assume entièrement l'interprétation, mais la plus grande force du spectacle repose sur le mot inséré entre les deux parties du titre : rébétiko. Le blues grec hérité du métissage avec l'Asie mineure berce toute la pièce, interprété par un musicien/coryphée exceptionnel (Grigoris Vasilas, secondé par Giannis Evangelou). À trois, sur scène, autour d'une table, d'une bougie, de clopes et d'alcool, ils nous embarquent dans l'ambiance du rébétiko, des cafés, de la mélancolie de ces hommes, de sa danse si particulière, de la tragédie. La musique est de toute beauté (tout le rébétiko que j'ai trouvé sur youtube n'égale pas celui de ce spectacle, le texte, le public, les surtitres, enfin le théâtre n'y est pas pour rien), et si on n'entend pas tout ce que dit Abkarian et si certains éclats de voix et parodies d'Hélène semblent un peu en trop, cette rapsodie (sans h) émeut réellement. Les attentes de tous et de chacun pourront peut-être varier cette émotion, mais aucunement la mienne.

Le Tartuffe
7.1

Le Tartuffe (1669)

Sortie : 1669 (France). Théâtre

livre de Molière

Aloysius l'a mis en envie.

Annotation :

Théâtre du Pavé, les 11/01/14 et 18/01/14
Mise en scène de Francis Azéma (7/10)
http://bit.ly/1attTz3

Superbe travail de don du texte et de sa signification essentielle dans une scénographie à quelques sous nerveuse et efficace. Dans l'optique dramaturgique des "Noir Lumière", mis en parallèle avec leur Dom Juan, les deux pièces se jouent à trois (et personne d'autre), à peu de moyens, peu de décors, peu de costumes... Le nécessaire, dans un objectif esthétique et rythmique au service absolu du texte et d'une certaine remise à jour - car on s'amuse des clichés d'une jeunesse capricieuse et de ses postures, ce qui a pu en indisposer certains mais que j'ai trouvé très malin et, dans son exploitation, réellement hilarant (Valère, par le ciel). Tout est d'une grande précision, dans les intentions, les idées comiques, la force du propos, les clins d'oeil à la morale ou à l'immoralité ; à la subtilité de Molière en général et de son alexandrin plein de malice.

Dom Juan
7.3

Dom Juan (1665)

Sortie : 1665 (France). Théâtre, Romance

livre de Molière

Aloysius l'a mis en envie.

Annotation :

Théâtre du Pavé, les 15/01/14 et 18/01/14
Mise en scène de Francis Azéma (7/10)
http://bit.ly/1e1nIT9

Le boulimique Azéma rejoue Dom Juan après Tartuffe et ose ce dont nous parlions plus tôt en essayant de ne conserver que l'essentiel, tous éléments confondus, jusqu'au texte : coupé pour imaginer ce que pouvait être le premier Dom Juan avant la censure (de même pour Tartuffe), la pièce est plus courte, plus tendue, et ne perd pas grand-chose d'une intégrale. On y monte (un peu trop) dans les gradins et on y joue sur les points de vue entre Dom Juan et Sganarelle, avec le jeu de dédoublements de personnalité, mais, encore une fois, on colle surtout au texte et à ses intentions qui se suffisent bien à elles-mêmes ; l'interprète, en les incarnant, et le metteur en scène, rien qu'en les montant fidèlement sur le plateau, agissent déjà en artistes et créateurs. La leçon de théâtre est là : on n'a pas besoin de beaucoup pour faire une bonne pièce, loin de là, et les fondamentaux suffisent parfois largement. Les idées naissent ensuite, et chez les Vagabonds, elles marchent.

Le Mariage de Figaro
7.1

Le Mariage de Figaro (1778)

Sortie : 1784 (France). Théâtre

livre de Pierre-Augustin Caron de Beaumarchais

Aloysius l'a mis en envie.

