Il était une fois, un petit cochon trop faible pour téter le sein de sa maman truie. Il était promis à une mort certaine lorsqu'une bombe est venue rebattre les cartes du destin. Tout le monde meurt sauf petit cochon faible et jeune maman humaine. Jeune maman humaine s'enfuit dans la forêt avec petit cochon faible. Elle ne pète pas la forme. Elle va le nourrir. Et au bout de quelques jours, elle va mourir. Petit cochon, lui, il a de la chance. Il ne meurt pas. Il trouve une nouvelle maman grâce à une biche. Et pis la biche elle meurt, tuée par des vilains chasseurs. Alors petit cochon se fait une nouvelle BFF : une corneille. Et là il vit dans la paix et la rigolade avec les autres animaux de la forêt. Mais les vilains hommes reviennent. Et dans une scène confuse, petit cochon fusionne avec le corps d'un jeune garçon mourant. Il se réveille dans le corps d'un jeune homme, avec ses réflexes de cochon mais sans souvenirs de sa vie d'avant.


Les 60 premières pages sur les pérégrinations du cochon sont intéressantes. Très bien écrit, lyrique, très agréable à lire et tout à fait original. Dans cette partie, l'écriture travaillée et poétique de Sylvie Germain sert entièrement le conte qu'elle nous raconte.


À partir de la transformation en homme, qui déjà en elle-même n'a aucun putain de sens, on perd une partie de la beauté de l'écriture, rattrapé par des piapias inutiles. Et c'est l'intérêt pour le livre qu'on perd. Car si la question de la survie de ce cochon, vivant à la fois en parallèle des hommes et tout en même temps dans un monde qui leur échappe tient en haleine, celle de ce garçon m'indiffère au plus haut point.


D'autant que le récit est de plus en plus parasité par une morale d'enfant de 5 ans, sur laquelle on insiste plus que lourdement.


Pourtant, l'idée peut être intéressante. La recherche du langage par Abel (le cochon devenu garçon) ouvre la possibilité à de belles digressions linguistiques. Toutefois, Sylvie Germain préfère utiliser le langage et sa belle écriture comme prétexte à un texte moralisateur niaiseux (la violence c'est pas beau. Les animaux c'est gentil), plutôt qu'à un jeu sur la langue.


De la même façon, la méfiance à l'égard de l'étranger, le rejet de celui qui est différent, sont des thèmes qui auraient pu être approfondis, creusés, mis en lien avec leur expression dans le langage. La montée de la défiance à l'égard d'Abel et la nécessité de lui faire quitter le village tant son meurtre devient inévitable n'est pas sans rappeler le Rapport de Brodeck de Philippe Claudel. Mais non ! On préfère une simple opposition entre le vilain garçon violent et brutal contre le gentil idiot naïf.


Et on passe à autre chose : la cohabitation avec les deux clichés, le révolté et le poète écorché. Cette manie de se déplacer très vite empêche de développer une histoire, surtout sur un livre de 260 pages.


Cette dernière partie est réellement une purge. Le moralisme est poussé à son paroxysme. Toute la « personnalité » d'Abel se résume à l'image philosophique de l'idiot, du candide. Celui qui a vécu hors le monde des hommes, de ses codes et de sa violence et qui donc est très sage, très pur. Ça m'avait déjà gonflé au lycée en lisant l'original alors le remake façon enfant sauvage n'a pas rencontré un franc succès. C'est cliché, c'est surfait. La langue travaillée en devient chiante, artificielle. Les personnages n'ont pas de personnalité. C'est creux. Un peu comme un beau garçon complément idiot : agréable à regarder, mais c'est tout. C'est tellement tout qu'à force, la beauté se fade dans l'idiotie.


On a même le droit au couplet sur les vilains hommes qui puent contre les gentils animaux innocents qui veulent juste vivre en paix et en harmonie. Il manque plus à la fin du livre que la possibilité de signer une pétition contre les chasseurs et un tweet pré rédigé pour dire que la guerre c'est mal !


Le fait que les personnages ne soient que des surfaces lisses, des prétextes à un discours idéologique peu construit, empêche la fin d'être efficace. On s'en fout ! Ça passe totalement au-dessus du lecteur.


Et c'est un beau gâchis. Parce que vouloir dénoncer la violence comme le propre des hommes peut être intéressant. Écrire un livre sur la place, la découverte, l'appropriation du langage, c'est une superbe idée. Enfin, l'écriture de Sylvie Germain est très belle. Toutefois, faire un micmac brouillon entre ces trois (bons) éléments sans faire l'effort de construire un récit et des personnages, en pensant que ça suffira, c'est bâclé et décevant !

Felin-Sceptique
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Cet utilisateur l'a également ajouté à ses listes Qui a osé prétendre que ce...truc est un livre ? et J'ai lu tout ça en 2018 ?!

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le 26 oct. 2018

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Felin-Sceptique

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