"All I need to know about filmmaking, I learned from the Toxic Avenger" (à partir de maintenant, j'écrirai AINTKAFILFTTA, ce qui est déjà très long) est un livre de Lloyd Kaufman. Que dire de plus ? Je DEVAIS le lire un jour.
Et avant même de le lire, je savais que j'allais aimer dès les premières pages.
Lloyd choisit comme point de départ une démonstration de l'effet spécial de la bave toxique, qu'il effectue lui-même, à l'intention d'une équipe de reportage pour CNN... une démonstration interrompue par l'arrivée de trois investisseurs, pas du tout amusés par ces enfantillages.
A partir de là, Kaufman prétend expliquer comment un attardé comme lui est arrivé à la tête d'une compagnie comme Troma.
Tout comme pour le documentaire "All the love you Cannes" qui, contrairement à sa promesse, n'apprenait pas du tout comment promouvoir un film indépendant, je me doutais que ce livre n'allait pas m'apprendre tant que ça sur la façon de procéder pour faire un film. Lloyd avoue carrément être désorganisé, et d'avoir eu de la chance avec sa compagnie puisque la plupart des films de leur catalogue est du "goat shit" (deux choses que j'avais remarqué par moi-même, en voyant des films de Troma ou leurs making of).
Je pensais que cet ouvrage aurait surtout comme intérêts l’humour de Lloyd Kaufman et les témoignages qu’il apporterait des coulisses de Troma, car en réalité même quand Lloyd cherche à énoncer des conseils pour les cinéastes amateurs, il ne peut rester sérieux. D'ailleurs quand il distribue des infos et des astuces, c'est en vrac, et il s'agit parfois juste d'anecdotes insolites, rendues encore plus étranges par la façon dont elles sont balancées : "A few years ago a pamphlet was going around Hollywood on exactly how, point by point, to construct a plot. (...) But how in the hell could I ever construct something like that when I'm more worried about (...) a priest throwing us off location when we've only finished shooting half the drug scene footage we need on the altar of his church ?"
En revanche, AINTKAFILFTTA est souvent cité, notamment par le Angry video game nerd, comme une bonne motivation pour faire des films indépendants.

