Enfin je le lis, ce monument de la sociologie à la française. Difficile d'en faire un fichage suivi, ce que cette critique ne prétendra pas être.


C'est le genre de livre dont on ne peut prétendre l'avoir compris dans sa démarche avant de l'avoir lu en entier, et qui nécessiterait une deuxième lecture plus approfondie. Un livre bien écrit, cela dit, mais pas vraiment universitaire dans sa manière d'énoncer, en ce qu'il déroge à la règle qui veut qu'on aille du plus simple vers le plus complexe, du moins intéressant au plus original.


De quoi parle-t-il donc ? Des transformations qu'a connues Paris pendant la période 1830-1848, et des effets sur les classes pauvres, et sur la criminalité, deux réalités souvent liées dans l'opinion du temps. A chaque fois, l'auteur dissocie le phénomène sociologique dans ses effets et ses causes et leur perception, ce qui passe par un discours critique sur la vaste collection de sources de toute nature que l'auteur a pu consulter.


Qu'est-ce qui a fait de cet ouvrage un classique de la sociologie, qu'il faut avoir lu ? Son approche confrontant sources démographiques et sources qualitatives. En cela, il me fait penser aux ouvrages d'Emmanuel Todd, mais sans la rigueur conceptuelle, et avec un penchant prononcé pour la remarque de détail. Aujourd'hui, par rapport à un ouvrage universitaire, ce livre a quelque chose de touffu et d'un peu lâche dans sa conceptualisation, mais sa manière de confronter les représentations littéraires avec la réalité des statistiques administratives et la connaissance de la topographie parisienne qu'il laisse entrevoir forcent le respect.


Pour autant, donc, la démarche n'apparaît qu'au fil du livre, et pas de manière très linéaire. La première partie, de manière surprenante, est consacrée aux représentations, donc aux sources qualitatives. Chevalier analyse d'abord les sources statistiques, puis la littérature pittoresque ("Tableaux de Paris", de Mercier, Janin), puis les grands auteurs (Balzac, plus rigoureux que Hugo, mais moins sensible au thème de la misère) et enfin la littérature sociale (Proudhon, Blanc et leurs épigones). Ce tour d'horizon est plutôt déroutant, car on ne comprend la démarche de l'auteur qu'au fur et à mesure qu'elle se dessine, et le texte nous plonge dans un commentaire de la source sans prendre le temps de nous la présenter. Autant dire que ce livre n'a pas d'intérêt pour qui n'a jamais ouvert un Hugo ou un Balzac.


La deuxième partie, "Le crime, expression d'un état pathologique, considéré dans ses causes", revient sur les causes, perçues par les contemporains ou réelles, du développement d'une nouvelle criminalité urbaine, différente de la criminalité d'Ancien régime. Si les journaux, les essayistes de l'époque cherchent des causes dans la morphologie urbaine (exposition au nord des rues, manque d'espace, mauvaise aération, humidité, etc...), la réalité vient surtout d'un accroissement démographique lié à l'immigration, à la différence de Londres, par exemple, qui croît davantage par son croît naturel. Par ailleurs la population parisienne compte, dans ses classes d'âge, moins de nourrissons, moins de vieillards, et davantage d'hommes jeunes, entre 15 et 40 ans que le reste de la France. La présence féminine, en revanche, est plus rare, et se concentre surtout dans les beaux quartiers. La discussion autour de la composition et de l'évolution de cette évolution démographique indéniable est passionante et bien fournie. On y voit notamment que les nouveaux arrivants s'entassent en général dans les quartiers déjà surpeuplés, le pire étant le XIIe arrondissement, tandis que l'ouest est plus aisé.


La troisième partie, "Le crime, expression d'un état pathologique, considéré dans ses effets" s'intéresse aux manifestations du crime et aux rapports de ce dernier aux classes laborieuses. C'est une partie très variée dans les sujets abordés, parfois difficile à suivre dans sa démarche. L'auteur cherche à saisir la détérioration des conditions sociales à travers les suicides d'ouvriers, le rapport des migrants à leur milieu de départ et à leur milieu d'accueil, la fécondité, caractérisée par la prédominance des unions libres et les causes de la mortalité. La deuxième sous-partie, consacrée à l'opinion, m'est plutôt passée au-dessus. C'est en gros la manière dont le peuple est perçu par : les bourgeois, Balzac, le peuple et la physiognomonie à la Lavater. Enfin, une troisième sous-partie sur le comportement évoque les violences compagnonniques, la naissance de la savate, mais c'est assez détaché du reste de la démonstration.


Un livre stimulant, quoique difficile à cerner dans sa globalité, auquel je reprocherai de ne pas faire de renvoi précis aux textes qu'il cite (le titre, mais pas la page), et qui utilise une terminologie qui aujourd'hui nous semble assez étrange (parler des aspects "biologiques" d'un phénomène social, par exemple).


Un livre qui surtout, vaut par sa descendance, que même sans être sociologue on devine nombreuse.

zardoz6704
7
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le 5 avr. 2015

Critique lue 551 fois

zardoz6704

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