« Les courses sans arnaque c’est comme la religion sans miracle : elles sont le mythe qui les rend réelles. » (p.178)

Pour Christophe Donner, les courses hippiques ne se résument pas à un simple loisir potentiellement rentable. Elles confèrent davantage à une passion déraisonnée, inoculant une fièvre que seuls les adeptes du turf peuvent connaître.
C’est tout petit, alors qu’il est élevé par ses grands-parents que Totof, comme ces-derniers aiment l’appeler, découvre les paris hippiques. Alors que son grand-père n’a jamais cessé de croire en sa chance jusqu’à son trépas, Christophe Donner en gagnant de l’âge, vit son goût pour le jeu grandir. Plutôt en veine à ses débuts, la chance du débutant tourna lorsque sa grand-mère décéda. N’étant plus en veine, ce que Donner gagnait dans la vente de ses livres, il le perdait au jeu. Dans cette mécanique aux relents balzaciens, il y a tout ce qui fait la splendeur des hommes de société et la misère des joueurs compulsifs.
Ancien chroniqueur hippique, Christophe Donner choisit d’aborder avec « A quoi jouent les hommes », un pan de l’histoire des paris sportifs relatifs aux chevaux. Pour ce faire, il suit les itinéraires de trois individus: Joseph Oller, l’inventeur du pari mutuel, Albert Chauvin, son disciple affranchi et Léon Pournin, écrivain de pièces de théâtre recyclé dans le journalisme sportif.

Fils d’immigrés espagnols, Joseph Oller a vu le jour en Catalogne avant d’arriver dans la capitale française alors qu’il n’a que deux ans. Francisco, son père, est allé rejoindre son cousin, Felipe, qui fait des affaires dans le textile. C’est contre son gré, mais pour le bien de la cellule familiale que Teresa est venue rejoindre son mari Fransisco, délaissant derrière elle sa terre natale. Avec son oncle Felipe, le petit Joseph découvre le domaine des courses. Les années filant, il se constitua une solide connaissance en la matière et eut les inspirations opportunes qu’il transforma en réussite stratégique. Sa plus belle trouvaille fut d’inventer les paris mutuels, ce qui fit rapidement de lui quelqu’un de très en vue dans la société bourgeoise parisienne. Cependant, toute réussite suscite son lot de convoitises, et ainsi est-il rattrapé par l’ordre moral qui ne peut tolérer ces paris sur lesquels Joseph Oller, très vite accompagné par ses deux frères, se fait une petite fortune. Cible de nombreux détracteurs jaloux, Oller peinera à clairement imposer le pari mutuel. Il se détourna d’ailleurs quelque peu des paris, s’intéressant davantage aux domaines de l’animation et du théâtre, ce qui fit de lui, à terme, le roi de nuits parisiennes. Mais cela ne se fit pas avant qu’il ne rencontre Albert Chauvin, jeune homme qui vient de découvrir le monde hippique. Plein d’idées et d’ambitions, celui-ci a pour objectif de reprendre l’entreprise qui a fait les beaux jours de Joseph Oller en s’associant à lui.
Dans ce roman, Donner expose clairement quels sont les enjeux majeurs des paris. A un certain niveau, il ne s’agit plus de vils gains mais d’une véritable lutte de pouvoir.

« Tout est jeu : la société, les affaires, la guerre, la politique et plus encore que tout, la vie. Mais il ne faut jamais être joueur, jamais, nulle part, c’est la ruine assurée. » (p.142)

Dans ce climat, les frictions entre entrepreneurs et instances dirigeantes sont de mise. Là où certains convoitent des responsabilités politiques, d’autres, plus modestes, cultivent des ambitions journalistiques, comme ce cher Léon Pournin, ancien auteur de pièces de théâtre. Le succès le fuyant, sa réorientation dans la presse hippique est toute trouvée, cela lui permettant notamment de cracher son horreur des aristocrates et de tous les ‘pourris’ qui se font des fortunes sur le dos des plus humbles. Figure aussi pathétique que pugnace, Pournin ne renonce pas à se faire un nom dans la société et, à l’instar de ceux qu’il conspue, il n’est pas contre le fait de voir ses poches se renflouer.

A travers les itinéraires de ces hommes d’action, on croise des figures aussi prestigieuses que les Rothschild, Eugène Sue ou Haussmann. Hugo et Zola ne sont pas loin. De même, Chrisophe Donner nous fait goûter aux gazons anglais et à la terre basque. On suit ces hommes portés par le feu du jeu, que ce soit sur l’hippodrome de Longchamp ou celui de Chantilly. Avec aisance et maestria il nous croque un tableau du XIXe siècle parfois d’une crudité étincelante, notamment lorsqu’il s’agit d’évoquer l’éviscération d’un coq ou le dépouillement d’un cheval devenu inutilisable. En somme, l’écrivain propose, avec « A quoi jouent les hommes », un roman fascinant à la tonalité historique qui devrait ravir tous ceux qui avaient été sensibles à « Un roi sans lendemain ».
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le 5 sept. 2012

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le 5 sept. 2012

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Anthony Boyer

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