le 27 oct. 2025
Louable, mais raté
Sauf situation particulière, les grands drames de l'histoire (Shoah, génocide rwandais, Holodomor, etc.) sont très difficilement représentables à l'écran sous forme de fiction. La raison en est...
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« Des vivants » s’avance sur un terrain brûlant : celui des attentats du 13 novembre 2015 au Bataclan, où jouait « Eagles of death metal ». Inspirée de faits réels et de personnes réelles, « Des vivants » est une série qui transforme la matière brute du réel en récit de l’intime. La série s’ouvre sur un espace réduit à l’extrême : un couloir à l’étage du Bataclan, fermé, étouffant, où un groupe de spectateurs est pris en otage pendant plus de deux heures. Parmi eux se trouvent sept personnes qui, une fois sorties, ne parviendront plus à se quitter. Ils se baptiseront les « Potages », contraction bancale de « potes » et « otages », surnom qui dit bien le besoin vital de transformer l’horreur en lien, et l’humour en rempart contre la folie. Ces sept personnages sont inspirés de témoignages de vrais rescapés. Marie, Arnaud, Caroline, Grégory, Sébastien, Stéphane, David, n’ont pas la même histoire, pas le même âge, pas le même rapport au drame, mais ils partagent ce couloir et ce besoin vital de ne pas sombrer. Le réalisateur, Xavier de Lestrade, fait de « Des vivants » un récit où chacun trouve sa place, sa voix, ses forces, ses contradictions et sa forme de guérison. Très vite, « Des vivants » quitte la reconstitution pour s’installer dans un temps long : les jours d’après, les semaines d’après, les mois d’après, l’année d’après. Puis l’Hiver 2017/Réparation, le Printemps 2017/se relever (ou pas), l’Hiver 2018/sortie du couloir, et enfin Témoigner. Ainsi, Jean-Xavier de Lestrade s’intéresse à l’après, ces matins où l’on ne comprend pas encore ce qui nous est arrivé, les semaines où l’on tente de reprendre le travail, les mois où le corps refuse certains bruits ou certaines odeurs, les années où l’on mesure que l’attentat n’a pas seulement laissé des cicatrices, mais une fissure qui redessine toute l’existence. Le réalisateur construit sa série comme un chœur. Il n’y a pas de personnage principal, mais un groupe, avec ses forces, ses failles, ses désaccords. Chacun arrive avec son histoire, ses blessures, ses proches, son rapport à la violence vécue. Certains sont parents, d’autres pas. Certains veulent tout affronter de face quand d’autres cherchent surtout à tenir debout sans se laisser engloutir. Les réunions régulières des « Potages » sont le cœur battant « Des vivants ». Ensemble, ils parlent des enfants qui grandissent, des couples qui se cassent, des médicaments, du sexe, de l’impossibilité de faire comme si de rien n’était. La caméra reste toujours à hauteur humaine, au plus près des visages, attentive aux silences et aux dérapages. On rit parfois franchement, parce que l’humour est la meilleure arme pour ne pas s’effondrer. Mais, il arrive aussi qu’on se dispute, qu’on se blesse et qu’on s’éloigne. Le groupe est semblable à un élastique qui se tend et se détend, mais il reste la colonne vertébrale « Des vivants ». Il faut dire que ces personnages ne sont jamais figés dans un statut de victimes. Ce sont des survivants, mais aussi des conjoints, des parents, des amants, des salariés, des amis épuisés. En étant aussi dissemblables, la pluralité de réponses au trauma donne au récit une profondeur prodigieuse. « Des vivants » montre combien les traumatismes ne se déclinent jamais de la même manière, même lorsqu’on a partagé le même couloir, la même peur, la même nuit. La série décline la palette de toutes les réactions possibles : celui qui se jette dans l’action pour reprendre le contrôle, celui qui, au contraire, se replie, ne supporte plus les foules ou les bruits, celui qui met tout à distance par l’humour, celle qui croit aller bien jusqu’au jour où le corps lâche… Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de survivre, chacun fait comme il peut. On comprend très vite que, dans le mot « trauma » réside une infinité de manières de continuer à vivre.À mon sens, le défi « Des vivants » était de ne pas tomber dans le voyeurisme, la surenchère ou le sensationnalisme. Après avoir visionné différentes interviews du réalisateur, on sent sa prudence et sa pudeur, appuyées par des années de travail documentaire. Le résultat est à la hauteur ! Les scènes de terreur et de violence sont cadrées de manière à ne jamais transformer les tueurs en figures charismatiques. La série s’intéresse aux corps qui se terrent, qui tremblent, qui se figent, plus qu’aux silhouettes armées. Les moments les plus éprouvants ne sont d’ailleurs pas toujours ceux que l’on attend : un bruit qui rappelle la fusillade, une porte qui claque, un trajet en métro qui se transforme en piège, une simple discussion avec un collègue qui ne « comprend pas ». « Des vivants » s’attarde sur ces micro-déclencheurs qui font revenir la peur à la surface au moment où l’on croit l’avoir maîtrisée. Le travail sur le temps est lui aussi essentiel (et remarquable). Le trauma est une matière mouvante, qui se reconfigure à mesure que les années passent. Les différents épisodes naviguent entre le couloir du Bataclan, les jours qui suivent, et le procès qui, des années plus tard, rouvre les plaies. Le montage des