Une journée de travail dans le QG de Troma semble être à l’image de leurs tournages : c’est le chaos, avec pleins de stagiaires et de débutants qui donnent l’impression d’être dans une cour de récré. Lloyd semble ne pas non plus prendre au sérieux ce qui devrait l’être. Je pense que je n’aimerais pas bosser dans de telles conditions, mais en tout cas les témoignages de l’incompétence de l’équipe est très drôle à lire. Ce livre est un des rares qui m’ait réellement fait rire (même dans le métro), il y a notamment ce passage où un employé apprend à Lloyd, au dernier moment, qu’on s’est trompé en réservant ses billets d’avions et qu’il doit partir le jour-même. Lloyd pète les plombs en menaçant de se tirer une balle dans la tête, ce qui semble être une obsession chez lui.
Lloyd raconte vraiment tout, ne se souciant pas d’entacher son image.
On en apprend ainsi pas mal sur son parcours. Il a vécu un certain temps au Tchad, où il a profité des prostitués locales, et y filmer l’égorgement d’un porc lui aurait appris que choquer les gens lui était très plaisant. Le film qui lui a donné envie de faire du cinéma, c’est "To be or not to be" de Lubitsch. Après Yale il a été "shit boy" pour Cannon, où il œuvrait notamment sur le tournage d’inserts érotiques qui seraient intégrés à des films acquis par la boîte. Tentant à tout prix à percer, Kaufman a accepté de financer un film tourné en Israel, qui a fini par faire perdre énormément d’argent à lui et ses proches ; le pire échec de sa carrière. Plus tard, avant de créer Troma, Kaufman serait devenu un directeur de production très prisé pour sa capacité à trouver des décors à des prix très bas.
Mais surtout, Lloyd Kaufman dévoile des anecdotes dingues de nombreux tournages qui ont failli être mortels, il évoque des cascades qui ont mal tourné, dont la lecture est aussi fascinante qu’effrayante. Et il nous révèle des secrets de fabrication déconcertants. Les bouts de chair dans ses films, ce sont des bouts de papier toilette imbibés de faux sang ; je n’arrive pas à croire que ça puisse fonctionner, et pourtant…
Lloyd Kaufman est un homme qui s’est fait remarquer par John G. Avildsen (réalisateur de Rocky) sur un de ses tournages en raison de son zèle, puisqu’il s’investit toujours à fond dans ses films, et a persévéré pendant des années pour se faire sa place. Et pourtant, Lloyd donne par moments des preuves amusantes de son immaturité et de son manque de professionnalisme.
Sur Toxic avenger, il a filmé sans autorisation un camion transportant de faux fûts de déchets toxiques, ce qui a poussé des gens à appeler la police. Pour un film Indonésien tout à fait sérieux acquis par Troma, Lloyd a choisi d’appliquer un doublage où il a collé des blagues graveleuses.
Deux facettes que Lloyd Kaufman concilie dans certaines situations, il faut voir le soin avec lequel il décrit le bruitage de pet qu’il souhaite pour son film, page 131 : "There is no humor to a straight « Plit ! ». Rather, there should be a softness, a tenderness, like « Plissh ! » so that you know the fart is wet, and therefore smelly. However, if the fart is too wet the audience may mistakenly think that the character is letting go a little doodie in his drawers" (ça continue ainsi, et c’est à pleurer de rire).
La marginalité de Lloyd Kaufman vient parfois des principes qu’il défend, coûte que coûte. Il est contre le MPAA, qui classifie les films et lui a causé du tort plus d’une fois, se montrant plus sévère envers ses films que d’autres provenant de gros studios, comme RoboCop. En signe de contestation, Lloyd a une fois sorti un film dans sa version longue, après avoir envoyé au MPAA une version coupée ; ça s’est su quand une mère ayant emmené son fils voir "Bloodsucking freaks" se soit plaint. Comme il le fait encore aujourd’hui, Lloyd se plaint dans ce livre du monopole des grands studios, ce qu’il dit est d’ailleurs très intéressant : des cinémas aux USA sont maintenant détenus par de grands studios, et il en est de même pour les chaînes de télévision qui, du coup, font forcément la promotion des derniers blockbusters du studio auquel elles appartiennent. AINTKAFILFTTA a été écrit en 1997, et on s’imagine que la situation doit être bien pire maintenant.
Et enfin, Kaufman est contre la guilde des acteurs et le syndicat des techniciens, dont les membres lui reviennent plus chers sur un tournage. L’avantage avec un technicien qui ne fait pas partie de l’"Union", c’est qu’il est prêt à tout pour travailler puisque sur un film indépendant il a plus de chances de monter en grade : par exemple un troisième assistant cameraman peut devenir directeur de la photographie, après avoir stagné pendant des années sur d’autres tournages. C’est ce qui est arrivé avec le film "Sgt Kabukiman NYPD", où Lloyd Kaufman a ainsi pu obtenir un directeur de la photographie compétent à un salaire peu élevé… bien qu’il ait dû apparemment lui acheter une fausse barbe à 400$ pour éviter qu’il soit reconnu et soit viré de l’Union.

James Gunn est co-auteur sur ce livre, même si tout du long c’est Kaufman qui narre à la première personne. A mon avis, Gunn est responsables des cadres apparaissant parfois sur les côtés des pages, traitant rapidement d’un aspect ou d’un autre de Troma. C’est assez déconcertant au début, c’est amené sans explications et j’ai cru qu’il s’agissait d’extraits de journaux, et on ne sait trop à quel moment il faut lire ça, mais ça apporte tout de même des informations importantes qui ne peuvent être placées ailleurs dans l’ouvrage. C’est ainsi qu’on en apprend plus sur le duo Kaufman/Herz. Lloyd Kaufman évoque assez souvent l’importance de sa collaboration avec Michael Herz, mais comme c’est Kaufman qui est toujours sur le devant de la scène, et qu’on ne voit jamais Herz, que ce soit dans les making-of ou durant les festivals, je n’avais jamais vraiment pris conscience de l’importance de leur collaboration jusqu’à la lecture de ce livre. C’est apparemment un duo complémentaire, et leur relation de travail est basée sur une confiance totale depuis maintenant 40 ans, ce que je trouve impressionnant.
Un autre élément qui bouscule la narration classique, c’est le fait que Lloyd retranscrit régulièrement des discussions qui concernent la progression du livre, pour la plupart des conversations avec son éditeur, très inquiet par rapport au contenu. Ces échanges sont le plus souvent à hurler de rire, on dirait parfois des scènes tirées d’une comédie, mais ce qui vaut vraiment de l’or, c’est la conversation avec James Gunn où Lloyd explique plusieurs points d’une scène de "Troma’s war" qui a choqué Gunn (en bien) : si cette femme topless se met à crier "J’ai le SIDA" après avoir été violée, apparemment ce n’était pas à des fins comiques, c’est juste que Lloyd voulait que l’info soit claire.

