2666
8.2
2666

livre de Roberto Bolaño (2004)

2666 : l'incarnation littérale de la fascination morbide - TIQUE

L’œuvre posthume de Roberto Bolaño, publiée un an après sa mort en 2004, est incroyable. Je la conseille à tour de bras, mais à chaque fois, je me heurte au même problème : comment la résumer pour donner envie à mes interlocuteurs ? C’est hmm l’histoire de plusieurs personnes qui tournent autour de la ville de Santa Theresa, dans laquelle il y a plein de meurtres. Voilà en gros. Je n’arrive pas à en donner toute la richesse, l’étendue, la complexité. Bienvenue dans cette TIQUE.

Ah, 2666. 2666 et ton titre comme une sentence. Tout de suite, l’imagination enfonce la porte : futur, dystopie, le mal commun, accepté.
Rien de tout ça, sauf le mal, et la folie, partout, qui imprègnent Santa Theresa, les personnages, peu à peu, et le lecteur aussi. Sans s’en rendre compte, les meurtres s’accumulent à gauche du livre. Mais on continue à lire. Parce que c’est de la fiction, nous ne sommes pas touchés par ces morts violentes, abjectes, insensées ? Parce qu’on veut aller plus loin, finir le livre, comme un besoin ? L’arrêter stopperait le massacre. Mais il faut aller au bout, n’est-ce pas ? Éviter de sauter des pages, aussi. Alors, on ne se rend complice de ces crimes, on les cautionne parce qu’ils sont nécessaires pour le livre. On se laisse entraîner par le tourbillon, nos sens s’effritent, notre conscience s’engourdit, on n’est plus touché. Continuer à avancer, tourner encore une page, découvrir un nouveau meurtre en même temps que le corps est découvert par les policiers. Au cœur du cyclone, tout est ouaté, calme, irréel, mais la violence bout tout autour de nous.
Alors on fume d’un air absent.
Qui est le tueur ? Qu’importe, ce qui compte, ce sont les meurtres qui nous distraient. Plus de meurtres, plus d’histoire, plus de livre.
Qu’est-ce qui m’a fait lire deux fois 2666 ?
Alors même que la seconde fut douloureuse. Je savais que j’allais subir une centaine de meurtres. Et pourtant, j’ai continué, laissé le massacre s’opérer à nouveau, mais cette fois la conscience aiguisée. Mais qu’est-ce que j’aurais aimé l’endormir pour supporter toutes ces strangulations, tous ces coups de couteau, tous ces viols, toutes ces femmes, les yeux ouverts sur l’ennui du désert, abandonnées comme des canettes de soda…
J’ai ressenti chacun des morts. Et j’ai continué, chemin de croix, rédemption ? Je savais qu’après l’épreuve, Archimboldi m’accueillerait, retour du paisible.
Lisez 2666, laissez-vous captiver par l’enfer, la folie, la fureur. Relisez-le. Faites votre devoir de mémoire.
Caressez du doigt ce qui vous répulse tant qu’il vous attire. Puis refermez le livre. Fumez, les yeux dans le vague, mais l’esprit douloureusement présent, rempli de ces noms sans visage, assassinés pour votre plaisir.
Témoignez enfin. Faites lire 2666. Puis partez dans une autre ville, plus accueillante, moins pourrie, où vous serez au calme.
Mais la glace sera toujours brisée et votre reflet un peu morcelé.

Tentagudule
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le 13 févr. 2020

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