2006, le marché de l'art est devenu un nouvel esclavage, consenti par celles et ceux dont on utilise les corps pour en faire des œuvres, ou même des meubles. Les peintres ont délaissé les toiles pour s'occuper du corps humain, et les (jeunes) gens recrutés pour être peints sont des « toiles ». Clara, notre héroïne est l'une d'elles, et elle en tire une grande fierté. Son plus grand rêve ? Être peinte par un maître mondialement reconnu. Mais, dans le même temps, un mystérieux tueur détruit des toiles, dont la perte n'est plus un drame humain, mais un préjudice financier.

Ce livre est tout simplement un chef d'œuvre, tant dans son écriture que dans sa pensée, critique, vive et subtile des dérives d'une société de consommation qui se met à voir dans l'humain un objet que l'on peut acquérir peut plier à ses désirs (car les toiles et les meubles doivent souvent rester immobiles, dans des positions parfois impossibles à tenir, pendant des heures – on peut les louer dans les musées pour les exposer chez soi). Cette dénonciation est d'autant plus terrible qu'elle ne semble pas totalement absurde, même si la situation est exagérée. Rien que pour sa réflexion critique, c'est déjà une œuvre à lire.

Mais il n'y a pas que cela. Somoza signe encore une fois un livre étrange, où s'entremêlent plusieurs styles – sans que l'un fasse de l'ombre à l'autre, et tous sont liés de telle façon qu'il est impossible de concevoir l'œuvre autrement. Policier et thriller à la fois, oui, anticipation légère et très proche, philosophie dans une large acception du mot, et érotisme subtil qui perle tout au long du livre. Pour les lecteurs non-initiés, c'est une expérience déroutante, mais fabuleuse, à côté de laquelle il serait vraiment dommage de passer !

Clara et la pénombre, c'est l'exploration des horreurs de la pensée humaine, mais en finesse, et c'est le schéma complexe qui conduit à accepter de devenir une marchandise et en tirer une grande fierté, c'est l'aliénation volontaire, insidieuse et inconsciente, l'envie terrible de paraître et de faire partie d'une élite, serait-elle d'esclaves.
Hykul
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le 12 sept. 2014

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