ABC de la lecture
7.6
ABC de la lecture

livre de Ezra Pound (1934)

On peut faire abstraction de la biographie de Pound quand on lit l’ABC de la lecture, mais impossible de passer outre le caractère extrémiste de sa pensée – pas de ses idées, mais de sa façon de penser. De là, me semble-t-il, vient le décousu de ses propositions, qui, par ailleurs, ne se contredisent jamais. Même lorsqu’il déclare en début d’ouvrage qu’il s’agit d’« un manuel qui puisse être lu “pour le plaisir aussi bien que pour le profit” » (p. 11) et ailleurs (p. 64) que « la seule manière d’apprendre la musique des vers est de l’écouter », ce n’est pas une contradiction. Simplement, la déclaration que comprendre la littérature – car tel est l’objet de l’ouvrage – ne passe pas seulement pas un manuel. On peut y voir une forme d’honnêteté, d’intransigeance ou d’entêtement, selon la façon dont on considère les choses.
Car de tous les critiques d’art que j’ai lus, Pound est probablement le plus catégorique. Le genre à déclarer sans ambages : « Essayez de trouver un poème de Byron ou de Poe qui n’ait pas au moins sept défauts graves » (p. 89) ou à énoncer qu’« Il y a trois sortes de melopoeia. Les vers sont faits soit pour être chantés, soit pour être psalmodiés, soit enfin pour être parlés. / Et plus on vieillit plus on croit en la première » (p. 69). Comme si ses énoncés ne souffrait aucune discussion.
Le pire, c’est qu’ils ne souffrent généralement aucune discussion, en effet. Écrire en 1934 (donc un peu après Proust) que « l’un des plus grands défauts de la critique moderne consiste justement à vouloir rechercher d’abord le personnage de l’auteur quand c’est à la chose elle-même (au texte) qu’elle devrait s’adresser en premier », c’est se donner les moyens de faire de la critique littéraire autre chose qu’une activité cancanière, plus magique que scientifique. (C’est aussi anticiper sur ce qui me semble être l’idée primordiale du structuralisme, celle dont découlent toutes les autres idées valables de ce courant.)


On lit ailleurs qu’« un homme ne peut comprendre un livre d’une certaine profondeur qu’après avoir vécu lui-même la plus grande partie de son contenu » (p. 110). Je ne reviens pas sur le bien-fondé de cette théorie – en tout cas lorsqu’on l’applique à de la fiction.
Je remarque simplement que Pound parle de comprendre, non d’aimer, ce qui rend la remarque indiscutable. La nuance de vocabulaire illustre aussi sa conception du langage : une sorte de bien commun, précieux et puissant, qu’il s’agirait moins de sublimer que de ne pas maltraiter : « Les bons écrivains sont ceux qui gardent au langage son efficacité, c’est-à-dire ceux qui en conservent la précision et la clarté » (p. 35-6).
Je remarque aussi que Pound parle d’un homme. (Les féministes les plus stupides me pardonneront, j’espère, d’avoir la faiblesse de lire ici homme au sens d’être humain, d’individu.) Homme, et non auteur, auteure, critique, lecteur ou lectrice. (Tiens, ça c’était pour les féministes les plus intelligentes.) C’est-à-dire que malgré le titre de son ABC de la lecture, Pound y présente la littérature en général ; non seulement on apprend à lire comme on apprend à écrire ou à critiquer, mais pour lui, ces trois activités sont inséparables. Seulement, de même que « la mauvaise poésie est la même dans toutes les langues » (p. 190), les individus médiocres le sont en littérature comme dans la vie.
Il est intriguant, ce critique qui profère tant de choses intelligentes sur la littérature, alors qu’il ignore le doute – ou qui ne proférerait que des choses intelligentes s’il doutait.

Alcofribas
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le 11 janv. 2019

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