Annotation :

"3 folles journées ou La Trilogie de Beaumarchais" ; d'après Le Barbier de Séville, Le Mariage de Figaro et La Mère Coupable
Théâtre Sorano, le 21/01/14
Adaptation de Sophie Lecarpentier et Frédéric Cherboeuf ; mise en scène de Sophie Lecarpentier (9/10)
http://bit.ly/1h9oVZj

Il est plus que temps de parler du travail de Sophie Lecarpentier sur Beaumarchais, même si la pièce ne tourne plus. Deuxième pièce de la saison pour laquelle le 8 ne suffit pas pour en saluer les mérites, 3 folles journées est une immense gageure de mise en scène, de jeu et d'appropriation. Beaumarchais effraie : est-il comique, moraliste, marivaudien, tragi-comique ? Pour beaucoup, il reste un peu le cul entre deux chaises, tout en ayant une écriture très esthétique et intéressante, mais pas toujours opportune à mettre en scène, même en tant que classique (ça attire les foules, il faut bien le dire). Cherboeuf - bon Dieu quel Figaro ! - et Lecarpentier relèvent le défi suggéré par Beaumarchais lui-même de jouer les trois pièces de la famille Almaviva à la suite. Ils les condensent en quelques 2h30 qui passent comme une seule, et les comédiens ne se reposent jamais. Le rythme est d'une rigueur exemplaire, les répliques fusent ou la pause est brillante, on traverse le meilleur du vaudeville et les réflexions modernes d'un Figaro le soir de ses noces avec la même fluidité. Beaumarchais se rapproche ici de Molière comme de Feydeau, et nous savourons, en bonus, l'évolution passionnante du Comte Almaviva, de son valet, de leurs maîtresses, de leurs exaltations, fatigues, aventures, intériorités, souffrances, erreurs, toujours dans une inventivité de mise en scène foudroyante et loin de l'ostentatoire. La chouette musique de Bertrand Belin donne une ambiance folk-rock qui aide à ce travail sans l'empiéter - on ressort de la pièce tout simplement ravi, voyant une nouvelle frontière franchie d'un théâtre d'apparence "classique", qui mélange drame et comédie sans faute de frappe, ou très peu (début du Mariage un rien brouillon, fin sur la Mère Coupable difficile à recevoir, mais ce ne sont que les détails qui ont bloqué le 10, c'est dire si c'est dérisoire).

Britannicus
7.3

Britannicus (1669)

Sortie : 1669 (France). Théâtre

livre de Jean Racine

Aloysius a mis 9/10.

Annotation :

TNT, le 25/01/14
Mise en scène de Jean-Louis Martinelli (4/10)
http://bit.ly/1enUD1u

Ce Britannicus échoue là où il trouvait ses meilleurs arguments de vente : une proposition de jeu sans fioriture, une place primordiale aux comédiens et au texte, un grand décor sublime, coûteux et pourtant qui ne gêne en rien la pièce car excellemment conçu (et qui rappelle Vitez !). Pour autant, et je le dis rarement, le jeu a pu être déplorable (Junie et Narcisse en tête... la première juste à côté de la plaque, on dirait qu'elle monte sur scène pour la première fois, le second dans une démarche de parole et de corps irritante qui nuit à l'intégrité du texte - on comprend pourquoi il est comme ça, sorte d'anguille vicieuse et flottante, mais on ne peut l'excuser pour autant, car la salle du TNT est grande et a besoin qu'on pousse les alexandrins, même ceux de Narcisse). Néron est fébrile et a un joli torse mais quelque chose cloche, notamment dans les propositions, Agrippine fatigue beaucoup le spectateur et on ne comprend pas trop ses intentions, (son costume est laid en plus, quand ceux des autres sont plutôt chouettes, sauf Néron gêné par sa toge - quelle idée ridicule), Burrhus est très solide mais il fait parfois de la bouillie de Racine... Des détails çà et là qui nuisent à l'intégrité de l'intrigue, à la grâce du texte et à son sens, son rythme et sa beauté, et surtout une réelle insuffisance, une sorte de confort qui rappelle le Macbeth de Pelly, où on imagine le metteur en scène penser que "le décor donne la moitié du spectacle". Or non : il ne donne rien qu'un cadre, certes splendide, mais c'est le tableau qui est censé nous faire vibrer. Martinelli a dû songer que ses idées de "Néron est trop troublé pour être intègre, le comédien aussi alors", "Narcisse est un persifleur, du coup pas la peine de pousser la voix et de rester sur ses appuis", "Britannicus est faible, donc l'acteur aussi", "Junie est malmenée et impuissante, donc l'actrice est nulle" suffiraient à donner une pièce de théâtre complète et fidèle à Racine, mais ce n'est pas le cas, et il oublie de demander à ses comédiens un jeu pareil aux piliers qu'il a répartis autour du plateau.

