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8,2 secondes
6.7
8,2 secondes

livre de Maxime Chattam (2025)

Deux branches vibrent séparément, puis se rejoignent en une note unique dans « 8,2 secondes », le nouveau roman de Maxime Chattam. L’une de ces branches raconte la vie de Constance, l’autre celle de May. La première est scénariste. Elle s’est retranchée dans un chalet après la perte tragique de deux êtres chers. La seconde, policière à New York, est sur la piste d’un tueur en série. Elle le traque avec une endurance de marathonienne. Entre elles existe un laps de temps, semblable à un battement : 8.2 secondes, temps de bascule durant lequel la vie décide. Autour de ce temps, l’auteur tisse patiemment plusieurs axes de réflexion sur l’amour, le deuil, la peur… La mécanique narrative de « 8,2 secondes » repose sur deux temporalités, et deux tonalités. Du côté de Constance, le récit épouse une lenteur introspective. Elle est dans un temps de réflexion, un temps d’attente. La nature, le chalet, la répétition de gestes du quotidien, l’apaisement trompeur que cela procure semble être un miroir de son esprit. Ce calme, ce retranchement volontaire, fait pourtant naître des micro-glissements vers une angoisse sourde. La narration capte des indices minuscules, qui, mis bout à bout, dérèglent la perception de la réalité en accroissant l’imaginaire de Constance. Un théâtre d’ombres se met en place où Constance (et le lecteur) apprend à douter autant de ses hypothèses que de ses yeux. 8.2 secondes, cultive un sentiment d’entre-deux qui semble nourrir un flottement…Du côté de May, « 8,2 secondes » change de peau. La narration prend un rythme plus découpé et des allures de traque. Le lecteur se retrouve immergé dans une enquête terrifiante où un serial killer sévit dans les rues de New York. May collecte les indices, remonte des pistes, négocie des accès à des dossiers et bute sur des impasses administratives. Le temps presse. Contrairement au temps de Constance calqué sur une stratégie de l’isolement, le temps de May est celui de  la traque. Chaque partie semble révéler en négatif la vérité de l’autre…Le deuil est la matière fiévreuse de la partie consacrée à Constance. Les chapitres qui lui sont consacrés disent le manque au présent. Constance s’efforce d’habiter sa perte et oscille entre tentation du renoncement et instinct de survie. « 8,2 secondes » s’octroie le temps de la chimie de l’intime et met en lumière ces jours où elle voudrait disparaître du monde, et ces nuits où elle se surprend à tenir malgré elle. Durant tout le récit, elle prend des micros décisions qui la retiennent au monde. Je salue ici la délicatesse de Maxime Chattam qui suggère plus qu’il ne dit et excelle à transformer la matière en mémoire. Très surprenant dans un thriller, l’amour a ici une énorme place dans le dispositif narratif. C’est même le nerf du récit et c’est ce qui relie les deux héroïnes. Évidemment, dans la partie consacrée à Constance, il est indissociable du deuil et pose la question de se laisser atteindre à nouveau alors que tout son monde s’est effondré. Dans la partie consacrée à May, l’amour se mesure d’une tout autre manière… Qu’est-ce que cela coûte d’aimer quand on exerce un métier qui exige une disponibilité physique et psychique totale, où la violence quotidienne ne reste jamais sur le pas de la porte ? Dans ce roman, il est question de choix, de renoncements, de pas de côté, et Maxime Chattam joue la carte de la subtilité en faisant resurgir ce chiffre sésame, « 8,2 secondes », qui revient fréquemment nous rappeler qu’une décision, même infime, peut ouvrir une porte. Chez les deux protagonistes, il existe la conscience qu’aimer, ce n’est pas « réparer », c’est « risquer », accepter la possibilité d’un lien, rouvrir la chambre du manque, accorder une place à quelqu’un. Le motif des 8.2 secondes relie tous ces enjeux : laps de temps où la mémoire, le corps, et le coeur se synchronisent pour dire oui, ou non. Le roman joue également sur l’emprise des lieux : le chalet pour Constance, où toute émotion résonne en écho prolongé, New York pour May, où les scènes de crime assombrissent l’atmosphère et place le lecteur dans une matérialité implacable. Le point fort du récit réside dans l’intensification progressive de l’ambiance, à l’instar d’un pli progressif du réel qui se rétracte et nous conduit au bord d’un gouffre. « 8.2 secondes » est aussi une petite merveille de mise en abîme. En effet, Constance est scénariste et Maxime Chattam questionne ainsi le pouvoir de la fiction. Elle écrit pour tenir debout et pour survivre. En parallèle de ce mode de survie se pose aussi la question de la fiction qui déforme la réalité, et projette certains schémas alors qu’il faudrait s’ancrer dans le monde réel. On ressent intrinsèquement que Constance bâtit des hypothèses et sélectionne des détails qui vont dans son sens. À New York, c’est l’enquête qui pousse May à produire un récit contre le chaos en classant et recoupant ses indices. Dans les deux histoires, il y a deux pratiques différentes de raconter, mais, dans les deux cas, il faut ordonner les idées pour ne pas sombrer. Par petites touches, « 8.2 secondes » accroche le récit au réel grâce à une importance donnée aux objets. Ils sont tous des charnières de sens et activent la mémoire. Ainsi, le lecteur ne flotte pas dans une pure abstraction psychologique, mais conserve aussi un pied dans une réalité concrète. J’espère vous avoir apporté quelques clés pour vous donner envie, comme moi, d’entrer dans ce texte et de l’aimer. Il possède une âme différente de ce que Maxime Chattam a produit précédemment. J’ai aimé son tissage de sensations et de décisions humaines autant que l’audace de sa construction narrative. J’y ai aussi ressenti sa nécessité de dire des choses qui lui tiennent à cœur et qui vont au-delà du genre dans lequel il est étiqueté. On y trouve un vrai dialogue entre l’intime et le procédural, de belles qualités d’écoute face à la douleur, et une façon différente d’envisager l’amour. Non pas comme un baume, mais comme une capacité. C’est un Chattam tout en émotion, en sensibilité et en humanité qui parle ici.Bien sûr, il reste à « 8.2 secondes » la claustration angoissante, la noirceur new-yorkaise et l’intrigue dont je ne peux absolument pas parler (que j’ai aimé la fin !!!). J’en ressors avec cette petite musique cardiaque du titre, « 8.2 secondes » qui fait pencher la balance du côté de la vie. Dites-vous que chaque élément a une raison d’être. Ouvrez l’oeil, vous n’êtes pas à l’abri d’une excellente surprise ! Un Chattam très différent, mais un excellent Chattam !

AudeLagandre
8
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il y a 7 jours

Critique lue 22 fois

AudeLagandre

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