épisodes épouse parfaitement la manière dont les survivants vivent les répercussions de l’évènement.Comme dans « Laëtitia » ou « Sambre », Jean-Xavier de Lestrade interroge en creux la manière dont l’État et la société prennent en charge (ou non) les victimes. Les scènes de procédure, de démarches administratives, de rendez-vous avec les experts ou les avocats montrent la fatigue infinie de ces existences qui doivent se battre sur tous les fronts : se soigner, travailler, s’occuper des enfants… et, en plus, affronter la lourdeur de la machine judiciaire.Parmi les scènes fortes « Des vivants », il y a cette rencontre inattendue entre les « potages » et les membres de la BRI qui les ont exfiltrés du Bataclan. Cette démarche est totalement inhabituelle, car les forces d’intervention sont d’ordinaire cantonnées à l’anonymat et à la discrétion. Ici, les deux « camps » se retrouvent face à face, avec uniquement leurs souvenirs et leurs trous de mémoire. Pour les survivants, c’est l’occasion de combler des zones d’ombre, mais aussi de dire merci, de mettre des mots sur une gratitude qui ne trouvait pas où se déposer. Pour les hommes de la BRI, ils rencontrent enfin ces vies qu’ils ont contribué à sauver, ils découvrent les visages derrière la notion abstraite de « civils ». Ils prennent la mesure de ce que leur intervention a laissé comme traces. Ces rencontres, bouleversantes, ouvrent un espace rare de parole. Au-delà des termes de « mission », « dispositif », « procédure » se dégage une profonde humanité. Beaucoup d’émotions passent par les regards, car chacun a porté une part de cette nuit d’horreur sur ses épaules.Dans les derniers épisodes, le procès des attentats occupe une place importante. C’est à la fois une épreuve et un soutien, cet entre-deux où se construisent la reconnaissance publique et l’ex-couloir où tout se rejoue. « Des vivants » montre bien cette ambivalence. Certains ont besoin de se rendre au procès pour donner un sens à la violence subie. D’autres craignent que chaque comparution soit une nouvelle balle tirée sur leur quotidien déjà fragile. Finalement, « Des vivants » pose une question qui dépasse largement le Bataclan : que signifie, pour une démocratie, « prendre soin » de celles et ceux qu’elle n’a pas pu protéger ? Le procès, les dispositifs d’indemnisation, l’écoute psychologique, la façon dont les médias se saisissent du sujet… tout cela devient matière à réflexion.J’ai été profondément bouleversée par cette série… D’abord, je trouve le casting remarquable. Benjamin Lavernhe, Alix Poisson, Antoine Reinartz, Félix Moati et leurs partenaires sont de grands atouts de la série. Ils ont su faire « leur » les personnages réels dont ils s’inspirent. Ils transmettent leur énergie, une façon d’être au monde qui leur donne une grande justesse. Le couple Benjamin Lavernhe/Alix Poisson est fascinant à observer tant ils réagissent de manière totalement opposée. Et pour chacun, le spectateur ressent une empathie totale. Ensuite, j’ai aimé la façon dont « Des vivants » m’a invitée dans cet espace d’empathie extrême. On éprouve une empathie physique pour ces corps fatigués qui essaient de tenir, pour ces couples qui se fissurent, pour ces amitiés qui deviennent des bouées de sauvetage. Ces « potages » auraient pu être nous, nos amis, nos frères, nos voisins, et cette proximité-là est si aisée à éprouver tant elle est bien retranscrite. Il y a de la colère aussi, contre tout ce qui abîme encore un peu plus ceux qui ont déjà tant subi… une colère qui reste tapie dans le ventre, et refuse de s’éteindre. Et la peur… brute durant les faits, insidieuse dans les semaines qui suivent… Un bruit trop fort, un trajet en métro ou encore la possibilité de refaire un autre concert. On retient sa respiration, anticipe les moments où tout peut basculer.Mais, au milieu de tout ça, il y a des éclats de lumière auxquels on ne s’attend pas et qui font un bien fou. Un fou rire déplacé, une tendresse inattendue, une complicité qui s’invente au bord du gouffre. On se surprend à sourire, puis à culpabiliser de sourire, avant de comprendre que c’est précisément cela, être vivant : continuer à rire quand même. Quand arrive le générique de fin, on se sent un peu vidé et un peu sonné. On n’est pas indemne, mais on n’est pas écrasé non plus.À mes yeux, « Des vivants » justifie pleinement son existence parce qu’elle déplace la focale. La série ne cherche pas à rejouer l’horreur ou à « psychanalyser » les terroristes. Elle se cale au niveau de ces sept personnes qui n’avaient rien demandé d’autre qu’une soirée de concert, et qui devront apprendre à vivre avec ce que cette nuit a fait à leurs corps, à leurs couples, à leur rapport au monde. J’ai aimé ces quelques heures passées avec des gens qui se débattent, chutent, se relèvent, parfois de travers, parfois avec grâce, souvent avec l’aide des autres. Le fil conducteur est là : continuer à vivre ensemble. Car, « Des vivants » dit toute notre humanité dans sa complexité, son ambivalence, ses contradictions. Au-delà des dates, il y a des existences en cours, des peurs, des désirs, des amitiés, et même des rires. La série redonne à ceux qu’on appelle « survivants » ce statut simple et formidable de « vivants ».
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il y a 6 jours
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