La Mouette
7.9

La Mouette (1896)

(traduction André Markowicz et Françoise Morvan)

Tchaïka

Sortie : 1896 (France). Théâtre

livre de Anton Tchékhov

Annotation :

TNT, le 06/02/14
Mise en scène de Christian Benedetti (3/10)
http://bit.ly/1eyAZW7

Pire que Britannicus-la-mollasse et plus énervant que The-Pyre-la-risible, au TNT passe La Mouette dans la promesse de conditions à nouveau ô combien séduisantes : tenues du quotidien, pari de sincérité et refus des facilités, mise en difficulté des acteurs, respect énorme pour Tchekhov, le tout saupoudré d'une réflexion sur la mise en scène, la modernité et le théâtre en général dans une pièce on ne pouvait plus adaptée à ce thème. Le résultat ? Des comédiens qui compressent furieusement les répliques dans une mécanique cauchemardesque, prétentieuse, répétitive et contre-productive : on parle du plus vite que l'on peut à la moindre occasion et à chaque réplique si possible ! De sorte que de Tchekhov il ne reste qu'un schéma baveux de relations déjà complexes où le metteur en scène fait ses choix personnels (et se fait tailler une pipe mimée sur scène, "pour le bien de son personnage et en respect de Tchekhov" - citation imaginaire - bien entendu). Certains acteurs semblent avoir refusé ou limité l'idée de vitesse-rouleau-compresseur du texte et du propos (il faut vraiment se le figurer : le plus vite possible, tout le temps !) mais restent emportés dans cet ouragan effroyable, où ne comprend tout simplement pas le texte, ou tout juste. Des plaisanteries ne marchent qu'aux premiers rangs car plus ou moins entendues, le rythme parvient à faillir en dépit de ces efforts absurdes... on nage en plein délire. Le bonus : comprenant qu'il faut contraster, Benedetti impose de très longs silences entre ces interminables logorrhées. L'idée se montre efficace une ou deux fois, mais quand, à la fin de la pièce, on atteint la centième seconde cumulée de ce silence mécanique, tout le travail n'apparaît plus que comme la conception grossière d'une astuce moderne-à-tout-prix superficielle. Et pourtant, quels acteurs (pour avoir supporté ça). Il ne reste au final plus aucun drame, plus aucun partage, et si j'osais, plus aucun théâtre.

Récits d'Ellis Island
7.9

Récits d'Ellis Island

Sortie : octobre 1994 (France). Récit

livre de Georges Perec et Robert Bober

Annotation :

"Ellis Island"
Théâtre Garonne, le 09/02/14
Par Eric Lareine et Pascal Maupeu
http://bit.ly/1edpRI9

Il existe une édition P.O.L d'Ellis Island signée uniquement de Perec sur SC, mais Eric Lareine se revendique avant tout des Récits, et donc de la collaboration avec Robert Bober ; il semble d'ailleurs qu'à l'écoute de cette splendide lecture, Perec n'ait pas été complètement seul à l'écriture. Il faut saluer le courage et la modestie des deux artistes qui s'emparent du texte, montent un projet et le montrent sans le faire payer, dans une des salles du Théâtre Garonne, dans une "forme en chantier". Cette forme en chantier pourtant surpasse de qualité et de saveur de bien trop nombreuses pièces payantes - et quand on est encore sous le choc de Benedetti, je peux vous assurer que ce n'est pas peu dire. Ces deux bonshommes n'ont pourtant pas grand-chose hormis leur corps, leur voix et leur talent : une guitare électrique, un harmonica, des pupitres, du matériel de sono et quelques jeux de lumière élémentaires. Ils offrent ces textes splendides et nous transportent sans précipitation. Lareine chante avec justesse, son américain est savoureux et son amour pour le texte reluit sans excès de zèle : il trouve le bon équilibre et prend le temps de lire, de chanter, de jouer dans un rythme tranquille et rigoureux, suivi de près par Pascal Maupeu, lui aussi très professionnel. Payer pour voir cette collaboration présentée sous cet état ne m'aurait aucunement dérangé. L'offrir totalement relevait d'une générosité rare, et je serai au tournant pour le résultat final.

