La mort de John Fitzgerald Kennedy est très certainement l'un des mystères que les Etats-Unis aimeraient oublier. Pourtant, et sans vraiment le vouloir, cet évènement a conditionné les 40 ans de cinéma qui ont suivi. Dans son livre, 26 secondes, l’Amérique éclaboussée, Jean-Baptiste Thoret s’intéresse particulièrement à la prolifération des images violentes, chocs, dans les médias de masses, après l’assassinat du 35e président des Etats-Unis. Il procède donc à une analyse complète de cette période, qui durera jusqu’au 11 septembre 2001 et l’effondrement des tours du World Trade Center.
Pour ce faire, il part d’un élément bien précis dans l’affaire de cet assassinat : le film amateur tourné sur le vif par Abraham Zapruder. Ainsi et en analysant cette suite de photogrammes (477 précisément), puis en comparant cette analyse à plusieurs films (longuement analysés eux aussi) qui suivirent cet évènement, Thoret va construire une explication quant au changement de représentation de la violence dans le cinéma américain, durant une période qui coïncide avec l’émergence du Nouvel Hollywood.


Ainsi, Jean-Baptiste Thoret commence par analyser le film de Zapruder comme étant un film de cinéma, avec une approcher analytique, là où tout le monde se penche plutôt sur la question qui reste encore sans réponse aujourd’hui : qui a tiré ? Le premier chapitre de son livre dresse donc un regard précis sur ces 26 secondes, tout en rappelant attentivement les différents faits s’étant déroulés ce 23 novembre 1963. Passant des simples rappels sur l’assassinat, à tous les soupçons entourant les manipulations et triches faites sur le film (des agents fédéraux ayant tout réquisitionné très rapidement), Thoret se sert de ces incertitudes pour nous présenter ce qui sera le centre de son développement dans le reste de son livre, à savoir le changement marquant de la représentation de la violence dans le cinéma américain.
C’est d’ailleurs en prenant le film de Clint Eastwood, Un Monde Parfait (1993), en exemple, qu’il permet de questionner très tôt l’idée de l’innocence perdue par des millions d’américains, le film présentant de nombreuses similarités, dans son message, avec ce qu’il s’est passé lors de la fusillade à Dallas. Et au fur et à mesure de son développement, l’auteur va alors réussir à dégager de sa pré-analyse, ce qu’il appellera, à juste titre, « la configuration Zapruder ». Elle consiste en une liste exhaustive et arbitraire d’éléments qui pourrait définir le mieux le film de Zapruder. Cette configuration prend donc en compte l’éclatement du crâne, le sniper isolé (« cadre comme cible ») ou encore le film amateur comme clé d’une enquête, etc… Tant d’éléments qui influenceront dans les années à venir de nombreux cinéastes, dont Thoret va se faire l’écho dans la suite de son développement.


Ce que Thoret avance, est que le film de Zapruder agit comme une sorte de catalyseur et de déclencheur de violence. Les foyers américains vont vite se retrouver envahis, successivement par les images violentes du Vietnam, les assassinats de Martin Luther King ou Robert Kennedy (frère de John). Le cinéma américain se sert également de l’afflux de ces nouvelles images pour se renouveler et passer dans une représentation de la mort et des fusillades bien plus crues. En témoignent les films d’Arthur Penn (conseiller audiovisuel sur les campagnes de John puis Robert Kennedy pour la présidence) et Sam Peckinpah, qui sont des portes paroles du plan séquence de Zapruder. L’auteur prend pour exemple notamment la dernière fusillade de Bonnie and Clyde (1967) – réalisé par Penn – et la mort de Clyde Barrow (interprété par Warren Beatty). Cette séquence est fortement empreinte de cette marque indélébile qu’a laissée le 23 novembre 1963 sur les américains, le réalisateur insérant un plan où la tête du personnage explose, sous le poids d’une balle. La violence de l’image (explosion de la boîte crânienne et éclaboussures de sang) fait forcément références au photogramme 313 du film de Zapruder, celui-là même où l’on voit la boîte crânienne de Kennedy exploser.
De la même manière, Thoret procède à deux analogies similaires, avec d’autres éléments de la configuration Zapruder, avec les films de Brian de Palma – notamment Greetings (1968) – et Alan J. Pakula, où de longues pages sont laissées à The Parallax View (A Cause d’un Assassinat en français) sorti en 1974. Ces films permettent notamment à l’auteur de s’intéresser à un autre pan de l’héritage du film de Zapruder, la conspiration. Celui-ci, de par ses soupçons sur son exploitation (jump cuts, manque d’une piste son…), permet de définir que l’image n’est autre qu’interprétation de la vérité. Et ces deux films jouent beaucoup là-dessus, avec notamment la « Parallax », société fictive du film de Pakula, qui, bien qu’opérant en pleine lumière (son siège apparait dans le film), exerce un pouvoir secret totalitaire ; probable écho à l’interprétation des images du film de Zapruder par le plus grand nombre.
De même, Thoret se permet une analyse analogue en se questionnant sur l’importance de la technologie. La falsification probable des photogrammes de 1963 se révèle aux cinéastes comme source d’inspiration en 1973, après l’éclatement de l’affaire du Watergate, acte final d’une pièce débutée par l’assassinat de Kennedy, qui mettra fin à la confiance portée par les citoyens américains envers les institutions. L’affaire des écoutes du Watergate questionnent donc la place de la technologie, tout comme les différentes manipulations sur le film de Zapruder. Ainsi, le cinéma américain se tourne vers cette question, avec la production de film comme Conversation Secrète (1975) de Francis Ford Coppola ou Blow Out de Brian de Palma. Deux films qui suivent le raisonnement de l’auteur dans son analyse progressive des 477 photogrammes.


En 2001, les tours du World Trade Center s’effondrent. Non pas un mais plusieurs films capturent cet instant, et notamment la grande chaîne de télévision CNN. Ce film sera vu ensuite par des millions de personnes aux Etats-Unis et même à travers le monde. Pour Thoret, cela marque la fin de l’influence de Zapruder sur le cinéma américain. En décrivant simplement de part et d’autres les films amateurs, il souligne les grandes différences qui existent en réalité entre ces deux évènements, témoignant pourtant d’une grande forme de violence, certes, mais différentes l’une de l’autre. Les images inspirées par Zapruder laissent place à de nouvelles catégorisations, qui seront définies par le film de CNN.
Un cycle se termine, un autre s’ouvre. Voilà comment définir l’apposition de ces deux évènements pour l’auteur. Au final, à travers un travail d’analyse précis et concis, Thoret aura réussi à dresser un portrait très intéressant, quoi qu'un peu long et abstrait par moment, et pourtant peu abordé du Nouvel Hollywood. La violence des images dans le cinéma américain de cette période, ainsi que la lecture entre les lignes de certaines intrigues tirent ainsi leur essence d’un simple film amateur. Un plan-séquence de 477 photogrammes filmé par un homme prénommé Abraham Zapruder, qui était très certainement loin de se douter de l’influence de sa seule et unique œuvre.

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le 3 mai 2017

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