Antigone
7.4
Antigone

livre de Jean Anouilh (1944)

(Critique légèrement modifiée après la lecture du "quatrième mur", de Sorj Chalandon)

Anouilh revisite l’œuvre de Sophocle, au temps d'une France occupée, pour parler de résistance, d'injustice et de désobéissance avec plus de crédibilité que jamais.

Les interrogations suscitées par la pièce sont multiples et pertinentes : "doit-on obéir à une loi injuste quand des principes plus élevés sont en jeu" semble être l'enjeu principal abordé ici, mais il me parait, après coup, que d'autres questions, plus délicates, sont soulevées indirectement par Anouilh, mais non moins intéressantes quand mises en perspective dans le contexte de l'époque. Le revirement d'Antigone, par exemple, qui persiste, capricieuse, à vouloir se sacrifier alors que les raisons de le faire semblent avoir disparu, interpelle sur les motivations réelles des résistants - sacrifice pour une cause noble ou désir de gloire ? A moins que cette perte des repères ne soit une sorte d'avertissement à ceux qui s'engagent sur une voie aussi dramatique, sur la nécessité de jamais oublier les raisons du sacrifice. A l'exemple du poète et résistant Missak Manouchian - que cite fort à propos Chalandon dans "le quatrième mur" - , fusillé à peine 15 jours après la première représentation de la pièce, et qui, comme en réponse au désarroi d'Antigone, répond avec conviction, dans une ultime lettre à sa femme : "je meurs en soldat régulier de l'Armée française de la Libération."

Les conclusions de Créon, personnage non moins central dans la pièce, sur l'énorme gâchis auquel mène tous ces combats, qu'ils soient nobles ou "nécessaires", révèlent peut-être le regard que pose finalement Anouilh sur cette terrible guerre qui n'en finit pas en 1944 : des morts, des morts, et encore des morts, quel que soient les camps, les jours et les régions du monde.

"Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Ceux qui croyaient une chose, et puis ceux qui croyaient le contraire - même ceux qui ne croyaient rien et qui se sont trouvés pris dans l'histoire sans y rien comprendre. Morts pareils, tous, bien raides, bien inutiles, bien pourris."

Créée

le 19 nov. 2013

Modifiée

le 24 nov. 2013

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