Jean Lopez est le spécialiste français de la Seconde Guerre mondiale à l'est. Après avoir couvert la période été 1942 – printemps 1945 au travers de cinq grandes batailles, il lui restait encore le plus gros morceau à attaquer : l'opération Barbarossa. Pour cela, il a conçu cet ouvrage avec Lasha Otkhmezuri, docteur en histoire : il ne s'agit pas de leur première collaboration, les deux hommes ayant déjà écrit ensemble un livre sur l'Armée rouge et une biographie de Joukov.

Ce qui frappe d'abord, c'est l'ampleur du travail réalisé pour aboutir à Barbarossa : 1941 – La guerre absolue. Pour cela, il a fallu collecter un nombre impressionnant de sources pendant des années. Les auteurs ont eu parfois la chance d'interroger des acteurs de cette période. Ils ont recueilli pour cela des témoignages oraux de soldats ou de civils, quand ils ne sont pas écrits. On ne peut que louer l'effort accompli, qui permet de brosser une fresque de cette période, des plus hautes instances dirigeantes aux gens sans grade qui ont vécu la réalité de la guerre. Le résultat est un livre de 950 pages qui constitue la plus belle synthèse à ce jour sur la guerre à l'est entre juin 1941 et janvier 1942.

Déjà, les auteurs prennent le sujet par la racine. D'où vient l'opération Barbarossa ? La réponse est claire : c'est Hitler qui conçoit, clairement dans Mein Kampf, l'expansion de l'Allemagne à l'est face au « judéo-bolchevisme », mythe raciste ayant conduit à des millions de morts. Pourtant, dans les années 1920, l'idée de l'expansion face à l'URSS n'est pas la plus populaire dans l'extrême droite allemande. Les nationalistes s'opposent surtout à la France et au Royaume-Uni, et certains rêvent même de s'entendre avec l'URSS, qui n’apparaît pas comme une menace, mais plutôt comme une autre victime du traité de Versailles.

Jean Lopez et Lasha Otkhmezuri vont ainsi dérouler le fil des événements, en passant par la politique étrangère de l'Allemagne et de l'URSS dans les années 1930. J'ai été ainsi surpris de voir que jusqu'en mars 1939, Hitler recherchait encore l'alliance polonaise contre l'Union soviétique. Le pacte germano-soviétique donne à Staline l'illusion que l'Allemagne nazie et les démocraties occidentales vont s’entre-tuer, en le laissant tranquille. En réalité, Hitler est toujours déterminé à détruire l'URSS, il s'est accommodé avec elle parce que cela l'arrangeait un moment.

Les deux auteurs reviennent aussi de manière précise sur l'année précédent l'opération Barbarossa, avec les plans allemands, montré comme clairement défaillants. Ainsi, la Wehrmacht ne s'est fixé aucun objectif clair, signe des dissensions au sein de l'état-major. Elle sous-estime en outre grossièrement son adversaire, et s'attend à ce qu'il s'effondre en quelques semaines. Quant à l'Armée rouge, elle est très bien équipée, mais absolument pas prête. La désorganisation règne, l'encadrement pose problème.

On a longtemps montré un Staline sourd et aveugle, voir stupide et prisonnier de sa paranoïa, qui se refusait à voir les signes annonçant l'agression allemande. En réalité, comme souvent, les choses sont plus complexes. S'il a bien évidemment une responsabilité dans la catastrophe de l'été 1941, il faut prendre en compte d'autres aspects qui peuvent l'expliquer. Reste qu'il est sidérant de voir qu'au moment où le front s'embrase, des trains soviétiques continuent de franchir la frontière pour honorer l'accord avec l'Allemagne, et que Staline demande encore pendant quelques heures de ne pas répondre aux provocations allemandes, paralysant ainsi les généraux sur le front à un moment décisif.

Barbarossa : 1941 – La guerre absolue est un ouvrage total, qui ne s'intéresse pas uniquement aux opérations militaires, mais aussi aux aspects politiques, économiques, sociaux du conflit. Ainsi, les différentes batailles ne sont pas aussi détaillées à l'instar de ce que Jean Lopez avait pu faire dans Koursk ou Opération Bagration. Mais tout développer aurait conduit à doubler le volume.

Je ne vais pas entrer dans les détails de l'ouvrage, deux choses en ressortent clairement.

D'abord, l'ampleur du conflit, difficile à imaginer. Le déchaînement de violence, essentiellement du côté allemand, a conduit à un bilan humain épouvantable : plus de 5 millions de morts en 200 jours, soit 1 000 morts chaque heure (jour et nuit). Peut-on seulement concevoir que cela ait pu avoir lieu il n'y a que quelques décennies, pas si loin de chez nous ? Dès le 22 juin 1941, toutes les digues sautent : la violence n'a plus de limites, et l'armée allemande y participe activement (contrairement au mythe élaboré après-guerre par certains généraux allemands, avec l'oreille complaisante des Occidentaux).

Second point, très important : les deux auteurs montrent que l'opération Barbarossa était d'entrée vouée à l'échec. Elle n'avait tout simplement pas les moyens de ses ambitions, et plus les mois passaient, plus l'échec devenait patent. Il ne faut pas non plus oublier que les succès allemands de l'été et de l'automne 1941 doivent, bien sûr, à une armée allemande nettement supérieure, mais aussi aux lourdes défaillances côté soviétique. Après la guerre, certains généraux allemands ont essayé de montrer qu'ils auraient pu gagner, si par exemple l'offensive avait pu être déclenchée plus tôt, si l'hiver n'avait pas été aussi rude, ou si Hitler ne s'était pas mêlé des opérations. Les deux auteurs démontent point par point toutes ses élucubrations, qui ne sont en réalité que des idées de mauvais perdants, prisonniers de leur arrogance et de leur morgue : eux, les dignes héritiers de la caste militaire prussienne, vaincus par des sous-hommes, comment cela pouvait-il être possible ? Toute l'armée allemande était imprégnée de cette idéologie, pas seulement Hitler et ses fidèles.

Zero70
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le 19 avr. 2023

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openupandbleed
10

Une somme

L'inconvénient du temps qui passe, c'est que les horreurs de la Seconde guerre mondiale, mais également celles du régime stalinien, deviennent de plus en plus abstraites pour les jeunes générations...

le 3 févr. 2020

2 j'aime

Barbarossa
NicolasHR
8

Très intéressant.

Un ouvrage très instructif, surtout dans les faits antérieures à l'opération. Je regrette cependant la description des manœuvres, qui peut être barbante par moment.

le 20 avr. 2021

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