Oncle Vania
7.8

Oncle Vania (1897)

(traduction André Markowicz et Françoise Morvan)

Dyadya Vanya

Sortie : 1994 (France). Théâtre

livre de Anton Tchékhov

Annotation :

TNT, le 11/02/14
Mise en scène de Christian Benedetti (4/10)
http://bit.ly/MdELbp

Incapable de rester sur mes premières idées et avide d'une confirmation ou d'un retournement de situation - en vérité insatiable de grands textes -, je retourne, visiblement masochiste, voir un autre Tchekhov de Benedetti. Je réfléchis à la question, lis toutes les critiques possibles, n'en vois aucune de négative ; impossible alors de ne pas repenser à la parole du maître, dite en une autre occasion : "Peut-être alors que le problème vient de toi". Rien n'y fait : comme les descriptifs l'indiquaient, Benedetti persiste et signe dans son principe et compte monter tout Tchekhov de la même façon, fier de son succès. La troupe est la même que pour La Mouette, composée de visiblement (très) bons acteurs que Benedetti écrase comme il écrase Tchekhov. Allons à toute vitesse, apposons des silences, va là, fais ça, ne dépasse pas, coupe-le. Peut-être bien sûr que ce ne fut pas leur façon de travailler, mais c'est le goût amer que cette mise en scène laisse. Le comédien en charge de Vania, Daniel Delabesse, est bluffant, rigoureux, globalement compréhensible, et sait tirer la force du principe absurde (dans la mesure où il dure tout le spectacle) de Benedetti, mais à nouveau toute cette vitesse sent le réchauffé, le surfait, le trucage où on esquive la matière réelle d'un texte pourtant magnifique et sa portée émotive pour jouer la carte d'une semi-désincarnation débitante qui n'apporte, à mon sens, rien de bon. À nouveau, on annihile le drame et la bienveillance d'un spectateur martelé, ignoré, méprisé. Quid modernité ? Le théâtre des textes se moque de la modernité bricolée. La modernité repose dans le fait d'offrir à nouveau un texte dans une autre époque. Il n'y a pas à réchauffer des astuces et à les étirer jusqu'à l'épuisement absolu, et si cela se fait au détriment du texte lui-même, il faut en bannir le responsable de la salle de théâtre.

A mi-chemin
7.3

A mi-chemin

Sortie : décembre 2006 (France). Roman

livre de Sam Shepard

Annotation :

"La Vie, c'est ce qui vous arrive pendant que vous rêviez de faire autre chose" ; choix de 5 nouvelles du recueil : L’Œil qui bat, Une Question à ne pas poser, Tous les arbres sont nus, Formule Simple, Convulsion.
Théâtre du Chien Blanc, le 13/02/14
Mise en scène de la Cie Les Amis de Monsieur (7/10)
http://bit.ly/1c3JGVS

Qu'on m'explique pourquoi Jean-Paul Bibé a préféré lire la narration de la première nouvelle au lieu de la couper ou de l'apprendre ! La pièce partait sur une idée un peu décevante et amateuriste (lire la narration du récit livre en main donc, et n'apprendre que les dialogues de Formule Simple, qui de plus contient la citation donnant le titre de la pièce, semblait un peu facile et inquiétait le spectateur : l'attention du comédien reportée au livre nous détachait de l'ambiance de Shepard, ce qui déteignait sur le rythme du spectacle). Heureusement, le reste des nouvelles est su sur le bout des doigts et rappelle le travail de Denis Rey sur Valletti ou d'Eric Lareine sur Perec (sans les égaler), accompagné d'une délicieuse guitare sans prétention, parfois un peu techniquement défaillante, mais rien de bien grave (la forte présence du guitariste aide le spectacle). On nous emporte loin, et moi qui ai vu Paris, Texas sans en connaître le co-scénariste, réussir à me rappeler l'ambiance et les odeurs du film de Wenders relevait d'un petit miracle théâtral. Des émotions, de la peur, de la tension, de la beauté, du talent malgré le faux pas dramaturgique du départ un peu inexplicable qui au final ne nuit pas tellement au résultat final. On peut, tout difficile que l'on est, remettre le doigt sur le rythme de transition entre les tableaux qui se laisse désirer et une interprétation de la dernière nouvelle un peu machinalement collée à la musique, mais ces imperfections nous rappellent celles de la vie et nous renvoient à la poésie du texte - en soi, je ne peux que conseiller cette pièce et son voyage, dans le minuscule et chaleureux théâtre du Chien Blanc ou non, juste pour entendre la langue et se laisser emporter.

Aloysius

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