Dans un convoi militaire en route pour le front oriental où la Première Guerre fait rage, deux hommes se défient aux échecs. L'enjeu n'est rien de moins qu'un échange d'identité entre un soldat envoyé en première ligne et un aiguilleur de train.

"Amphitryon" est un récit à plusieurs voix, un récit subjectif, énigmatique, qui traverse les époques au fil des identités et de la guerre.

Franz Kretzchmar relate la lente folie de son père, Viktor, jusqu'au jour où celui tente vainement d'assassiner un certain Thadeus Dreyer, soldat décoré, en faisant dérailler le train dans lequel il devait voyager. Mais qui est cet homme, dont le succès rend amer son père? Abandonnant ce dernier dans l'asile où il terminera ses jours, Franz suit un ukrainien, Alikoshka Goliadkine, qui semble connaître intimement Dreyer, et avoir l'oreille d' Himmler lui même. Il lui offre l'opportunité de rencontrer Dreyer, au cours d'une partie d'échec aux enjeux considérables...



La question de l'identité, à l'heure des masses nazis, est un axe central pour qui prétend analyser les périls du totalitarisme. Le projet Amphitryon est la machine infernale mise en branle par le jeu de pouvoir et de destruction du nazisme: une armée de doublure, d'hommes capables de se fondre dans l'identité d'un autre, initialement pour le protéger...Mais Padilla rappelle, dans un roman haletant, que l'on ne fait pas d'un homme la pièce d'un jeu d'échec sans encourir de plus grand dangers.

Lecteur d' Hannah Arendt, l'auteur fait remonter l'intrigue jusqu'au retentissant procès d' Eichmann à Jéruslamen en 1961. Ce haut responsable nazi avait alors choqué le monde entier par sa "banalité", et avait inspiré à la philosophe allemande exilée une réflexion sur les dérives de la non-pensée, en ce qu'elle préfigure la naissance d'un mal non pas exceptionnel ou machiavélique, mais simplement "banal", inhérent au refus de l'homme à habiter réellement ses actions propres.

Padilla poursuit finalement cette réflexion avec la question de l'imposture, comme l'aboutissement de la désertion de l'homme du monde commun, et comme le grand danger de notre modernité.
madamedub
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le 21 août 2011

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