Estimant que Lloyd n’est pas un narrateur fiable, son éditeur a eu la superbe idée de demander des témoignages à des proches. Il a obtenu des réponses de James Gunn, Samuel Fuller (oui, le réalisateur de Au-delà de la gloire), une fan de 19 ans qui parle comme Bill & Ted, un ancien employé qui dresse un portrait très négatif de Lloyd, mais pour moi le plus intéressant c’est le témoignage de Patricia Kaufman, la femme de Lloyd. J’ai toujours voulu savoir comment fonctionnaient leurs rapports. On a d’ailleurs un aperçu de leur vie de couple quand Lloyd retranscrit une conversation qu’ils ont eue à propos des premiers chapitres du livres : ça n’a pas du tout fait rire Patricia. Au moins comme ça, j’ai ma réponse quant à ce qu’elle pense de son humour particulier.
J’ai aussi eu réponse à d’autres questions que je me posais, sur la façon dont James Gunn était devenu scénariste pour Troma (et c’est encore plus dingue de voir comment il a été embauché, quand on voit où il en est maintenant), et sur la genèse du dessin animé basé sur Toxic avenger. D’ailleurs à cette époque, les grands studios se sont mis à faire la cour à Troma pour réaliser une adaptation live du cartoon ; un projet qui n’a pas débouché, après que New line ait acheté les droits mais se soit joué de Troma.
C’est le genre de chose dont on ne se serait jamais douté, mais le livre est plein de petites révélations de ce genre :
Madonna a auditionné pour "The first turn-on" mais a été rejetée par Michael Herz.
Troma a failli distribuer le pilote de South park, "The spirit of Christmas", mais en le renommant "A very Troma Christmas" !
L’une des inspirations pour Toxic avenger, c’est tous ces clubs de gym que Lloyd Kaufman a dû chercher pour le tournage de Rocky sur lequel il a œuvré… une autre, ce serait cette fois où il a renversé sa petite sœur avec sa voiture. Dans le film, la copine du héros est jouée par celle d'un des investisseurs. Et pour des raisons budgetaires, le tournage a été arrêté en cours de route, et ce n’est que plus tard qu’une nouvelle fin a été filmée, avec un acteur qui avait considérablement maigri, et un interprète différent pour Toxie.
Kaufman n’avait jamais prévu de suite, mais il y avait une rumeur comme quoi le second opus était en préparation, sans même que Troma soit au courant. Des distributeurs se sont ainsi battus pour les droits… avant même que le film ne soit réellement prévu.
Peut-être plus dingue encore, sur le tournage de Tromeo et Juliet l’équipe a été chassée du lieu où se filmait la chambre de Juliet. La décoratrice a eu la bonne idée de fouiller dans la cave du bâtiment, a retrouvé des restes du papier peint de la chambre, qui a été recréée vite fait dans les bureaux de Troma ; ce qui est impressionnant, c’est que rien de tel ne m’a choqué quand j’ai vu le film.

Pour tout amateur de Troma, "All I need to know about filmmaking, I learned from the Toxic Avenger" est un indispensable. C’est un fourre-tout qui permet d’en apprendre davantage à la fois sur la personnalité de Lloyd Kaufman, sur les coulisses de certains de ses films, sur le milieu du cinéma en général, et à condition d’aimer l’humour régressif, c’est aussi un très bon moyen de rire abondamment.
Lloyd conclut le livre sur une note négative, disant que bientôt les grands studios auront écrasé tous les indépendants, pour lesquels il n’y a aucun espoir. 17 ans plus tard, Troma est encore là, et Lloyd se bat encore avec ardeur pour le cinéma indépendant. Mais ça, c’est parce que Lloyd est une légende et Troma un symbole ; je doute qu’une autre société indépendante démarrant maintenant puisse avoir la même longévité.
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le 14 mai 2014

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