Invité par les lecteurs et critiques à commenter son dernier ouvrage, "C'est une chose étrange à la fin que le monde", Jean d'Ormesson aime à raconter cette histoire : « Connaissez-vous l'anecdote de Fragonard qui peint pour un seigneur de la cour un tableau en quatre heures et demande une somme considérable ? Le courtisan proteste, tant d'argent pour si peu de temps à l'ouvrage, ce n'est pas raisonnable... Fragonard lui répond : "Il m'a fallu quatre heures et une vie." C'est un peu l'histoire de ce livre : il m'a fallu deux ans et une vie. »

Une vie ?... Le livre nous laisse cependant un petit goût amer, celui d'une déception.
Jean d'O. y avait pourtant réuni les ingrédients d'un cocktail prometteur : une belle structure à double-voix, où à la chronique objective de l'humanité répond la plume pétillante du "Vieux", le sourire cabotin de Dieu ; une escapade philosophique à travers l'histoire des idées humaines, d'Héraclite l'Obscur à la Théorie M...
Mais voilà, le cru 2010 est un soufflé qui retombe bien vite : d'un propos confus et brouillon à un parfum de déjà-vu ou déjà-lu ("La Création du monde", "La Douane de mer" – dont certaines pages sont recopiées quasi mot pour mot), l'académicien peine à nous surprendre, à nous ravir. C'est enjoué, c'est époustouflé, mais la petite musique de l'écriture ne prend pas.

« Redonner une chance à Dieu », a énoncé Jean d'Ormesson, telle est ici sa quête. Mais il perd "le fil du labyrinthe" entre humour émerveillé et thèses métaphysiques ; les cinquante dernières pages butent et trébuchent, se répètent, se recoupent – et naufragent définitivement leur lecteur.
Néanmoins, à force de patience, l'idée-clef de l'œuvre finit par être aperçue : hors de tout système philosophique, Jean d'Ormesson a le "sentiment de Dieu" – Dieu doit exister, parce que le monde est délicieux, que la vie est partout pétillante, et qu'il serait bien décevant que l'odyssée s'arrête avec la mort. Cet élan fulgurant, cette sensation époustouflante du divin, c'est tout ce que l'auteur tente laborieusement de mettre en mots au long de son essai métaphysique plus-que-chaotique. Mais l'argumentation flageolante vient obscurcir ce magnifique sentiment de Dieu – sentiment définitivement hors de la rhétorique et du monde des mots, sensation intime qui se voit ici accoler un raisonnement des plus cahotants...

L'abrupt sentier du Dieu hors des démonstrations – Jean d'Ormesson y brûle sa plume.


... et le plus frustrant est de deviner, sous les ratiocinations entremêlées, l'ébauche d'un fantastique ouvrage – mais son ébauche seulement. Regrettable.
Une très sincère déception.
Wakapou
6
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le 17 nov. 2010

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Wakapou

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