1950, une année décisive dans le domaine de l’alpinisme. Le premier sommet de plus de 8000 mètres est vaincu, par une cordée française, menée par son charismatique chef d’expédition, Maurice Herzog.

Après une étonnante hésitation, c’est sur l’Annapurna que se porte le choix de l’assaut, car en effet, élément surprenant, l’équipe a hésité entre l’Annapurna et ses 8091 mètres, et le Dhaulagiri, et ses 8167 mètres. Et le choix ne se fit qu’après divers tâtonnements.

L’Annapurna est le 10ème plus haut sommet du monde, mais reste à ce jour le plus dangereux de l’Himalaya, environ un mort pour deux ascensions réussies, et pour comparaison ces chiffres se portent à un pour quatre sur le K2 et un pour 9 sur l’Everest.

L’expédition de 1950 est de fait extrêmement médiatisée. Les droits pour photos et récits sont vendus à prix d’or aux magazines, et un seul récit sera admis, et cela sous contrat, pour une durée de cinq ans. Ce récit c’est celui du chef d’expédition, Maurice Herzog, afin qu’aucunes voix discordantes ne viennent enrayer une histoire qui doit entrer dans la légende.

Mais la victoire, comme pour toutes expéditions de cette envergure, n’était pas acquise.

Dans son équipe, Herzog compte des grimpeurs parmi les plus prestigieux. Un tandem qui avait déjà fait ses preuves, sur la célèbre face nord de l’Eiger par exemple, Lionel Terray et Louis Lachenal, tout deux guides à Chamonix, Gaston Rebuffat, le célèbre grimpeur marseillais, mais aussi d’autres que l’histoire à moins retenu, comme Jean Couzy, Marcel Schatz, Jacques Oudot et Francis de Noyelle.

David Roberts est américain, alpiniste et journaliste, passionné depuis son plus jeune âge par ces hommes de légende, dont il rêve adolescent de se faire remarquer.

Il s’étonne. Si la majorité des français connaissent Maurice Herzog pour sa grande première sur l’Annapurna, peu sont capables de citer ne serait-ce que le nom du second pionnier du premier 8000 foulé par l’homme, Louis Lachenal, et encore moins sont ceux capables de citer les membres clés de l’expédition de sauvetage héroïque qui fut entreprise par Lionel Terray et Gaston Rebuffat pour permettre à leurs deux compagnons de revenir vivants.

Sans nul doute, la carrière politique de Maurice Herzog, ministre des sports et de la jeunesse, allait peser lourd sans sa notoriété. Mais peut-être pas autant que son livre, véritable best seller, « Annapurna, premier 8000 » qui allait s’écouler à des milliers d’exemplaires, un tirage qui, si on mettait les livres les uns sur les autres, dépasserait la hauteur de l’Annapurna à en croire son auteur !

Un livre effectivement incroyable, qui narre la conquête d’un extrême qui semblait interdit à l’homme, et qui fut réalisée grâce à l’héroïsme et la fraternité d’une cordée de compagnons soudés contre le déchaînement des forces de la Nature. Cette thématique romantique par excellence allait permettre au livre de dépasser largement le cercle restreint des amateurs de littérature d’alpinisme.

C’est la fierté nationale de la France qui vibrait réellement au claquement muet du drapeau tricolore accroché à un piolet, que Herzog arbore, victorieux, sur une photo qui allait faire le tour du monde.

Nul doute qu’en 1950, une telle victoire était plus qu’attendue pour faire renaître de ses cendres la dignité nationale ternie par des années de collaboration et de guerre. Le partenariat politique entre de Gaulle et Herzog symbolisait précisément l’affirmation d’un pays indépendant et fort.

Alors pourquoi tant d’ombres et de malaises dans le milieu de l’alpinisme autour de cette victoire ?

Face à un Herzog triomphal, Lachenal disparaît relativement de la scène médiatique. Las et presque écoeuré de la gestion publicitaire de cette ascension, qui lui couta à lui, comme à Herzog, doigts et orteils, des suites de gelures …et diminuaient de fait leurs incroyables aptitudes sportives…

Que c’est-il passé sur le toit de l’Annapurna ?

Une polémique existe depuis des années sur cette victoire.

Fasciné par ces personnages, David Roberts mène l’enquête, et retrace la vie, les exploits et les désillusions de cette cordée d’exception.
Que Louis Lachenal n’était pas prêt à sacrifier ses pieds pour le sommet, et qu’il ait mal vécu cette marche forcée est un fait désormais établit.

Mais était-il prêt à accepter de mentir sur leur victoire en jouant le jeu des photos triomphales afin qu’un Herzog exalté accepte de faire demi-tour ?

C’est la théorie de certains.

C’est même celle relayée par Félicité Herzog, la propre fille de Maurice Herzog, dans un livre poignant écrit sur son père, « Un héros », paru quelques mois avant la mort de celui-ci.

Pour d’autres, Herzog et Lachenal étaient de taille à réussir un tel exploit, et en payèrent le prix élevé qui allait avec.

David Roberts retrace ces scènes incroyables, où Herzog et Lachenal se font amputer leurs orteils à même le wagon indien qui les ramène à Dehli où un avion les attend, ou encore lorsqu’il dépeint la stupeur qui saisit les médecins en France lorsqu’ils enlevèrent les bandages de fortunes qui maintenaient les pieds de Herzog, et en virent jaillir des asticots de la tailles de « crayons » se gavant des chairs mortes…

Aucun doute n’est permis sur la force et l’endurance de ces hommes.

Nul doute non plus sur les enjeux d’avantage politiques que sportifs qui divisèrent sans doute la cordée idyllique dépeinte par Herzog. Seul Lionel Terray allait continuer sa carrière – et quelle carrière ! – d’alpiniste.

Pour conclure, cet ouvrage est fascinant, car traite de tous les sujets propres à la nature humaine ; l’amitié , la rancune, la force, la faiblesse, l’intégrité et la politique…mais dans ce cadre de la démesure, qui pousse l’homme à se hisser jusqu’à un sommet sur ses pieds gelés… Est-ce que Lachenal et Herzog auraient dû faire demi tour avant d’en arriver là ? C’est sans doute la grande question qui anime et animera toujours les pensées de chaque alpinistes lorsqu’ils se retrouvent seul face à la terrible question qui fût posée au guerrier Achille par les dieux eux-mêmes.

Emma Breton
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le 15 avr. 2013

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